Intervention de Dominique Royère

Réunion du 20 février 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Dominique Royère, professeur à l'Université de Tours, biologiste à l'Agence de la biomédecine :

À l'heure actuelle, sur les 171 000 embryons qui sont conservés, 17 %, soit quelque 30 000, ne font plus l'objet d'un projet parental. La moitié des couples auxquels appartiennent ces 30 000 embryons ont déclaré accepter que lorsqu'ils n'auront plus de projet parental, leurs embryons puissent faire l'objet de recherches mais ne pas souhaiter qu'ils soient donnés à un autre couple. L'autre moitié, elle, l'a accepté. On disposerait donc en théorie d'environ 15 000 embryons pouvant être donnés à un autre couple. Mais la décision prise par un couple au début de sa démarche ne l'engage pas définitivement et seuls 30 % de ceux ayant initialement déclaré accepter de donner leurs embryons le feront vraiment. Le nombre d'embryons disponibles ne dépasse donc pas 3 000 - 3 500.

Plusieurs de vos questions concernent le don de gamètes. Il est beaucoup plus facile pour un homme de donner ses spermatozoïdes que pour une femme ses ovocytes. En effet, une ponction ovarienne est aussi compliquée pour la femme qu'une fécondation in-vitro – la seule différence est qu'il n'y a pas de transfert d'embryon à la fin. