Intervention de Alfred Spira

Réunion du 20 février 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Alfred Spira, président du groupe de travail sur les troubles de la fertilité :

Je tiens tout d'abord à vous remercier de votre invitation. En effet, si l'INSERM produit beaucoup de rapports, il est rare que nous ayons l'opportunité de les exposer devant la représentation nationale. C'est donc un honneur pour nous que de pouvoir aujourd'hui vous présenter nos travaux.

Je suis accompagné de Dominique Royère, professeur, biologiste à l'Agence de la biomédecine, et de Pierre Jouannet, éminent spécialiste en matière de reproduction humaine, ancien président de la Fédération nationale des Centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS).

Le rapport que nous avons remis – avec quelques semaines de retard – a été élaboré à la demande du Parlement par un groupe de travail réunissant des représentants de l'INSERM et de l'Agence de biomédecine. Préoccupé par la fréquence accrue des troubles de la fertilité –auxquels, disons-le aussi, on est de plus en plus attentif – et l'augmentation, mesurable et mesurée, du recours aux méthodes d'assistance médicale à la procréation, le Parlement a souhaité qu'on approfondisse les recherches sur le sujet.

Un mot de terminologie tout d'abord. On parle dans notre pays indifféremment, ou plus exactement selon les moments, d'assistance médicale à la procréation (AMP) ou de procréation médicalement assistée (PMA). Dans ce rapport, nous parlons d'AMP, puisqu'il s'agit de l'aide que peut apporter la médecine à la procréation.

Notre objectif était de montrer en quoi la recherche peut permettre, d'une part de prévenir l'infertilité, d'autre part d'améliorer sa prise en charge, et ainsi de freiner le recours aux méthodes d'AMP.

La définition la plus fréquente de l'infertilité est le fait de n'avoir pas obtenu de grossesse après douze mois de tentatives. Avec cette définition, on compterait de 15 % à 20 % de couples infertiles dans notre pays. Cela ne signifie pas qu'ils sont stériles : seul un quart de ces 15 à 20 % n'arrivera pas au bout du compte à procréer.

Il existe une très forte disparité géographique de l'infertilité entre les pays et, au sein d'un même pays, entre les différentes régions, sans que l'on puisse d'ailleurs vraiment l'expliquer.

Notre première proposition est de doter notre pays d'outils de surveillance prospective qui, pour l'instant, font défaut. Il existe de très nombreuses données, qu'exploite l'Institut national de veille sanitaire (InVS), mais il serait très utile, à la fois sur le plan scientifique et sur le plan médical, de pouvoir surveiller efficacement les évolutions.

Les traitements privilégiés des troubles de la fertilité sont l'administration d'inducteurs de l'ovulation et les techniques d'AMP. Pour diminuer le recours à ces techniques, il est donc important de mieux connaître les causes des troubles de la fertilité, afin de pouvoir mieux les traiter.

Aujourd'hui, un enfant sur 40 naît après AMP. En 2010, l'Agence de biomédecine a dénombré 22 401 naissances après AMP, toutes méthodes confondues, soit 2,7 % du total des naissances. C'est considérable, mais il faut se féliciter que les couples puissent ainsi être aidés à procréer. En France, cette assistance est prise en charge par l'assurance maladie sous conditions d'âge et de causes médicales de l'infertilité.

Les trois techniques les plus utilisées sont l'insémination intra-utérine intra-conjugale, la fécondation in vitro (FIV) intra-conjugale – classique, dite hors ICSI (intra-cytoplasmic sperm injection), ou avec ICSI, c'est-à-dire introduction directe d'un spermatozoïde à l'intérieur d'un ovocyte – et le transfert d'embryons congelés. Il faut compter aussi avec le don de spermatozoïdes, qui représente 5 % des recours à l'AMP, et le don d'ovocytes, qui, de développement plus récent, n'en représente que 1 %. Les techniques sont très évolutives, et nul doute que de nouvelles vont continuer d'apparaître.

Le panorama du recours à ces techniques dressé par l'Agence de la biomédecine montre que l'organisation régionale est très hétérogène. Bien que, faute d'outil de surveillance systématique, il soit difficile de décrire la situation de manière détaillée, cette hétérogénéité est avérée. Certaines activités spécifiques, comme le transfert d'embryons congelés ou la préservation de spermatozoïdes et de tissu ovarien pour des personnes appelées à subir des traitements susceptibles d'altérer la fertilité, qui n'existaient pas encore lors de la création des CECOS, mériteraient d'être mieux structurées. La difficulté d'accès à ces techniques dans notre pays est l'une des causes, même si ce n'est pas la première, qui poussent certains couples et certaines femmes à s'adresser à l'étranger, en Belgique ou en Espagne par exemple.

