Je vous remercie d'avoir organisé cette audition. Elle intervient peu après le dépôt du rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques et donne à la Cour l'occasion de préciser à votre attention comme à celle des citoyens les messages qu'elle formule dans le champ des finances sociales. Elle est également l'occasion de répondre à votre souhait de débattre sur le contenu du rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale, que j'aborderai en premier lieu.
Comme le prévoit la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, le rapport de la Cour sur la certification des comptes de 2011 du régime général de la sécurité sociale vous a été remis avant la fin du mois de juin.
Le régime général de sécurité sociale réalise chaque année des centaines de millions d'opérations. Le périmètre d'audit de la Cour est très donc large : il recouvre 460 milliards d'euros de produits, dont certains affectés à des tiers comme l'assurance chômage, et 390 milliards d'euros de charges, soit respectivement 23 % et 19,6 % de la richesse nationale.
Avec de tels volumes, la démarche d'audit cherche tout particulièrement à apprécier si les systèmes d'information et les dispositifs de contrôle interne, dans leur conception et leur mise en oeuvre, permettent de maîtriser les risques d'anomalies ayant une incidence sur les comptes.
Cette année, la Cour a pris acte de l'importance des réorganisations en cours au sein des différents réseaux. À titre d'exemple, les caisses d'allocations familiales (CAF) ont été regroupées en 2011 et sont passées de 123 à 102. De tels chantiers ont concentré largement les efforts des équipes de direction. La Cour a cependant observé en 2011 un ralentissement de la démarche continue et progressive d'amélioration de la qualité des comptes du régime général. En témoigne l'augmentation du nombre de réserves ou d'éléments motivant un refus de certification, soit 42 au total, contre 39 en 2010.
S'agissant de la branche famille, la Cour avait certifié avec des réserves ses comptes pour l'exercice 2010. L'augmentation de 1,2 à 1,6 milliard d'euros du montant des erreurs de portée financière qui affectent les prestations versées et comptabilisées par la branche, selon les propres mesures établies par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), a conduit la Cour à estimer ne pas être en mesure de certifier les comptes de la branche famille et de la caisse nationale pour l'exercice 2011. Ces erreurs recouvrent principalement des trop-perçus par les allocataires et concernent surtout le revenu de solidarité active (RSA) et les aides au logement.
L'augmentation du montant des erreurs de portée financière souligne l'inadaptation du dispositif de contrôle interne de la branche, caractérisé notamment par des insuffisances de conception et des faiblesses de pilotage par la caisse nationale. En particulier, celle-ci ne fixe pas aux organismes de son réseau des objectifs de montants d'erreurs à ne pas dépasser, mais des objectifs en nombre de contrôles à réaliser. En outre, les caisses d'allocations familiales bénéficient d'une autonomie excessive dans la réalisation effective des contrôles prescrits par la caisse nationale. La Cour a également relevé des faiblesses dans le domaine des systèmes d'information, notamment le caractère incomplet des tests en environnement de production préalablement au déploiement de nouvelles versions applicatives et les insuffisances du dispositif de suivi des incidents informatiques.
Enfin, il convient de souligner un désaccord sur une écriture comptable de provision, dont il résulte une amélioration de 540 millions d'euros du montant du résultat de l'exercice, qui a été arrêté à - 2,6 milliards d'euros.
S'agissant des comptes de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), en 2010, la Cour avait refusé d'en certifier les comptes en raison principalement des insuffisances cumulées du contrôle interne relatif aux cotisations et dans l'activité de recouvrement. Au titre de 2011, elle dispose toujours d'une assurance insuffisante sur l'exhaustivité et l'exactitude des cotisations sociales, autrement dit de la quasi-totalité des produits de la branche.
En outre – et c'est d'ailleurs un motif de refus de certification encore plus important –, la Cour a relevé un défaut de provisionnement des conséquences financières très lourdes liées aux produits de cotisations des contentieux engagés par les employeurs de salariés qui sont pendants à la clôture de l'exercice. Ces contentieux, qui portent sur plusieurs centaines de millions d'euros, auraient dû en effet être provisionnés.
J'en viens aux branches et caisses nationales dont les états financiers avaient été certifiés avec des réserves l'an dernier et pour lesquelles la Cour a reconduit une opinion de certification avec réserves.
D'abord, la branche recouvrement a connu en 2011 un fait marquant d'envergure : la généralisation du transfert du recouvrement des contributions d'assurance chômage et des cotisations du régime d'assurance pour la garantie des salaires. Les Urssaf ont ainsi mis en recouvrement 26,1 milliards d'euros de contributions d'assurance chômage et 1,3 milliard d'euros de cotisations d'assurance des créances des salariés. Au terme des vérifications qu'elle a effectuées, la Cour estime disposer d'une assurance raisonnable sur la maîtrise de cette opération de transfert et l'exactitude des produits et des encaissements attribués à l'Unédic et à l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés au regard des opérations traitées par les Urssaf.
L'audit des comptes de 2011 a fait apparaître certains progrès, notamment le déploiement d'une cartographie des risques dans les organismes les plus importants du réseau et des consignes données aux Urssaf sur le paramétrage de contrôles automatisés. Par ailleurs, des composantes des réserves prononcées sur les comptes de 2010 ont pu être levées.
Des difficultés importantes subsistent toutefois, notamment des faiblesses du contrôle interne relatif à certains processus de gestion, ainsi que des insuffisances toujours marquées de la maîtrise des risques pour deux catégories de flux minoritaires dans l'ensemble des états financiers de l'activité de recouvrement : les cotisations AT-MP et les cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants, tout particulièrement ceux relevant du dispositif de l'interlocuteur social unique (ISU) partagé avec le régime social des indépendants (RSI).
Enfin, des problèmes comptables demeurent concernant l'évaluation des provisions pour dépréciation de créances sur les cotisants et le traitement des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants et des impôts et taxes recouvrés par l'État. Ce traitement continue à relever d'une logique de caisse et n'est donc pas conforme au principe législatif de la tenue des comptes des organismes de sécurité sociale en droits constatés.
Pour ce qui est de la branche maladie, la Cour a pu lever sa réserve relative à la conformité des règlements des établissements hospitaliers aux activités de soins déclarées par ces derniers.
En revanche, elle a constaté la présence d'erreurs ayant une portée financière significative dans les charges de prestations en nature – exécutées en ville et en établissement – et d'indemnités journalières. Selon les estimations établies par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), les erreurs en faveur ou en défaveur des assurés atteignent des montants importants, soit 300 millions d'euros pour les prestations en nature et 80 millions d'euros pour les indemnités journalières.
S'agissant des prestations en nature, le rapprochement globalement limité des paiements avec les pièces justificatives – feuilles de soins, ordonnances et accords préalables – prive une part importante des enregistrements comptables d'une justification appropriée. En outre, les caisses primaires d'assurance maladie ne disposent d'aucun outil permettant de prévenir le remboursement de dépenses de santé pour lesquelles l'accord préalable a été refusé ou soumis à certaines conditions.
Par ailleurs, les dispositifs de contrôle interne d'une partie des mutuelles gérant des prestations maladie relevant de la couverture de base, par délégation du régime général, demeurent perfectibles.
Enfin, la Cour a constaté un manque de fiabilité des provisions pour dépréciation de créances sur les recours contre les tiers, les prestations, participations et franchises restant à la charge des assurés sociaux.
En ce qui concerne les comptes de la branche vieillesse, comme pour l'exercice 2010, la Cour les a certifiés avec réserves. Elle estime que la Caisse nationale de l'assurance vieillesse (CNAV) évolue trop lentement au regard de constats qu'elle a, pour la plupart d'entre eux, établis de longue date. Ainsi, les données de carrière prises en compte dans le calcul des pensions, notamment celles adressées par des organismes sociaux – périodes assimilées, assurance vieillesse des parents au foyer – comportent toujours des erreurs et des incertitudes. En outre, une partie des pensions de retraite attribuées ne fait pas l'objet d'une révision – généralement au détriment des assurés –, alors qu'elle le devrait.
