Intervention de Serge Lepeltier

Réunion du 25 juillet 2012 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Serge Lepeltier :

Le président Chanteguet et M. Baupin m'ont interrogé sur le financement précoce. Je confirme qu'il n'y a pas de redéploiement et que les crédits destinés à l'aide au développement ne sont pas détournés vers la lutte contre le changement climatique. Le Gouvernement pourrait vous fournir des chiffres qui montrent qu'il existe à la fois des financements multilatéraux – par exemple, le financement du Fonds pour l'environnement mondial – et des financements bilatéraux d'aide à certains États. En 2010, 2011 et 2012, les sommes consacrées à la lutte contre le réchauffement climatique ont été apportées en plus de ce qui allait précédemment à l'aide au développement. Il est vrai – la confusion s'explique peut-être par cela – que certains pays ont cru que nous allions leur donner des subventions supplémentaires, alors qu'il s'agissait de mener de nouvelles actions. Ainsi, l'aide française au développement se fait surtout par l'intermédiaire de prêts qui permettent de réaliser certaines actions. D'après les chiffres officiels, les 450 millions d'euros ont bel et bien été versés, à peu de choses près : 425 millions en 2010 et 435 millions en 2011.

Certains députés se sont inquiétés de la lenteur, bien réelle, des négociations. Il faut considérer que ce sont plus de 190 pays qui y participent et que le système onusien implique que soit trouvé un consensus. Certes, on considère aujourd'hui que l'opposition d'un seul pays n'empêche pas que le consensus soit valide du point de vue juridique. Mais si un petit groupe de pays s'oppose à une décision, le consensus est impossible. Les négociations sont donc compliquées, chaque pays ne peut pas voir tous ses souhaits réalisés.

Cependant, la lenteur de ces négociations doit-elle nous dispenser d'agir ? Aujourd'hui, les entreprises ont compris qu'agir contre le changement climatique, c'est agir pour le développement économique et qu'en limitant les émissions de gaz à effet de serre, on limite les consommations d'énergie et donc les coûts pour l'entreprise. Plus nous anticiperons sur la lutte contre le changement climatique, plus nous serons en avance par rapport à d'autres pays sur le plan économique. On l'a dit, les États-Unis ne veulent pas de contraintes internationales, mais cela ne les empêche pas d'agir au niveau des recherches technologiques et au niveau scientifique pour mettre en place des systèmes qui, à terme, permettront de limiter la consommation d'énergie. Ce jour-là, ils accepteront la contrainte internationale.

Il est vrai que la compréhension des enjeux par l'opinion publique n'est pas suffisante, même si celle-ci a parfaitement intégré la gravité du changement climatique. Un député a eu la franchise de reconnaître qu'il avait des difficultés à maîtriser ces sujets : c'est qu'ils sont très complexes. Je tâche en en parlant d'être aussi synthétique que possible, car, dès qu'on entre dans le détail technique, on n'y comprend plus rien. Il faut donc essayer d'expliquer très simplement les enjeux à l'opinion et commencer par lui dire que lutter contre le changement climatique, c'est en réalité diminuer nos consommations d'énergie, que ce n'est pas pénaliser l'économie, mais l'aider. Certaines grandes entreprises, certains secteurs économiques qui, étant grands émetteurs de gaz à effet de serre, étaient à l'origine très réticents, constatent que les investissements qu'ils ont entrepris en ce domaine les aident économiquement et les mettent en situation de mieux affronter la concurrence.

Plusieurs députés m'ont également interrogé sur l'aspect diplomatique de ce dossier. J'ai abordé la question hier lors d'un entretien avec la ministre chargée de l'écologie. Le changement climatique est un élément de plus en plus important des relations diplomatiques. Au début de l'année, je me suis rendu en Inde, pays qui se considérait comme « violé » par l'accord de Durban – la dernière phase des négociations avait en effet opposé l'Europe et l'Inde. Dans la relation diplomatique que nous avons avec ce pays, la prise en compte de ses préoccupations sur son niveau d'engagement est aujourd'hui très importante. J'ai développé cette idée auprès des ministres des affaires étrangères successifs, leur recommandant d'aborder cette question dans le cadre des relations bilatérales avec d'autres ministres des affaires étrangères, afin de montrer que nous sommes soucieux d'évoluer ensemble dans la lutte contre le changement climatique.

