Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 14 février 2013 à 9h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

L'affaire de l'agroalimentaire souligne l'internationalisation et l'opacité des circuits suivis par le « minerai » de viande, comme on dit, utilisée par l'industrie de transformation. Ce sera un épisode de plus dans l'histoire du retour au circuit court, dans l'esprit de démondialisation que je défends. Le ministre de l'agriculture a fait un exposé en conseil des ministres sur la relocalisation des activités de transformation au plus près de la matière première. Mais notre outil industriel s'est affaibli du fait de son obsolescence. Mon collègue Stéphane Le Foll a en tête un plan de réinvestissement dans l'agroalimentaire, avec l'aide de la BPI, comme nous l'avons fait dans chacune des filières où nous mettons à disposition, avec les grands opérateurs privés et l'État, un fonds de recapitalisation, donc de modernisation des équipements industriels. L'agroalimentaire a son délégué interministériel et un ministre dédié M. Guillaume Garo. Le circuit court a de l'avenir.

En Afrique, la Chine met en oeuvre une stratégie d'implantation y compris dans les pays francophones. L'intervention au Mali a rendu à la France un prestige bien abîmé par certains discours prononcés en terre africaine. Je le ressens moi-même avec un regain d'activité autour de certains dossiers. Ainsi, pour achever la boucle ferroviaire entre la Côte-d'Ivoire, le Burkina-Faso, le Niger et le Bénin, qui permettra de transporter tant les voyageurs que les marchandises et les produits pondéreux, des présidents africains m'ont demandé une offre française pour concurrencer l'offre chinoise. Ce serait une façon de renouer nos liens.

Quelles filières choisir ? Dans une guerre, qu'elle soit économique ou pas, la stratégie enseigne de renforcer les points forts. Ainsi, face aux difficultés de la filière automobile, nous développons une stratégie d'endiguement pour préserver nos outils et nos savoir-faire, mais sans exclure l'innovation technologique. Le Premier ministre a fixé le cap du véhicule à 2 litres. Pour la première fois, nous avons réuni les deux constructeurs et les quatre grands équipementiers que sont Plastic Omnium, Valeo, Michelin et Faurecia, pour procéder ensemble à des choix : hydrogène, ou pas ; hybridation chez Peugeot, qui occupe la deuxième place sur ce créneau sur le marché européen – je rappelle que Toyota construit ses Yaris hybrides en France –, et tout électrique chez Renault qui a pris de l'avance dans ce domaine en repoussant à 120 kilomètres les limites de l'autonomie. Nous avons la chance d'avoir deux jambes pour avancer. Ce choix est parfaitement cohérent avec le plan automobile de soutien par les bonus et l'installation de bornes de recharge sur tout le territoire en liaison avec Autolib' de l'entreprise Bolloré. Nous aurions pu ne rien faire, mais nous avons préféré l'unité des choix et la solidarité dans la décision.

Dans le secteur ferroviaire qui, lui, est toujours en croissance, nous en sommes encore au TGV de première génération. Les trains continuent de transporter 509 passagers en deux rames. Comment améliorer la compétitivité et construire le TGV du futur ? Nous avons passé commande à Alstom et Bombardier de 40 rames de première génération pour 5 milliards à condition que le TGV de deuxième génération soit sur les voies en 2018. En consommant autant d'énergie, voire moins, il transportera 300 personnes de plus, ce qui passe par la migration des moteurs hors des motrices, dans les bogies et les roues des moteurs. En outre, les capacités d'accélération et de décélération seraient améliorées, de façon à assurer des dessertes plus rapprochées. L'État a subordonné sa commande à des améliorations sur ces trois points. Nous voulons ainsi prendre des parts de marché dans le monde, pour conserver à la France son avance puisqu'elle est la première à avoir mis au point le TGV.

Pour les éoliennes et le photovoltaïque, l'Europe a une stratégie protectionniste car la Chine a détruit nos industries. Nous avons donc décidé avec Delphine Batho de construire un champion national dans le photovoltaïque et l'éolien. Nous avons mené à bien les appels d'offres lancés pour l'offshore et nous défendrons l'éolien terrestre « made in France » par la tarification et les spécifications.

Nous procédons à des choix technologiques en concertation. Voilà pourquoi j'ai parlé de colbertisme participatif, même si c'est un oxymore. Colbert imposait ses vues en dictateur éclairé. En ce qui me concerne, je réunis les professionnels, les partenaires sociaux, les pôles de compétitivité et je leur fais choisir les orientations et les options technologiques. Les décisions ne sont pas prises par des ministres dans la solitude de leur bureau, ou par des hauts fonctionnaires aussi talentueux soient-ils. La décision vient d'en bas et le politique l'appuie grâce à son leadership.

L'objectif consiste à reconstituer nos points forts et nous innovons. Le paysage des télécoms est dévasté par la concurrence excessive. Je n'accablerai personne mais, aux États-Unis, il y a trois opérateurs ; en Chine, deux ; en Europe, 140. En France, ils sont quatre et les prix sont les plus bas du monde. Les consommateurs ont raison d'applaudir mais c'est un choix de court terme. L'un des opérateurs connaît de très graves difficultés, il en restera trois. Alors, à quoi bon en avoir fait naître un quatrième ? Les prix remonteront inéluctablement. Et l'industrie européenne est à terre à cause du low cost. La stratégie du redressement productif, c'est d'abord défendre le producteur. Le consommateur ne peut pas avoir toujours le dernier mot, il doit être subordonné à la cause du « made in France ». Avec Fleur Pellerin, nous allons annoncer des mesures de politique industrielle pour les télécoms. Elles sont mal en point, des emplois disparaissent alors que le secteur est en croissance !

