Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 25 juillet 2012 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Serge Lepeltier :

Il est effectivement primordial que le Parlement soit informé de l'évolution de négociations qui se déroulent tout au long de l'année, pour aboutir en novembre-décembre à la conférence des Parties – à Copenhague, à Cancún, à Durban l'an passé et à Doha cette année.

A la surprise de la plupart des observateurs, la conférence de Durban fut un vrai succès. On s'attendait à un constat de faiblesse ; la conférence a, au contraire, débouché sur deux décisions fortes.

En premier lieu, il a été décidé de poursuivre la mise en oeuvre du Protocole de Kyoto, qui a jeté les bases d'une véritable politique pour limiter à terme les émissions de gaz à effet de serre, mais dont la période d'engagement, pour les pays développés, devait se terminer à la fin de 2012.

En second lieu, il a été décidé de lancer un processus de négociations – une « feuille de route » – devant aboutir, à la fin de 2015, à un accord global concernant non seulement les pays développés – dits « de l'annexe I » et qui, pour l'instant, sont les seuls à s'être engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – mais tous les pays du monde, y compris ceux qui sont émergents ou en développement. Cet accord devrait entrer en application à partir de 2020.

En outre, on a pu constater à Durban des avancées continues et assez fortes dans l'application des décisions prises lors de précédentes conférences des Parties.

Que peut-on attendre de Doha ? Les débats porteront sur trois thèmes.

Le premier, que je viens d'évoquer et qui est d'une actualité quasi permanente, est la mise en oeuvre de toutes les décisions qui ont été prises précédemment à Copenhague, à Cancún, à Durban, qu'elles concernent le « Fonds vert », le comité technologique – c'est-à-dire les transferts de technologie des pays développés vers les pays en développement –, la question de l'adaptation et la création de l'Adaptation Committee, ou le système MRV (Measurement, Reporting and Verification) – qui vise à créer des méthodes de mesure, de rapport et de vérification communes à tous les pays du monde et acceptables par tous.

Le deuxième sera le niveau d'ambition en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020. Il est en effet impératif que nous engagions d'ici là une politique permettant de limiter à 2 degrés Celsius l'augmentation de la température par rapport à la période préindustrielle. Aujourd'hui, les pays n'ont pris que 60 % des engagements nécessaires pour atteindre cet objectif. C'est dans ce cadre que se pose la grande question de Kyoto, sur laquelle je reviendrai.

Enfin, le troisième grand sujet est l'accord global que j'ai évoqué, qui devrait aboutir en 2015 et être appliqué en 2020, et que l'on appelle désormais la « plateforme de Durban ». Certes, tout ne sera pas décidé à Doha en 2012. Mais, si l'on s'en remet à une discussion générale jusqu'en 2015, sans procéder par étapes, sans définir les jalons des décisions à prendre d'ici là, chaque année, dans tel ou tel secteur, on risque de se replonger dans la situation que l'on a connue entre la conférence de Bali et celle de Copenhague : après qu'on avait privilégié la discussion générale, il avait fallu tout décider dans les six derniers mois et on n'était finalement parvenu à aucune décision véritable.

Cependant, pour conclure cet accord global, il ne faudra pas oublier que l'on ne peut pas attendre de tous les pays qu'ils prennent les mêmes engagements. L'Inde, qui émet 1,5 tonne de gaz à effet de serre par habitant, ne peut être comparée aux États-Unis, qui en émettent 20 tonnes.

Le président Chanteguet m'a très justement interrogé sur les enjeux des négociations internationales. Je tâcherai de ne pas trop entrer dans des considérations techniques, pour me concentrer sur les questions politiques qui concernent à la fois le Gouvernement et le Parlement.