On m'a demandé un état de la question scientifique. Sur ce point, ce n'est pas au nom de la France que je répondrai, mais en m'exprimant à titre personnel. Nous aurons beaucoup de mal à ne pas dépasser les deux degrés Celsius de hausse de la température moyenne. Chaque fois que le GIEC publie un rapport, il donne une fourchette comportant des minima et des maxima : comme par hasard, on constate chaque fois que ce sont toujours les maxima qui sont atteints. Aujourd'hui, on peut être à peu près assuré qu'on aura atteint les deux degrés Celsius d'augmentation en 2050. Nous avons d'ores et déjà atteint un degré. Certes, deux degrés Celsius, cela peut paraître négligeable et il est vrai que la planète a déjà connu, par le passé, une telle augmentation des températures. Mais, à l'époque, l'homme n'avait pas encore fait son apparition sur Terre. Ainsi, en deux siècles, nous aurons accompli un bond de plusieurs centaines de milliers d'années en arrière.

Permettez-moi de vous donner un ordre de grandeur, qui intéressera particulièrement ceux dont la circonscription est située en bord de mer. Lorsque la planète avait une température moyenne supérieure de deux degrés Celsius à celle d'aujourd'hui, le niveau des océans était plus élevé de 25 mètres. Cela signifie donc que nous connaîtrons une élévation équivalente : cela ne se fera pas en cinquante ans, cela n'arrivera ni au XXIe siècle ni au XXIIe siècle, mais c'est inéluctable. Or vous imaginez ce que cela représente en termes d'adaptation pour la vie sur la planète.

On m'a également interrogé sur les perspectives de réussite de Doha. La suite de Kyoto ne sera pas facile, car l'Europe ne peut s'engager seule dans la deuxième période sans obtenir de contreparties. Doha ne sera pas une grande conférence des Parties, mais une réunion de transition progressive entre la conférence de Durban, qui a été très importante, et celle de 2015, qui le sera plus encore. On peut certes s'interroger sur la manière de jalonner d'ici là, mais aucun enjeu majeur ne sera discuté à Doha.

Il est vrai que je n'ai pas évoqué la conférence sur la biodiversité qui doit se tenir en Inde. Mais je ne suis responsable que des négociations sur le réchauffement climatique : il existe un ambassadeur chargé de l'environnement, compétent pour tous ces sujets, en dehors du climat. Néanmoins, l'extrême intérêt de cette conférence sur la biodiversité n'est pas douteux, car la question est, avec le climat, la plus importante sur le plan international.

Pour revenir sur la question de la baisse des quantités de quotas mis aux enchères, je rappelle que, outre le transfert des quotas déjà attribués (UQA), des quotas seront vendus aux entreprises. Le sujet est actuellement en discussion à la Commission européenne et rien n'est encore arrêté. Dans la mesure où l'accord des vingt-sept États membres est nécessaire pour augmenter le niveau d'ambition, il faut pouvoir restreindre les possibilités des entreprises en l'absence d'unanimité, et donc trouver des solutions qui permettraient d'augmenter le niveau d'ambition sans passer par une décision effective.

J'ai beaucoup travaillé, lorsque j'étais ministre de l'environnement, sur la question de l'Organisation mondiale de l'environnement. Nous avons enregistré quelques avancées à Rio + 20, puisque nous allons renforcer le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE), dont le siège est à Nairobi, lui donner davantage de moyens et, surtout, y faire participer l'ensemble des pays – alors qu'aujourd'hui, seuls les pays volontaires y sont associés. Mais il ne s'agit que d'un début d'avancée vers la création une agence, à laquelle nombre de pays sont encore opposés, car ils ne veulent ni des contraintes ni surtout d'une organisation qui soit, dans le domaine de l'environnement, l'équivalent de l'Organisation mondiale du commerce. Quoi qu'il en soit, nous ne devons pas renoncer à ce projet sous prétexte que Rio + 20 a été marqué par des progrès et qu'on pourrait en rester là. La France doit se montrer extrêmement ambitieuse sur ces questions déterminantes pour l'avenir de la planète.