Pour limiter le recours à l'AMP, il faudrait tout d'abord mieux connaître les facteurs de la fertilité. La première cause de sa diminution est l'âge. La fertilité féminine est à peu près stable jusqu'à l'âge de 32 ans mais diminue ensuite régulièrement jusqu'à la ménopause. En trente ans, l'âge à la première grossesse a reculé de 27 à 30 ans en France. Or, ce retard s'accompagne d'une diminution des capacités fonctionnelles reproductrices du couple, de la femme en particulier. Cet âge plus tardif de la première grossesse résulte de phénomènes sociologiques – durée plus longue des études, entrée plus tardive dans la vie active, responsabilités professionnelles des femmes, difficultés d'organisation matérielle… – qui ont aussi leur part dans l'augmentation du recours aux techniques d'AMP. Les solutions à un tel problème sont bien entendu politiques : il ne nous appartient pas, à nous chercheurs, d'en proposer. Le dialogue que nous ouvrons avec vous peut néanmoins aider à les formuler.

Parmi les autres facteurs de diminution de la fertilité, citons les facteurs génétiques et épigénétiques, divers troubles cliniques, masculins ou féminins – insuffisance ovarienne, ovaire polykystique, endométriose, baisse de la production spermatique… –, les infections, mais aussi l'obésité, l'absence d'activité physique, les comportements, au premier rang desquels la consommation de tabac, et les facteurs environnementaux comme l'exposition à des polluants, des pesticides ou au bisphénol A. Ces différents facteurs interagissent et il est fort rare que l'infertilité n'ait qu'une cause unique. D'où la difficulté d'agir car il faut intervenir à des niveaux très différents.

Que préconisons-nous ? Tout d'abord, de renforcer les recherches cognitives sur les facteurs de la fertilité afin d'améliorer la prévention et la prise en charge de ses troubles. Il faut produire des connaissances nouvelles en reproduction humaine : identification des gènes et des facteurs épigénétiques responsables d'infertilité et de leurs mécanismes d'action, analyse des mécanismes de régulation de la production et de la maturation des spermatozoïdes et des ovocytes, production et maturation de cellules germinales et de gamètes fonctionnels à partir de cellules souches – voie d'avenir très prometteuse –, étude de l'interaction des facteurs environnementaux et comportementaux sur la baisse de la fertilité.

Il faut ensuite améliorer les techniques d'AMP. Le taux de succès des fécondations in-vitro n'est aujourd'hui que de 20 à 30 %. Il serait possible de l'augmenter en comprenant mieux les facteurs de l'implantation embryonnaire ou en sachant sélectionner les gamètes de façon à obtenir des embryons de meilleure qualité et repérer ceux les plus aptes à se développer.

Il faudrait également évaluer les conséquences des interventions médicales sur la procréation, en étudiant notamment les conséquences des techniques d'AMP sur la santé des enfants qui en sont nés, donc suivre le devenir de ces enfants.

Enfin, dans le souci même d'un égal accès de tous aux techniques d'AMP, il faut étudier l'évolution des comportements, des pratiques et des normes sociales à l'égard de ces techniques qui demeurent « high tech ». En effet, les fortes disparités régionales se doublent de fortes disparités socio-culturelles.

Quant à la question du recours à l'AMP pour des raisons autres que médicales, elle ne pourra être éludée. Aujourd'hui, en France, l'AMP n'est autorisée que pour traiter une cause médicale d'infertilité. Mais vous le savez et avez eu l'occasion d'en débattre longuement il y a peu, d'autres demandes se font jour. Des femmes seules, des couples de même sexe veulent aujourd'hui bénéficier de l'AMP. D'autres questions se posent également comme l'autoconservation des gamètes à des fins autres que médicales, la procréation post mortem, la sélection possible du sexe de l'enfant à naître. La recherche doit aider à traiter ces questions.

La recherche en reproduction et troubles de la fertilité humaine est assez bien développée en France. Tous les champs sont couverts et notre pays se situe au cinquième rang mondial pour le nombre de publications. Nous sommes particulièrement bien placés grâce à d'excellentes équipes dans le domaine de l'épigénétique.

Des obstacles n'en demeurent pas moins. Tout d'abord, le régime actuel d'interdiction des recherches sur l'embryon assortie de dérogations nourrit la suspicion sur ces recherches, en tout cas décourage les équipes au vu des difficultés administratives et réglementaires à surmonter. Trop peu de chercheurs français travaillent sur le sujet. Ce serait pourtant indispensable pour mieux connaître les mécanismes du développement embryonnaire et in fine améliorer les techniques d'AMP.

Ensuite, les recherches en sciences humaines et sociales et en santé publique sont, d'une manière générale, insuffisantes dans notre pays.

Enfin, la recherche est trop segmentée et la coordination entre les équipes insuffisante. Il faudrait lancer des programmes coordonnés avec une visibilité suffisante. À l'heure actuelle, les équipes n'ont aucune visibilité budgétaire, même à court terme. Ainsi ne sait-on toujours pas si le programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens sera financé en 2013 et au-delà.

En conclusion, il faut coordonner, structurer et soutenir l'effort de recherche dans l'objectif concret de produire des connaissances nouvelles, utiles à la prévention de l'infertilité et pouvant donc réduire le recours à l'AMP.

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