Nous avons par ailleurs constaté que des erreurs, en faveur ou en défaveur des assurés, continuaient à affecter, dans une mesure significative, les pensions de retraite liquidées, mises en paiement et comptabilisées.
La certification des comptes du régime général de sécurité sociale par la Cour, auditeur externe indépendant, constitue un levier majeur d'amélioration de la fiabilité des comptes d'une composante essentielle des finances publiques de la France, de sécurisation des procédures et de modernisation de la gestion des organismes de sécurité sociale. En effet, ses observations favorisent l'exacte application des principes et des règles comptables et permettent une maîtrise accrue des risques financiers qui ont une incidence sur les comptes. Cette maîtrise est nécessaire à la fois pour sécuriser les recettes et les dépenses sociales – en contribuant ainsi à l'effort de redressement des finances sociales engagé par les pouvoirs publics – et pour améliorer le service rendu aux assurés sociaux.
Dans le cadre de l'audit des comptes de 2012, la Cour évaluera la concrétisation des engagements pris à cet égard par les organismes nationaux du régime général et leurs autorités de tutelle, tout particulièrement dans cette période difficile pour les finances publiques.
Compte tenu de la nature de ses constats, la Cour ne pourra certifier sans réserve à une échéance raisonnable les comptes de chacune des branches du régime général que si les dirigeants des organismes nationaux et leurs autorités de tutelle mettent en place ou accélèrent les plans d'action nécessaires à la réalisation de cet objectif partagé.
En ce qui concerne, plus largement, la situation et les perspectives des finances publiques, en particulier celles des administrations de sécurité sociale, je rappelle que cette notion, issue de la comptabilité nationale, ne recouvre pas seulement les régimes de sécurité sociale, mais également l'assurance chômage, les régimes de retraites complémentaires et les autres régimes obligatoires de protection sociale.
En 2011, le déficit de l'ensemble des administrations publiques s'est établi à 5,2 % du PIB, soit 103 milliards d'euros. Il s'est réduit de 34 milliards d'euros par rapport à 2010 si l'on tient compte de l'impact de la non-reconduction en 2011 des mesures temporaires qui affectaient les comptes en 2010, tel le plan de relance. En isolant ces opérations temporaires, d'une ampleur inhabituelle et dont il ne faut pas escompter la répétition, la réduction du déficit est de 18 milliards d'euros. Les administrations sociales ont contribué pour 10,8 milliards d'euros à ce redressement. L'accroissement des ressources, porté par le dynamisme de la masse salariale – qui s'est accrue de 3,6 % en 2011 contre 2 % en 2010 – et de nouvelles mesures de recettes votées en 2010 et 2011ont contribué au redressement observé, bien plus que le ralentissement de la progression des dépenses, qui a été en fait peu marqué.
Toutefois, la situation des administrations sociales reste profondément dégradée. En 2011, leur déficit a été de 12,5 milliards d'euros. En mettant à part la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) et le Fonds de réserve pour les retraites (FRR), qui font partie des administrations sociales mais qui sont d'une nature particulière, les différents régimes ont connu un déficit de 23,4 milliards d'euros, soit plus du double des déficits constatés en 2007 ou en 2008. Ce lourd déficit se concentre sur le régime général, pour 17,4 milliards d'euros, et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), pour 3 milliards d'euros. Le déficit structurel dont souffrent les régimes sociaux, c'est-à-dire le déficit corrigé de l'effet des variations conjoncturelles, n'a pas été résorbé : il s'établit à près de 0,6 point de PIB, soit environ 12 milliards d'euros.
Pour ce qui concerne plus spécifiquement la seule sécurité sociale – hors donc assurance chômage et régimes complémentaires conventionnels –, la loi de programmation des finances publiques de 2010 avait fixé deux normes : l'une encadre l'ensemble des dépenses des régimes obligatoires de base et l'autre porte sur l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Elles ont toutes deux été respectées.