Pour l'environnement des entreprises, nous avons fait le choix avec le Premier ministre de stabiliser cinq grands impôts qui touchent de près la vie des entreprises : transmission, investissement, innovation et taxes locales. Aucun gouvernement n'avait pris pareil engagement sur cinq ans. C'est un acte politique majeur, comme l'accord du 11 janvier entre les partenaires sociaux.

Que les entreprises prises en ciseaux entre la baisse des coûts en Allemagne et leur montée en France manquent d'enthousiasme ne m'étonne guère, monsieur Furst. Sachez néanmoins que nous répétons à l'envi à Mme Merkel et aux dirigeants allemands qu'il faut faire remonter les salaires. Les déclarations communes faites au sommet du G20 de Los Cabos soulignaient la responsabilité des pays excédentaires à cet égard, pour faire cesser la désinflation compétitive. Si les Allemands ne font rien, ils risquent de précipiter l'Europe dans la récession, et eux avec. J'ai dit à mon homologue, le vice-Chancelier Philipp Rösler, qu'il fallait augmenter les salaires en Allemagne, pour faire repartir la zone euro. Nous attendons du gouvernement allemand, quelle que soit la majorité dont il sera issu, qu'il place au coeur de sa politique la demande, qui a été trop comprimée. D'ailleurs, la montée de la pauvreté en Allemagne est explosive.

Vous avez raison, monsieur le député, de soulever la question de l'instabilité juridique. À cet égard, le législateur est particulièrement concerné. Pour ma part, je fais de la résistance contre la prolifération des normes réglementaires, mais il serait bon que le législateur se penche sur les raisons du phénomène et qu'il l'endigue. Avec ses outils de contrôle qui lui permettent d'enquêter dans tous les ministères, le Parlement pourrait sans doute faire la lumière sur l'apparition de telle ou telle norme, et même sur l'origine de ses propres amendements.

S'agissant du moyen et long terme, l'État avait déserté le terrain industriel depuis des années. Sans ministère de l'industrie autonome, les titulaires étaient subordonnés aux intérêts de leur tutelle. Il n'y avait donc plus personne pour porter la contradiction et défendre les enjeux industriels face au ministère de l'environnement, à celui de l'économie ou de l'agriculture. Ce gouvernement a recréé les conditions d'un véritable débat public.

Il n'y a pas d'impuissance de l'État, sinon dans nos têtes. Prenez la nationalisation temporaire. Elle a été utilisée par l'Indonésie, l'Afrique du Sud, le Royaume-Uni, le Japon, l'Allemagne, les États-Unis, Singapour… L'affaire « Mittal-Florange » aura eu au moins le mérite de faire tomber un tabou. La nationalisation temporaire est un outil d'affirmation des politiques publiques, qui rappelle la force de la politique à une multinationale surendettée qui a fait des LBO familiaux pour racheter, avec de l'argent qu'elle n'avait pas, et moyennant les services de Goldman Sachs, l'acier des Européens. Nous faisons le choix de réarmer l'État. Le projet de loi sur les sites rentables va dans ce sens. Je reviens de Bruxelles où j'ai rencontré les ministres de l'industrie belge et luxembourgeois, Jean-Claude Marcourt et Étienne Schneider. Pour la première fois, un front politique et syndical européen est en train de se dessiner face au groupe Mittal. Pour la première fois, la Commission européenne a demandé à une multinationale, qui a détruit 35 000 emplois en Europe depuis cette malheureuse OPA de 2006, de suspendre son plan social. L'esprit industriel viendrait-il enfin à l'Europe ? J'ai remercié et félicité le commissaire Tajani. Il y a donc moyen de reprendre la main et d'affirmer des positions plus fortes face aux exigences des marchés financiers qui ont la vue aussi courte que leurs appétits sont démesurés.

Au sujet des salariés détachés par leur pays d'origine, nous avons sonné l'alarme au plan européen. Les cas d'illégalité sont nombreux : être payé au SMIC polonais ou tchèque en France est illégal. Ce sont les résidus de la directive Bolkestein, du nom de ce taliban de l'ultralibéralisme qui défendait systématiquement la baisse du coût du travail et la hausse du coût du capital. Nous avons fait le choix de combattre ces pratiques illégales et nous demandons à nos partenaires de faire de même et de pousser à la hausse des salaires partout en Europe. C'est cela aussi l'Europe, elle peut aussi être sociale.

S'agissant de la construction d'une ligne de chemin de fer entre la Chine et l'Europe, sachez que je suis pour une remontée du prix des transports, parce que c'est un facteur de démondialisation, et de rapprochement des lieux de production et de consommation. Si nous voulons réindustrialiser l'Europe, nous avons intérêt à faire remonter les prix de la logistique et les salaires dans les pays d'Asie. Je n'approuve donc pas le projet de la Deutsche Bahn, par souci de cohérence. Vous pensiez que j'avais changé, monsieur Furst, je vous montre qu'il n'en est rien.

Oui, le taux de marge est un indicateur significatif de l'affaiblissement de notre économie dans la compétition européenne, d'abord, mondiale ensuite. Le Pacte de compétitivité devra régulièrement être réévalué avec la Représentation nationale en fonction des besoins de l'économie.

Quant aux délais de paiement de l'État, le sénateur Martial Bourquin s'est vu confier une mission à ce sujet. Nous sommes donc en plein travail sur ce sujet.

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