Intervention de Jean-Marc Michel

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Marc Michel, co-préfigurateur du projet de l'Agence nationale de la biodiversité :

Il me revient de compléter cette présentation par nos propositions en matière de périmètre, d'organisation, de gouvernance et de moyens de l'Agence.

Le périmètre est lié aux missions, aussi nos propositions mettent-elles l'accent sur certains sujets et en délaissent-elles d'autres. Nous sommes partis de la question suivante : la reconquête nécessite-t-elle de créer un organisme nouveau ou d'intégrer un organisme déjà existant ? Forts de l'ambition de regrouper les forces pour participer à cette quête d'efficacité environnementale au service de la biodiversité, nous avons choisi de proposer la naissance d'un organisme nouveau qui prendrait la forme d'un établissement public à caractère administratif. Cet établissement public serait créé en même temps que serait engagé par vous-mêmes le débat sur la loi-cadre relative à la biodiversité, en parfaite concomitance avec la vision politique du renouveau que vous voulez donner à cette politique publique. S'il s'était agi d'envisager l'intégration dans un organisme existant, immédiatement, nous aurions pensé à l'ADEME. Toutefois, nous avons renoncé à l'intégration, car l'Agence pour la biodiversité doit regrouper plusieurs petits opérateurs qui se seraient trouvés complètement dilués dans un organisme existant. Nous plaidons donc pour quelque chose de nouveau qui, politiquement, est plus lisible. Et puis, la biodiversité mérite bien qu'un organisme lui soit dédié.

Trois hypothèses étaient envisageables quant au rôle de l'Agence. La première en faisait une agence de stratégie, sans qu'on soit sûr qu'elle ait les capacités techniques d'assurer le pilotage et la stratégie pour toute une série d'acteurs. Dans le doute, nous n'avons pas proposé cette hypothèse, d'autant que nous poussions pour une agence de mobilisation et d'animation, qui ne se substituerait pas au Gouvernement pour exercer la tutelle des établissements publics et qui ne mettrait pas non plus d'intermédiaire technique entre une collectivité et ses gestionnaires d'espaces ou entre une branche professionnelle et ses acteurs. Voilà pourquoi l'agence de stratégie n'a pas été retenue, même si l'Agence de la biodiversité aura vocation à travailler en ce sens.

La deuxième hypothèse en faisait une agence de gestion des aires protégées. Nous avons pensé que les moyens déjà mis en place à cet effet par les collectivités, certaines ONG et l'État lui-même au travers des établissements publics tels que les parcs nationaux, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ou l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), à raison de 2 % du territoire national et de 10 % du territoire marin, n'étaient pas suffisants. L'ambition étant d'aller vers la reconquête de la biodiversité ordinaire, il faut s'occuper de 98 % de notre territoire national non artificialisé. C'est la raison pour laquelle nous avons préféré une agence d'appui et d'animation, qui couvrirait l'activité quotidienne d'opérateurs professionnels, associatifs et publics. C'est pourquoi cet établissement public à caractère administratif regrouperait des opérateurs existants et les conforterait. Quand, à la tête d'un réseau de conservatoires botaniques, il n'y a aujourd'hui que cinq ou six chargés de mission payés à 100 % sur une subvention de l'État, on peut s'interroger sur l'avenir de cette structure. Mais on peut aussi se demander si, en rapprochant des compétences botaniques et des compétences zoologiques, en rapprochant des compétences de gestion et de taxonomie, on ne produirait pas un meilleur service pour la biodiversité. C'est une des raisons qui nous a fait penser que regrouper des opérateurs permettrait de gagner en efficacité pour l'environnement. Nous avons également choisi que l'Agence ne se substitue pas à l'exercice de la tutelle de l'État sur ses établissements publics ni à l'exercice du pilotage de politiques publiques par les collectivités, voire d'évolution de capacité professionnelle par les branches professionnelles.

Un sujet délicat est le regroupement de très gros établissements publics, comme l'ONCFS et l'ONEMA. Nous avons fait une proposition qui s'inspire du dispositif de l'Institut Mines-Télécom, consistant dans le regroupement sous forme d'intégration de quatre écoles de la branche télécommunications et du rattachement ? sans perte de leur personnalité morale ? des écoles des mines, qui sont des établissements publics. C'est ainsi que seraient regroupées au sein de l'Agence des institutions intégrées et d'autres rattachées auxquelles les tutelles garderaient leur accès direct. Nous avons réussi à faire partager cette vision par plusieurs acteurs ; nous avons encore des ajustements à proposer à la marge, mais compte tenu de la clarté des débats hier, devant le Conseil national de la transition écologique, et, je l'espère, à la faveur des questions que vous nous poserez, cette hypothèse de travail pourrait être affinée.

Trois composantes ont soutenu notre réflexion sur cette organisation. D'abord, le budget, les moyens alloués aux politiques de la biodiversité méritent une attention particulière, sinon une augmentation. Néanmoins, nous sommes tenus par une efficience budgétaire et sans doute comptable, qui nous a conduits à proposer des regroupements. Ensuite, nous avons choisi de faire des propositions à la fois gagnantes en matière d'efficacité environnementale et modestes parce que l'Agence de la biodiversité n'est pas tout le renouveau de la politique publique en faveur de la biodiversité. Vous en serez les acteurs principaux avec la loi-cadre relative à la biodiversité. Enfin, troisième dimension à laquelle nous avons porté la plus grande attention, cette agence sera un organisme de partenariat qui travaillera par programmes, sur appels à projet, qui fabriquera des programmes de formation dédiés à des branches professionnelles ou à des catégories d'agents ou d'acteurs. La biodiversité nous semble être l'affaire de tous. Si l'Agence de la biodiversité se met au service de tous, elle entre dans une logique de partenariat plutôt que de cahier des charges ou de commande.