Un député m'a demandé si d'autres pays avaient pris des dispositifs semblables à ceux des Grenelle I et II. Je dois dire, en toute objectivité, que la France est aujourd'hui considérée comme l'un des pays les plus en pointe sur les questions environnementales. Il y a dix ans, notre pays était en retard dans l'application des normes internationales et européennes. Le Grenelle de l'environnement a changé la donne. Aucun autre pays au monde n'a engagé de telles actions. Je ne prends pas ici de position politique, je relate simplement ce qui est ressenti sur le plan international.

M. Baupin a posé une question sur les alliés de l'Europe. Si Durban a été un succès, c'est parce que l'Europe a constitué une force avec l'Alliance des petits États insulaires (AOSIS) et les pays les moins avancés. La grande inconnue était l'attitude de la Chine, laquelle a tendance à se présenter comme un pays en développement qui a besoin d'être aidé. Nous avons convaincu les pays les moins avancés de rappeler à la Chine que, si elle ne faisait rien, alors qu'elle émet déjà beaucoup de gaz à effet de serre, ce seraient eux qui en subiraient les conséquences. Cette attitude a fait évoluer la Chine. Le lien entre l'Europe et les pays les moins avancés et les États insulaires a donc influé sur la Chine. Il nous faut à présent renforcer ce lien, mais ne pas trop l'officialiser. En effet, si nous officialisons des liens en créant des groupes, les autres pays se sentiront marginalisés – comme on a pu le voir à Copenhague – et ils refuseront de signer des accords à la discussion desquels ils n'ont pas participé.

Il est vrai que la crise économique mondiale risque d'inciter à passer d'une stratégie de lutte contre les émissions à une stratégie d'adaptation. Dans l'opinion publique, ce sujet l'emporte sur tout, ce qui est bien compréhensible au regard de l'emploi. J'étais aux États-Unis en septembre dernier où les membres du Congrès me disaient que le changement climatique était devenu tabou, qu'on ne pouvait plus en parler. L'opinion publique a certes pris conscience des problèmes qui se posent, mais tout le monde dit : « Le job d'abord, et pour le reste, on verra après. ». Il ne faut pas négliger ce risque : si nous changeons de stratégie, nous connaîtrons de brusques augmentations des prix de l'énergie et nous casserons l'économie. Si nous voulons assurer le développement économique à long terme, je suis convaincu que la lutte contre le changement climatique peut être un élément de durabilité économique.

On a parlé, à Rio + 20, de l'accès mondial à l'énergie. La France a pris, en liaison avec le Kenya, l'initiative Paris-Nairobi pour aider l'Afrique à se doter d'énergies propres. Renforçons cette initiative, donnons-lui des moyens. Accéder à l'énergie propre, c'est lutter contre la pauvreté et pour la santé. On le sait : en Afrique, dans le monde rural, plus de 80 % de la population n'a pas accès à l'énergie et fait cuire ses aliments au feu de bois ; cela induit une pollution responsable d'une augmentation de la mortalité, notamment chez les femmes, puisque ce sont elles qui préparent les repas. Sans énergie, le développement économique est impossible. C'est au XIXe siècle, quand l'énergie a irrigué l'ensemble des territoires, que nos pays ont commencé à se développer. Enfin, l'énergie propre, c'est de l'écologie.

M. Carvalho est allé un peu loin. Faut-il interdire les échanges avec les pays ne respectant pas les règles en matière de changement climatique ? Je rappelle les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui avec l'ETS dans l'aviation, système de quotas mis en place par l'Europe.

D'autre part, faut-il aider la Pologne ? Elle touche déjà beaucoup de fonds européens – en particulier, en matière agricole et rurale – et il me semble que, en contrepartie, elle peut consentir quelques efforts. C'est d'ailleurs l'argument que nous lui faisons valoir dans le cadre des discussions que nous avons avec elle sur les évolutions budgétaires des prochaines années. Je l'ai dit clairement au ministre polonais : lorsqu'on est seul contre vingt-six pays, on doit se poser la question du collectif. On ne peut nier que ce pays ait de grandes difficultés, puisque 95 % de son électricité provient du charbon. Il faut néanmoins que nous avancions ensemble. Dans les échanges que le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France ont actuellement avec elle, il faut se montrer convaincant, car nous ne pouvons pas accepter qu'un seul pays bloque le système. On ne peut pas être européen sans avoir l'esprit collectif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion