Intervention de Bernard Chevassus-au-Louis

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Chevassus-au-Louis, co-préfigurateur du projet de l'Agence nationale de la biodiversité :

Mesdames, messieurs les députés, merci de nous accueillir pour vous présenter le rapport que nous avons remis, il y a quelques jours, à Mme Delphine Batho. Pour ma part, je présenterai les éléments concernant le cadrage de l'Agence et ses missions ; Jean-Marc Michel, pour la sienne, présentera les aspects liés à son organisation et à ses moyens.

Notre lettre de mission précisait plusieurs points relatifs au cadrage de ce projet d'agence de la biodiversité. Tout d'abord, elle faisait explicitement référence à une agence qui, sur le modèle de l'ADEME, viendrait en appui aux opérateurs, aussi bien collectivités, qu'entreprises ou associations ; une agence qui travaillerait sur l'ensemble des champs de la biodiversité, qu'elle soit marine ou continentale, et aussi bien terrestre qu'aquatique ; une agence qui prendrait en compte non seulement la biodiversité remarquable, qui fait l'objet de mesures de protection et d'espaces réservés, mais aussi la biodiversité ordinaire qui existe dans les milieux agricole, urbain ou forestier, qui ne bénéficie pas de mesures de protection particulières mais dont on mesure de plus en plus aujourd'hui l'importance en termes d'écologie mais aussi d'économie.

Le cadrage géographique allait de la métropole jusqu'aux départements et territoires d'outre-mer ainsi que, dans le respect de leurs prérogatives et de leur autonomie, aux collectivités de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie. Le champ se voulait donc assez large.

Enfin, une référence forte était faite à l'ambition de la stratégie nationale pour la biodiversité, qui est la concrétisation des engagements de la France au niveau international, en particulier au titre de la convention sur la diversité biologique et des accords de Nagoya. À cet égard, le Président de la République avait évoqué la notion de reconquête, signifiant qu'il ne s'agissait plus simplement de stopper l'érosion de la biodiversité mais de la développer comme atout pour le développement durable, de l'envisager dans une logique de recapitalisation écologique, en créant du capital naturel qui, au même titre que le capital social ou économique, constituerait un atout pour demain. Il importe de bien souligner que l'Agence de la biodiversité ne sera pas une agence des aires protégées, mais un organisme qui fera de la biodiversité un élément central de notre économie et de la dynamique de nos territoires.

S'agissant de la méthode, la lettre de mission nous avait demandé un premier rapport pour le 31 janvier, un délai court puisque cette lettre nous avait été remise au début du mois de décembre. Au cours de cette période, nous avons procédé à une cinquantaine d'auditions individuelles ou collectives, en essayant de répondre à toutes les demandes d'audition des différentes parties prenantes, que ce soit des organisations professionnelles, des collectivités territoriales, des organismes ou des représentants des salariés. Nous avons également reçu des contributions écrites. La liste de ces diverses interventions figure dans le rapport qui vous a été transmis.

Une première présentation publique de ce rapport a eu lieu hier, devant le comité qui préfigure le Conseil national de la transition écologique. Nous sommes aujourd'hui devant vous. Il est indiqué dans la lettre de mission que nous aurons sans doute à continuer ce travail après qu'un certain nombre d'arbitrages seront intervenus et les cadrages précisés, pour le mener jusqu'à son inscription dans le projet de loi-cadre plus global relatif à la biodiversité.

Nous avons identifié les missions de l'Agence par paquets. Le premier paquet regroupe tout ce qui a trait à la formation, à l'éducation, à la sensibilisation, à la communication. Nous sommes conscients que la biodiversité et ses enjeux doivent encore faire l'objet d'un travail important d'explication auprès de personnes diverses – élèves, étudiants, entreprises, opérateurs. Dans ces domaines, la science évolue beaucoup ; il y a donc aussi des enjeux de formation, à la fois initiale et continue, auprès de toutes les personnes qui y travaillent, des employés des espaces verts dans les municipalités aux gestionnaires d'espaces naturels, de forêts ou autres. Loin de nous l'idée de dire que, jusqu'ici, rien n'a été fait ou que les choses ont été mal faites, au contraire. C'est parce que beaucoup d'opérateurs se sont mobilisés, tant au niveau des associations, des collectivités territoriales que de l'État, et ont essayé d'agir que l'on peut penser maintenant en termes de plus grande cohérence, ambition, valeur ajoutée. Il faut faire mieux et plus ensemble. C'est ainsi que, dans le domaine de la formation, il faudra travailler avec le centre de formation des collectivités territoriales, avec les opérateurs qui ont déjà des centres de formation et voir comment travailler davantage ensemble.