Il a donc été décidé à Durban de prolonger le Protocole de Kyoto pour une seconde période d'engagement commençant le 1er janvier 2013. Il faut absolument que des décisions juridiques concernant ce que l'on appelle le « deuxième KP » (Kyoto Protocole) soient prises à Doha avant le 31 décembre de cette année. Toutefois, pour avoir pleine force juridique, il faut qu'un amendement au Protocole soit ratifié par tous les pays : celui-ci devra l'être par les vingt-sept pays membres de l'Union européenne, sans exception – l'Europe étant quasiment la seule à avoir décidé d'entrer dans ce processus. Cela ne se fera pas en une semaine – la ratification du Protocole de Kyoto avait pris plus de deux ans : en d'autres termes, au 1er janvier 2013, il n'y aura plus de véritable contrainte juridique pour les Etats, puisque l'amendement n'aura pas été ratifié par tous. Il faut donc, en parallèle, que ces États s'engageant dans la deuxième période de Kyoto manifestent la continuité de leur mobilisation sous forme d'une déclaration politique forte ayant valeur d'engagement.

On peut cependant s'interroger sur la durée de la deuxième période d'engagement : cinq ou huit ans. La France a déclaré qu'elle n'avait pas de préférence et ferait sienne la décision qui serait prise, mais l'Europe est favorable à la solution des huit ans : la plateforme de Durban sur l'accord global devant s'appliquer à partir de 2020, une période de cinq ans – qui ne nous mènerait que jusqu'en 2017 – n'aurait pas le même niveau d'ambition. Comme il est exclu d'envisager une troisième période, c'est plutôt l'hypothèse des huit ans qui est privilégiée. Toutefois, quelques pays – notamment les États insulaires – penchent pour la période de cinq ans, car leur survie est en jeu et ils considèrent que, sans une action vigoureuse et rapide, ils vont disparaître, submergés par la montée du niveau des mers. Les ONG défendent également plutôt la période de cinq ans. Pour ma part, je ne crois pas que le sujet soit fondamental : il vaut mieux mettre en place une politique sérieuse sur une longue durée que de devoir renégocier toutes les actions dans cinq ans.

La question du report des unités de quotas attribués (UQA) est, elle, extrêmement importante. Certains pays comme la France, ayant mené une bonne politique et réduit plus que prévu leurs émissions de gaz à effet de serre, n'ont pas consommé tous leurs quotas. On peut certes considérer que cette circonstance est due à la crise économique qui, ralentissant le développement, a entraîné une réduction des émissions. Il n'en reste pas moins que la France n'est pas la seule à avoir des quotas disponibles : les pays de l'est de l'Europe sont dans la même situation. Lorsque le Protocole de Kyoto a été signé, l'Europe ne comprenait en effet que quinze membres et, pour le faire ratifier aux dix pays d'Europe de l'Est qui ont adhéré à l'Union par la suite, on a eu tendance à leur attribuer des quotas plutôt élevés : certains pays s'étant beaucoup restructurés, il est évident que leurs émissions de gaz à effet de serre n'ont pu que se réduire et ils disposent donc d'excédents de quotas extrêmement importants.

Il est évident que le report de la totalité des quotas limiterait considérablement l'action que l'on pourra mener par la suite. Même si le niveau d'ambition est élevé, ne sera-t-on pas tenté de recourir aux quotas que l'on n'a pas utilisés précédemment et de se dispenser de mener une véritable politique d'action contre le changement climatique ? Cette question majeure est en débat au niveau européen. Certains pays de l'Est veulent que l'on transfère la totalité des quotas. La Commission européenne considère que nous serons de toute façon obligés de le faire, puisque nous ne pourrons obtenir l'unanimité au Conseil européen pour l'empêcher, mais, comme elle a la possibilité de limiter l'utilisation des quotas – y compris ceux qui ont été transférés –, elle ferait en sorte qu'ils ne puissent pas être vendus dans les premières années.