S'agissant de l'ONDAM, l'objectif, fixé à 167,1 milliards d'euros, n'a pas été dépassé pour la deuxième année consécutive. Il a même été sous-exécuté à hauteur de 500 millions d'euros. La dépense d'assurance maladie a connu ainsi un sensible ralentissement, avec une progression de 2,8 % en moyenne annuelle sur les années 2010 et 2011 alors qu'elle était de 3,5 % en moyenne sur la période 2005-2009. Pour autant, les déficits de l'assurance maladie, s'ils ont commencé à reculer après le niveau historique atteint en 2010 – à 8,6 milliards d'euros contre 11,4 milliards d'euros –, sont restés massifs.
Du fait des déficits cumulés, l'encours de dette sociale a continué d'augmenter, passant de 193 à 209 milliards d'euros, soit 10,5 % du PIB. Même si elle ne représente qu'une part modérée de l'ensemble de la dette publique, la dette sociale constitue, selon la Cour, une grave anomalie spécifique à notre pays. Que les régimes sociaux puissent connaître un déficit transitoire, lorsque survient une dégradation conjoncturelle, peut se justifier. Mais aucun pays autre que la France ne connaît un déficit structurel de ses comptes sociaux entraînant une croissance ininterrompue de la dette sociale, même en période de croissance économique. J'ai eu l'occasion de qualifier la dette sociale de poison en septembre dernier : aucun argument ne peut en effet justifier que le remboursement des prestations sociales dont une génération bénéficie soit reporté sur une autre.
Pour 2012, la France s'est engagée en avril dernier à revenir, pour l'ensemble des administrations publiques, à un déficit de 4,4-4,5 % du PIB après 5,2 % en 2011. En réponse à la demande du Premier ministre, la Cour a cherché à apprécier, au regard des informations disponibles à ce stade de l'année, et compte non tenu des mesures décidées après le 6 mai 2012, si cet objectif de 4,4-4,5 % pouvait être tenu et à quelles conditions. Il ne s'agit pas d'un pronostic sur le solde qui sera atteint en fin d'année, mais d'une analyse des risques qui pèsent sur l'année 2012, compte non tenu, j'insiste, des mesures nouvelles décidées après le 6 mai dernier, dont le financement devra par ailleurs être assuré.
L'analyse de la Cour montre que le respect de la trajectoire pour 2012 est possible, mais qu'il suppose des mesures rapides de correction, en raison de moins-values de recettes affectant principalement le budget de l'État.
Dans le champ des administrations de sécurité sociale, la Cour n'a pas identifié de risques substantiels sur l'évolution des dépenses. Une attention particulière devrait cependant concerner l'assurance maladie. L'ONDAM voté pour 2012 s'élève à 171,1 milliards d'euros, soit une évolution de 2,5 % par rapport à l'ONDAM 2011 évalué à l'automne dernier. Les mesures d'économies permettant d'atteindre cet objectif ont porté principalement sur des baisses de prix des médicaments et des tarifs en biologie et en radiologie.
La sous-exécution de l'ONDAM l'an dernier facilite la réalisation de l'objectif de 171,1 milliards d'euros, qui, du fait de cette sous-estimation, représente en réalité une progression de 2,7 % par rapport à l'ONDAM réellement exécuté en 2011. En sens inverse, une dépense de 300 millions d'euros devra être comptabilisée en 2012 sans avoir été prévue initialement : elle concerne les sommes que l'assurance maladie devra verser aux médecins au titre de la « rémunération à la performance » instaurée par la nouvelle convention médicale.
Les informations recueillies par la Cour ne font pas apparaître de risque substantiel de dépassement de l'ONDAM si la tendance observée au premier semestre se prolonge. La Cour estime même possible et souhaitable de tirer parti de la sous-exécution en 2011 pour viser une progression de l'ONDAM limitée strictement à 2,5 % par rapport aux dépenses effectivement constatées l'an dernier. Une action résolue de maîtrise des dépenses ainsi qu'une grande prudence dans le dégel éventuel des crédits hospitaliers devraient permettre d'atteindre cet objectif. Il conviendra cependant de veiller à ce que le respect de l'ONDAM hospitalier n'ait pas pour contrepartie un accroissement des déficits des établissements hospitaliers mais incite au contraire les établissements à réaliser des gains de productivité.