Pour ce qui est de la gouvernance, un établissement public à caractère administratif a son propre conseil d'administration. Nous le voyons assez restreint, en tout cas pas destiné à se substituer à la future gouvernance de la biodiversité, en particulier le Conseil national de la biodiversité qui fera l'objet de propositions dans la loi-cadre. Comme tout établissement public qui aura à gérer des bases de données, à développer des savoir-faire, à apporter des conseils au Gouvernement dans ses négociations internationales ou à des collectivités, nous pensons que cette agence doit être dotée d'un conseil scientifique et technique dédié à son quotidien. Ce ne serait pas le Conseil scientifique national de la biodiversité ni le conseil scientifique régional du patrimoine naturel.

Pour organiser ses programmes, compte tenu de son ambition territoriale, il serait prudent que l'Agence se dote de conseils de gestion qui suivent soit des programmes, soit des thèmes, soit des logiques territoriales. Cette idée des conseils de gestion nous a été suggérée par certains acteurs territoriaux, notamment les collègues du Conservatoire du littoral. Nous faisons aussi des propositions pour que cette agence soit en capacité d'adhérer à des groupements d'intérêt public nationaux, voire régionaux. C'est une forme d'affichage des partenariats. Nous proposons même, ce qui est plus rare pour des établissements publics à caractère administratif, de pouvoir créer des filiales avec des partenaires.

Enfin, cette agence sur le modèle de l'ADEME doit avoir une organisation territoriale. Nous n'avons pas franchi toutes les étapes d'analyse sur ce sujet. Certains de nos partenaires nous ont dit qu'une agence complètement autonome en région, avec des délégations qui ne sont rattachées ni à l'État ni à une collectivité, serait compliquée à piloter. Nous pensons que l'Agence, dont les moyens ne seront pas extraordinaires, pourrait ne pas être implantée au niveau régional. Des suggestions nous ont été faites pour le dépasser et privilégier une implantation suprarégionale, voire par bassin, ce qui pourrait avoir du sens.

J'en viens aux interventions financières de l'Agence. Bernard Chevassus-au-Louis vous a expliqué pourquoi nous privilégiions une agence travaillant par appels à projet ou par programmes plutôt que par guichet. Le débat n'est pas complètement clos parce qu'un certain nombre d'opérateurs ou d'acteurs de la biodiversité, craignant de ne pas pouvoir répondre à ces appels à projet, préféreraient la solution guichet. Je ne vous cache pas que nous avons, dans le domaine de la biodiversité, un problème de maîtrise d'ouvrage : nous n'avons pas autant de maîtres d'ouvrage que nous le souhaiterions. Ce pourrait être, dans les cinq ou dix premières années de fonctionnement de l'Agence, une hypothèse de travail par programmes que de consolider les maîtres d'ouvrage existants ou d'en accompagner l'apparition de nouveaux.

Pour cette agence, nous voyons un premier exercice fonctionnel en 2015, puisque sa création suivra le vote de la loi-cadre sur la biodiversité. Nous voyons des ressources évoluant par paliers pour arriver à un objectif en 2020 et obtenues à partir de redéploiements de ressources budgétaires. Nous avons travaillé sur quelques hypothèses de fiscalité et, depuis quinze jours, d'autres idées nous ont été communiquées. Par ailleurs, Mme la ministre vient de signer une lettre de mission de réflexion sur le domaine public maritime et sa fiscalité. Nous nous sommes ainsi demandé si certaines taxes existantes, notamment sur les phytosanitaires, qui sont complètement dédiées aux politiques publiques de l'eau, ne pourraient pas l'être aussi à la politique publique de la biodiversité. Nous faisons aussi des propositions sur l'artificialisation des sols, sujet qui a été ouvert à la conférence environnementale du mois de septembre. Nous en sommes à cette idée qu'en travaillant avec des moyens existants, en coordonnant des programmes et en accordant une dotation budgétaire, notamment de l'État, par redéploiements dans le PLF 2015, nous aurions les moyens d'installer l'Agence dans la stratégie de reconquête de la biodiversité.

J'ajoute deux éléments. Premièrement, nous défendons l'idée d'un fonds d'intervention qui serait capitalisé pour quatre ou cinq ans, puis qui serait réabondé au fur et à mesure de la consommation et de l'engagement de ses moyens d'intervention. L'exemple existe déjà avec le Fonds français pour l'environnement mondial, dont la dotation en capital est réabondée tous les quatre ans, à mesure que l'Agence française de développement et ses partenaires proposent l'engagement d'opérations sur le terrain. Entre 3 et 5 millions d'euros par an sont attribués par ce fonds français sur des programmes de biodiversité. Deuxièmement, en travaillant par programmes et pour peu qu'elle développe de bons partenariats, cette agence est faite aussi pour mobiliser des moyens privés et publics. Les auditions avec les partenaires économiques – CGPME, MEDEF, UPA –, nous ont convaincus qu'en passant par les branches professionnelles, on pouvait intervenir directement sur les savoir-faire des salariés des entreprises ou sur les sites que gèrent ces entreprises. Nous pensons que, au travers de programmes de partenariats territoriaux, des moyens peuvent être levés, non pas pour enrichir le budget de l'Agence, mais pour réussir des opérations territorialisées avec les collectivités.

Vous le voyez, nous n'avons pas fait le tour de toute la question. Nous avons essayé de rassembler, dans ces auditions et dans ce rapport, une série de propositions qui montrent que la reconquête de la biodiversité entre en phase opérationnelle et que le regroupement des forces est une manière d'accomplir cette ambition.

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