Il s'agit également d'une question politique pour notre pays, où le ministère du budget et le ministère des finances ont tendance à considérer qu'il faut transférer tous les quotas disponibles pour pouvoir les vendre et en retirer de l'argent. Bien que le prix du carbone soit extrêmement bas aujourd'hui – six euros la tonne –, on pourrait en effet en obtenir quelques centaines de millions d'euros ; à vingt euros la tonne, prix constaté précédemment, ce serait en milliards d'euros de recettes supplémentaires que l'on compterait.

Enfin, la question de la fixation des objectifs de réduction (Quantified Emission Limitation and Reduction Objective, QELRO) se pose également. Dans le cadre du paquet Énergie-climat, l'Europe s'est engagée sur un objectif de réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

Venons-en aux enjeux de la plateforme de Durban. Certes, la feuille de route doit nous conduire à prendre des décisions en 2015 et l'accord global concernera tous les pays en 2020, mais il ne faut pas rester inactifs en attendant cette échéance et négliger de fixer le niveau d'ambition. Il y a urgence : des organismes comme l'Agence internationale de l'énergie, dont la sensibilité n'est pourtant pas particulièrement écologiste, commencent à montrer, en se fondant sur des données chiffrées, que, si nous n'agissons pas d'ici à 2017, l'augmentation de la température dépassera les 2 degrés Celsius. Que pouvons-nous faire, d'ici à 2020, pour que tous les pays développés et tous les pays émergents se lancent dans une action d'envergure ?

Le texte prévoit que l'accord global concernera tous les pays – « all the countries ». Mais tous ne pouvant pas prendre le même type d'engagement, il faudra respecter un principe d'équité, en se demandant s'il vaut mieux considérer le niveau d'émission de gaz à effet de serre par habitant ou le niveau global, s'il faut fixer les mêmes objectifs à ceux qui ont toujours beaucoup émis et à ceux qui n'ont jamais émis et à qui l'on interdirait d'émettre et donc de se développer économiquement. Il faudra également prendre en considération un second grand principe, celui de la responsabilité « commune mais différenciée » – « commune » à l'ensemble des pays, mais « différenciée » selon qu'ils sont développés ou en développement, selon qu'ils ont émis ou n'ont pas émis.

Pour l'heure, nous devons donc répondre à plusieurs questions. Sommes-nous dans le temps du remue-méninges, comme le voudraient les pays qui souhaitent différer la décision, ou devons-nous en finir sans tarder avec les discussions théoriques et abstraites, pour entrer dans le concret et proposer des solutions d'engagement respectant le principe d'équité pour chaque pays ? Faut-il valider des indicateurs d'émission par habitant ou par PNB ? Faut-il adopter un système d'itération, permettant d'adapter le niveau d'engagement d'un pays si l'on s'aperçoit en cours de route qu'il est insuffisant ?

Au-delà de l'accord multilatéral, il est important que les engagements domestiques des pays eux-mêmes soient suffisamment élevés et se traduisent par de véritables actions. Il s'agit également d'un sujet politique : certains refusent les contraintes internationales et justifient leur non-accord sur le plan multilatéral en expliquant qu'ils font déjà beaucoup.

La question des financements doit être examinée en parallèle. À Copenhague et à Cancún, l'engagement a été pris de doter le « Fonds vert » de 100 milliards de dollars d'actions par an à partir de 2020. Toutefois, on a pu avoir l'impression que les pays développés allaient mettre 100 milliards de dollars dans ce Fonds, qui aurait donc à gérer une telle somme. Ce n'est pas le cas. Ces 100 milliards de dollars représentent la somme des actions des pays développés en direction des pays en développement. Certaines existent déjà –par exemple, en France, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement – et seront comptabilisées dans le Fonds vert. Si tout ne doit donc pas passer par le Fonds vert, il exercera un effet de levier grâce à des fonds publics qui devront s'accompagner de fonds privés : c'est leur addition qui constituera les 100 milliards de dollars.