Pour les dépenses des autres régimes de protection sociale obligatoire, la Cour n'a pas identifié de risques pour l'année 2012.
Néanmoins, la dégradation de la situation économique qui pèse sur les recettes de la sécurité sociale devrait conduire à un net ralentissement du rythme de redressement des comptes sociaux, en dépit des mesures d'ajustement prises en cours d'année par le gouvernement précédent et de celles présentées tout dernièrement par l'actuel gouvernement dans le cadre du projet de deuxième loi de finances rectificative pour 2012 actuellement présenté devant vous. Ce dernier prévoit en effet un apport complémentaire de ressources à la sécurité sociale par l'augmentation des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, l'intéressement et les stocks options, ainsi que l'augmentation du forfait social et l'extension aux non-résidents du prélèvement sur les revenus immobiliers de source française.
La Cour publiera le 13 septembre, dans le cadre de son rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, des prévisions actualisées sur le déficit de la sécurité sociale. Celles-ci prendront notamment en compte l'impact sur 2012 des mesures décidées au cours de l'été, lesquelles auront surtout un effet sur 2013.
S'agissant des perspectives pour l'année 2013 et pour les années suivantes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques publié début juillet, la Cour a mis en lumière l'ampleur des efforts à accomplir pour tenir l'objectif de 3 % de déficit de l'ensemble des administrations publiques, selon quatre scénarios de croissance, allant de 0 % à 2 %.
Le Gouvernement a récemment fixé une nouvelle prévision de croissance économique pour 2013 à 1,2 %, contre 1,75 % en avril dernier. La trajectoire prévue dans le programme de stabilité impose pour 2013 une marche plus haute que les années précédentes : la révision des hypothèses économiques a pour conséquence de rendre cette marche plus haute encore. L'une des hypothèses retenues par la Cour est celle d'un taux de croissance de 1 %. Dans ce cas, la marche à franchir est de 33 milliards d'euros, sans préjudice de l'impact important de certains contentieux fiscaux, d'un montant estimé à 5 milliards d'euros pour 2013.
Cet effort sera moindre si le taux de croissance était supérieur à 1,2 % comme le prévoit le Gouvernement, mais encore plus important s'il était plus faible – le rapporteur général de la Commission des finances du Sénat évoquait hier le consensus des économistes sur une prévision de croissance de 0,7 % pour 2013.
Un effort de 33 milliards d'euros est de même ampleur que celui que la France a réalisé pour se qualifier pour entrer dans l'Union économique et monétaire en 1997, dans un contexte économique quelque peu différent il est vrai.
Si l'on retient un partage égal entre mesures sur les recettes et mesures sur les dépenses, ce sont 16,5 milliards d'euros d'économies sur les dépenses qui devront être réalisées par rapport à leur évolution tendancielle. Un tel effort reviendrait à stabiliser en volume les dépenses publiques dans leur ensemble, c'est-à-dire à faire en sorte qu'elles n'évoluent pas plus vite que l'inflation. Par comparaison, en 2012, en dépit de l'application des normes de dépenses et de la réduction des effectifs de fonctionnaires de l'État, la dépense publique totale dans son ensemble devrait croître en volume de 0,5 %.
La Cour évoque, dans son rapport, différentes modalités de répartition de cet effort global entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Le premier scénario est celui d'une stabilisation en volume des dépenses de chacune des administrations publiques. Il conduirait à faire peser sur les administrations de sécurité sociale une lourde contrainte car le vieillissement démographique et les caractéristiques propres aux dépenses de santé conduisent à une croissance tendancielle en volume des dépenses de l'ordre de 1,75 %, contre 1,3 % pour l'État et 1 % pour les collectivités territoriales.
Un autre scénario prend en compte cette contrainte en réduisant l'effort demandé au secteur social, par exemple en laissant croître ses dépenses de 1,2 % en volume. Dans ce cas, les dépenses de l'État devraient être stabilisées en valeur, ce qui conduirait à un durcissement des normes de dépenses appliquées en 2012.
