Je souhaiterais dire un mot sur nos missions et nos moyens avant de vous adresser trois messages qui me semblent importants dans le contexte actuel. Vous l'avez rappelé, l'IRSN a été créé il y a un peu plus d'une dizaine d'années, pour répondre à la volonté politique – je pense notamment au rapport de M. Le Déaut – que l'État dispose d'un expert public indépendant, tant vis-à-vis de la sphère nucléaire – cette expertise émanait auparavant du CEA – que de l'ASN, sur les plans fonctionnel et budgétaire. Nos missions sont au nombre de cinq. La première d'entre elles est une mission de recherche, qui consomme en proportion le plus de ressources. C'est l'une des clés de notre indépendance de jugement ; elle nous offre les moyens, lorsque nous effectuons une analyse pour le compte des pouvoirs publics, d'exprimer un point de vue différent, voire de contester les données fournies par les exploitants nucléaires. La recherche nous permet de conserver un temps d'avance. Par exemple, l'IRSN a élaboré le concept de noyau dur, qui n'apparaissait pas dans les rapports établis spontanément par les exploitants à la suite des premières demandes de l'ASN.
En deuxième lieu, nous assumons une mission centrale d'appui technique aux pouvoirs publics. En ce sens, notre premier client est l'ASN, auquel il convient d'ajouter l'autorité de sûreté de la défense ; à ce propos, le ministère de la défense insiste de longue date sur le fait qu'il ne doit pas y avoir deux doctrines de sûreté, l'une pour le secteur civil, l'autre pour la dissuasion. C'est extrêmement important et l'IRSN est l'un des garants de cette unicité. Par ailleurs, d'autres ministères ont recours à l'expertise de l'IRSN, que ce soit dans le domaine de la sûreté nucléaire ou dans d'autres secteurs particuliers.
Notre troisième mission consiste en la surveillance radiologique du territoire et des personnels exposés aux rayonnements ionisants à titre professionnel ou médical, soit plus de 200 000 personnes. Nous disposons d'un réseau de centres de surveillance de l'atmosphère, des eaux fluviales, des aérosols et des produits alimentaires. Cela nous a permis, après l'accident de Fukushima, de prédire et de publier les données relatives aux traces de la contamination radioactive qui s'est peu à peu diffusée.
En quatrième lieu, nous prenons en charge une mission d'information du public, des décideurs et en particulier des parlementaires. Nous nous efforçons d'ouvrir nos dossiers à tous ceux qui en ont besoin, notamment aux commissions locales d'information (CLI) situées à proximité des sites nucléaires, dont l'efficacité dépend de la compréhension de ces sujets.
Enfin, en notre qualité d'établissement industriel et commercial, nous faisons bénéficier les entreprises qui rencontrent des difficultés en termes de sûreté et de radioprotection, tant en France qu'à l'étranger, de formations et de diverses prestations ; nous participons à des programmes de recherche partagée cofinancés avec des États étrangers, notamment les États-Unis, le Japon et l'Allemagne.
S'agissant des ressources, les quatre premières missions sont prises en charge par des fonds publics, qui émanent de deux sources. La première est une subvention en provenance du programme 190 de la mission Recherche et enseignement supérieur, qui est un programme distinct de celui qui finance l'ASN. Nous tenons d'ailleurs beaucoup à cette séparation budgétaire, qui est l'une des clés de notre indépendance et de la validité politique du système de sûreté nucléaire dans notre pays. À cette subvention, qui s'élève à 205 millions d'euros en 2012, s'ajoute la contribution de 48 millions d'euros résultant de la taxe prélevée sur les exploitants nucléaires et un montant de ressources propres légèrement inférieur à 60 millions, pour aboutir à un budget de fonctionnement et d'investissement de l'IRSN de 310 millions.
Nous nous fixons pour mission de dépasser les simples tâches de « notariat » technique et de faire réellement avancer la sûreté. En effet, en la matière, qui n'avance pas recule. Comme l'a rappelé M. André-Claude Lacoste, il est nécessaire de constamment progresser, et cela se fera notamment par l'innovation technique. Il convient d'encourager les exploitants et les industriels à tirer tout le parti possible des technologies et savoirs nouveaux pour que la sûreté et la radioprotection puissent progresser en France de manière permanente.
Cette présentation générale étant faite, je souhaiterais vous adresser trois messages. Le premier d'entre eux concerne les moyens dont dispose l'Institut. L'IRSN a bénéficié lors de sa création d'une dotation très correcte et cela n'a pas varié depuis lors. J'exprime à ce propos ma reconnaissance à la représentation nationale et à nos administrations de tutelle. Cela étant dit, nous sommes bien conscients des efforts budgétaires que le pays doit accomplir et l'IRSN est naturellement prêt à en prendre sa part. Je me permets simplement d'attirer votre attention sur le fait qu'il faut améliorer la productivité et ne pas abîmer notre potentiel de recherche. Il convient donc que l'on travaille à ce sujet avec les ministères et l'ASN, afin de préserver l'outil scientifique de l'IRSN.
En deuxième lieu, le temps nucléaire est un temps long, en particulier au regard du temps politique, et la gestion de ce temps fait partie de la sûreté. L'absence d'anticipations longues pourrait être préjudiciable à la sûreté nucléaire. Il est essentiel à cet égard que la sûreté soit prise en compte très en amont des projets. L'histoire de l'industrie nucléaire française montre que beaucoup de décisions ont été prises sans qu'il soit tenu compte de la sûreté, qui est longtemps apparue comme une simple question de logistique dévolue aux spécialistes. Nous demandons au pouvoir politique de se préoccuper très en amont des questions de sûreté. En particulier, s'agissant du futur programme, non encore défini, de transition énergétique, la sûreté devrait être l'un des points-clés à prendre en compte. Je citerai l'exemple du Canada, où l'autorité de sûreté a demandé l'arrêt de l'exploitation d'un réacteur de recherche servant à fabriquer des radionucléides médicaux, vieux de plus de quarante ans, qui connaissait des difficultés. Toutefois, cette mesure se serait heurtée à des préoccupations de santé publique, puisque l'absence d'imagerie médicale aurait inévitablement entraîné des décès. Le pouvoir politique a décidé de maintenir l'exploitation de ce réacteur, ce qui n'était sans doute pas une mauvaise décision au regard du contexte. Toutefois, cette situation résultait de l'absence de prise en compte de la sûreté en amont.
Mon troisième message porte sur l'Europe. Je partage les préoccupations exprimées par M. Lacoste. Les pays européens mènent des politiques nucléaires en partie divergentes et parfois contradictoires. Or, les études menées par l'IRSN montrent que les conséquences d'un accident nucléaire en Europe seraient équivalentes à celles d'une guerre. Dans un ou deux pays de l'Union européenne dotés de faibles capacités nucléaires civiles, les moyens dédiés à la sûreté sont très insuffisants au regard des risques existants. Lorsqu'on réduit le nombre de réacteurs, les moyens nécessaires à la sûreté ne peuvent être réduits à due proportion. Or, certains pays ne disposent pas des moyens de faire face à une crise ni même, peut-être, de faire avancer la sûreté au quotidien, comme nous le faisons en France. Cela est d'autant plus préoccupant que certains de ces pays ont importé des technologies américaines. Or, la doctrine réglementaire américaine – c'est là un de nos sujets de discussion majeurs avec les États-Unis – ne mentionne pas la protection de l'environnement parmi les objectifs à poursuivre en cas d'accident nucléaire. Certains pays européens ont peu ou prou repris à leur compte ces principes, ce qui crée une situation relativement instable. Certes, la sûreté nucléaire demeure une prérogative nationale mais il faut être capable de parvenir à une mutualisation de nos moyens. À défaut, le jour où un accident se produira, nous n'aurons plus que nos yeux pour pleurer. C'est un sujet extrêmement complexe qui appelle non seulement l'intervention des spécialistes, mais aussi et surtout du Parlement européen et des différents gouvernements.