La question de l'opérationnalisation du Fonds vert s'est posée. Il a été très difficile de nommer les membres de son conseil d'administration, mais les pays développés ont fini par se mettre d'accord. La France aura un représentant permanent, circonstance assez rare. La première réunion, qui devait se tenir en mai, a été remise à la fin du mois d'août.

Cependant, le Gouvernement devra répondre assez rapidement à la question du fonds de capitalisation du Fonds vert : comment doit-on assurer son fonctionnement administratif et comment peut-on le mettre en situation d'agir et d'aider les projets dans le monde ?

Enfin, la question des sources de financement s'est posée lorsque la France présidait le G20. La France a toujours dit, comme d'autres pays du reste, que, en raison de la situation économique, les budgets des États ne pourront pas financer le Fonds vert et qu'il faudra trouver de nouvelles sources de financement innovantes. Cela concerne bien sûr la taxe sur les transactions financières – la France et l'Europe ont déjà partiellement pris cet engagement –, mais également d'autres mesures sur ce que l'on appelle « les Bunkers » – transports aériens, transports maritimes –, la suppression ou la limitation des subventions aux énergies fossiles, qui représentent des milliards d'euros dans le monde et qui pourraient être consacrées à d'autres actions.

Quelques questions politiques vont rapidement se poser. Ainsi, quel sera le niveau d'ambition pour la France ? Notre pays s'est engagé, dans le cadre du paquet Énergie-climat, à réduire ses émissions de 20 % d'ici à 2020 et la feuille de route européenne, qui propose une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 25 %, n'a pas encore été totalement adoptée : vingt-six pays la soutiennent, la Pologne étant le seul à n'y avoir pas complètement adhéré. Toutefois, certains pays européens, tels le Royaume-Uni et l'Allemagne, se sont déjà engagés à une réduction de 30 % d'ici à 2020. La France les suivra-t-elle ou s'en tiendra-t-elle à 20 ou 25 % ? Les grandes entreprises françaises acceptent qu'il y ait des engagements forts, mais à condition que soient fixés des délais raisonnables – 2030 plutôt que 2020 – qui leur donneraient une visibilité à long terme et permettraient les investissements nécessaires.

D'autre part, il faudra également s'interroger sur l'utilisation des ventes de quotas. À partir du 1er janvier 2013, un pourcentage des quotas qui seront attribués aux entreprises – ce que l'on appelle, au niveau européen, les ETS – sera vendu. L'Europe réfléchit actuellement à la question de savoir s'ils doivent être vendus aux enchères et s'il faut fixer un prix plancher. Pour l'instant, chaque État est maître de l'utilisation de ces sommes, mais nous devons nous demander ce que nous en ferons à l'avenir. Seront-elles consommées au niveau domestique ou au niveau international ? Serviront-elles à l'aide aux pays en développement, à la lutte contre le changement climatique ou seront-elles reversées au budget général de l'État ? Cette dernière hypothèse est envisagée par Bercy : ces sommes peuvent devenir importantes et la question politique n'en sera que plus aiguë. Les organisations non gouvernementales estiment qu'il faut aider les pays en développement, mais, quand on connaît la situation budgétaire des États, on ne peut rien exclure.

Enfin, une dernière question politique se posera à Doha. Je l'ai dit, les pays développés se sont engagés à doter le Fonds vert de 100 milliards de dollars à partir de 2020. En début d'action, il y a eu ce que l'on a appelé le « fast-start », qui prévoyait de financer sur trois ans – de 2010 à 2012 – pour 30 milliards de dollars – soit 10 milliards par an – d'actions destinées à lutter contre le changement climatique au niveau mondial. La France, qui devait concourir pour 450 millions d'euros par an, a parfaitement respecté son engagement. Toutefois, ce programme s'arrête en 2012 et rien n'est prévu, ensuite, de 2012 à 2020. Les pays en développement vont donc profiter de Doha pour demander aux pays développés ce qu'ils comptent faire durant cette période, s'ils vont continuer à les aider et s'ils prennent des engagements dans le cadre d'un nouveau fast-start.

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