Si la définition des mesures permettant de réaliser cet effort relève de choix politiques, la Cour rappelle dans son rapport plusieurs principes généraux pouvant sous-tendre la consolidation des comptes publics.
Le premier est que l'effort doit reposer en priorité sur la maîtrise des dépenses. Le deuxième est que toutes les administrations doivent y contribuer, dans le cadre d'une gouvernance des finances publiques entre l'État, la sécurité sociale, les opérateurs et les collectivités territoriales qui fait encore défaut. Le troisième principe est que des hausses de prélèvements obligatoires seront nécessaires pour compléter l'effort sur la dépense : elles devront viser en priorité la réduction du coût des niches fiscales et sociales. Le quatrième et dernier principe est que la priorité devra être donnée au rééquilibrage des comptes sociaux.
S'agissant de ce dernier point, je voudrais préciser quelques pistes concrètes suggérées par la Cour pour permettre ce retour à l'équilibre des comptes sociaux à une échéance plus rapprochée que celle des comptes publics dans leur ensemble.
La maîtrise des dépenses d'assurance maladie constitue un enjeu essentiel pour l'équilibre des comptes sociaux. À titre d'exemple, sur la base d'une croissance annuelle de la masse salariale de 3,5 % – correspondant à la moyenne des douze dernières années –, une progression annuelle de l'ONDAM de 3 % ne permettrait le retour à l'équilibre de l'assurance maladie qu'en 2024 et conduirait à continuer d'accumuler une dette supplémentaire qui représenterait 45 milliards d'euros en 2020 – laquelle s'ajouterait à la dette sociale actuelle de plus de 200 milliards d'euros. Une progression de l'ONDAM limitée à 2,5 % permettrait un retour à l'équilibre en 2018 et la dette supplémentaire accumulée jusqu'en 2020 serait dans ce cas de 20 milliards d'euros.
À court terme, des mesures similaires à celles décidées ces dernières années devraient permettre de limiter la progression de l'ONDAM : baisse du prix des médicaments, limitation de la progression des tarifs hospitaliers, maîtrise médicalisée. Une vigilance particulière devra être apportée pour que les économies imposées aux hôpitaux conduisent à des réorganisations et non à un endettement accru. Le rapport de la Cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale qui vous sera présenté en septembre montrera, comme ceux des années précédentes, que de substantiels gains d'efficience peuvent être obtenus dans le secteur hospitalier.
D'importantes marges de manoeuvre existent également pour faire baisser la dépense de médicaments, qui demeure la plus élevée d'Europe. Cela suppose une maîtrise renforcée de la prescription des médecins, une relance déterminée des médicaments génériques pour porter leur part dans la prescription au niveau de nos voisins et une réforme du système de fixation des prix. Si la dépense de médicaments rapportée au PIB était ramenée au niveau de celle des Allemands, il en résulterait une économie de l'ordre de 5 milliards d'euros pour l'assurance maladie.
À moyen terme, la maîtrise des dépenses d'assurance maladie supposera des progrès dans la coordination des soins entre hôpital et médecine de ville sous l'impulsion des agences régionales de santé. Les réformes envisagées devront préserver la garantie d'égal accès aux soins. Si de nouvelles mesures de déremboursement étaient prises, leurs conséquences sur le reste à charge des assurés et le rôle de la protection complémentaire devraient être soigneusement mesurées.
Pour la branche vieillesse et le FSV, les hypothèses qui sous-tendaient la réforme des retraites de 2010 étaient excessivement optimistes, notamment en matière d'évolution de la situation de l'emploi. En dépit des ressources complémentaires déjà décidées, leur équilibre ne sera pas rétabli en 2018 et leur déficit restera à un niveau élevé, de l'ordre de 10 milliards d'euros. À court terme, les mécanismes d'indexation des pensions pourraient être mobilisés pour contribuer à la maîtrise des dépenses. Différents scénarios de revalorisation pourraient être étudiés en fonction du niveau des pensions perçues afin de préserver les retraités les plus modestes. Les pouvoirs publics devraient étudier la faisabilité technique et juridique d'une telle opération.