Le deuxième paquet de missions rassemble tout ce qui est lié à la connaissance, c'est-à-dire les données naturalistes, la connaissance de la répartition des espèces, des habitats, de la diversité de ces espèces, en distinguant bien la recherche au sens strict de la connaissance et de l'expertise. Nous disons clairement que l'Agence n'aura pas à s'occuper de la coordination de la recherche sur la biodiversité, car c'est essentiellement le rôle du ministère de l'enseignement supérieur. Toutefois, elle pourra être client des opérateurs de recherche si elle a besoin de mieux comprendre comment étudier la biodiversité, comment avoir des plans d'étude sur le territoire. En revanche, dans le domaine de la connaissance, c'est-à-dire parmi tous les opérateurs qui, depuis des années, veillent à recueillir des données sur l'ensemble du territoire, nous pensons nécessaire d'introduire cohérence et coordination. Les données naturalistes sur notre territoire sont assez denses, mais certaines zones sont très bien observées quand d'autres le sont beaucoup moins. La situation s'explique par le fait que ce sont des amateurs qui recueillent ces données, et qu'ils se répartissent de manière très variable d'un endroit à l'autre. La coordination et la planification du recueil de données sont donc vraisemblablement nécessaires, ainsi qu'une mise à disposition selon des formes adaptées. Les demandes en provenance d'une collectivité territoriale, d'une association ou d'une entreprise diffèrent selon le but de l'étude d'impact. Il faudra pouvoir mettre les données à disposition dans des formats adaptés aux différents utilisateurs.

Le troisième paquet de missions concerne toute la question de la gestion et de l'appui à la gestion. Sur ce sujet, nous n'envisageons pas une agence directement chargée de la gestion de territoires, à l'exception peut-être du cas particulier des aires marines protégées. Il nous semble que, entre les collectivités territoriales, les associations, l'État lui-même ou les opérateurs publics, le territoire bénéficie déjà d'un réseau important et motivé de gestionnaires d'espaces protégés. Le rôle de l'Agence sera plutôt de vérifier, en fonction du cahier des charges de ces espaces délégués en gestion, que cette gestion est bien effectuée.

Quatrième paquet, la police de la nature, qui est déjà assurée par un certain nombre d'opérateurs. Des réflexions ont déjà été menées sur l'évolution nécessaire de ces polices de la nature ; une réflexion complémentaire a encore été annoncée. Nous prenons position pour que l'Agence n'assure pas une telle fonction, qui apparaîtrait contradictoire avec son rôle d'appui et de soutien au travers de ressources techniques et de connaissances. En tout cas, cela contribuerait à brouiller la perception de l'Agence.

L'avant-dernier point est l'activité internationale. L'Agence n'est nullement pressentie pour reprendre des prérogatives régaliennes du Gouvernement dans les accords internationaux. Elle ne viendrait qu'en appui, pour expertiser les positions que la France peut adopter et défendre, les engagements qu'elle peut prendre de manière assez réaliste pour pouvoir les tenir. Elle serait aussi un opérateur de « rapportage », en étant capable, au regard d'engagements de la France à atteindre certains objectifs dans le cadre d'accords internationaux ou de conventions européennes, par exemple en matière de qualité des eaux ou des milieux, ou de niveaux de protection, de fournir régulièrement des états des lieux, donc d'assurer un suivi.

Le dernier point porte sur les capacités d'intervention financière que pourrait avoir l'Agence. Nous sommes davantage dans une logique d'investissements et programmes que dans une logique de guichet. Si l'on parle en termes de capital écologique, il faudra en priorité soutenir des opérateurs désireux de développer celui-ci de manière durable, comme ceux qui promeuvent les grands projets de trame verte et bleue qui visent à instaurer une continuité écologique sur le territoire. Il faut privilégier les programmes cohérents et d'investissement plutôt que la démarche de guichet qui consiste à attendre le client et à contribuer au fonctionnement de certains opérateurs.

Telles sont les missions que nous voyons pour l'Agence.

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