À moyen terme, la Cour réitère ses recommandations relatives aux avantages familiaux. Il s'agirait de faire évoluer les règles relatives aux majorations de retraite pour les parents de trois enfants, de limiter ou d'interdire le cumul de l'assurance vieillesse des parents au foyer et des majorations liées à l'accouchement et à la naissance. Ces avantages familiaux pourraient également être soumis à l'impôt sur le revenu.
Les déficits anticipés de la branche vieillesse et du FSV sont d'une ampleur telle qu'ils appellent, au-delà des mesures que j'ai évoquées, une nouvelle réforme structurelle qui garantisse le retour à l'équilibre des régimes de retraite pour en assurer la pérennité et la crédibilité pour les plus jeunes générations.
La branche famille, en l'absence de mesures nouvelles, devrait conserver des déficits annuels supérieurs à 2 milliards d'euros jusqu'en 2020, en raison notamment de la diminution progressive du rendement de certaines recettes qui lui ont été affectées en 2010. Pour réduire le déficit de la branche, il pourrait être décidé que l'évolution des prestations légales soit inférieure à l'inflation, à l'instar de ce qui s'est produit en 2012. À moyen terme, un réexamen d'ensemble des prestations familiales pourrait être conduit, afin de rechercher un meilleur ciblage des aides au profit des familles les plus vulnérables. Ce réexamen devrait prendre en compte l'effet des mécanismes fiscaux en faveur des familles.
La Cour actualisera l'ensemble de ces prévisions, tant pour 2012 que pour les années suivantes, à l'occasion de la publication du prochain rapport annuel sur la loi de financement de la sécurité sociale. Ce dernier illustrera par ailleurs les importantes marges de manoeuvre qu'une gestion beaucoup plus rigoureuse de la sécurité sociale peut dégager – sans compromettre la qualité des soins ni une dimension de solidarité qui est au coeur de notre protection sociale –, de manière à revenir rapidement à l'équilibre des comptes sociaux.
Je voudrais insister, pour finir, sur la question de la dette sociale. La réforme de 2010 a prévu que la CADES reprenne en 2011 les déficits de l'ensemble des branches et, à partir de 2012 et jusqu'en 2018, ceux de la branche vieillesse et du FSV, dans la limite globale de 62 milliards d'euros. En revanche, rien n'est actuellement prévu pour le déficit des branches maladie et famille, ni pour 2012 ni pour les années suivantes. De même, au-delà de 2018, rien n'est prévu si la branche vieillesse et le FSV continuent de connaître des déficits, ce qui est probable. La Cour considère qu'il n'est pas raisonnable de laisser s'accumuler une dette sociale supplémentaire.
Enfin, si les mesures d'économies sur la dépense et la réduction des niches sociales ne pouvaient suffire pour permettre un retour rapide à l'équilibre, il pourrait dans ce cas – j'insiste sur cette condition – être nécessaire d'augmenter le taux d'impôts à assiette large, de préférence la contribution sociale généralisée (CSG), pour rééquilibrer les comptes sociaux. Une telle augmentation devrait avoir un caractère temporaire et s'effacer au fur et à mesure du retour à l'équilibre des comptes publics et de la montée en puissance des économies sur les dépenses.
Pour conclure, le rapport fait apparaître que la France est loin d'avoir été exemplaire dans la gestion de ses finances publiques depuis plusieurs décennies. Les efforts et la discipline qui s'imposent aujourd'hui pour revenir à des comptes équilibrés et à une action publique plus efficiente exigent des choix difficiles. De nombreux dispositifs qui n'auront pas fait la preuve de leur efficience devront être réduits ou supprimés et des projets d'investissements retardés ou abandonnés. Il est aussi essentiel que l'objectif de ces réformes soit expliqué aux citoyens. C'est la raison pour laquelle la Cour, tout en fournissant des pistes d'économies précises, insiste sur les méthodes de réforme : elles doivent reposer sur des évaluations et privilégier la transparence et la pédagogie.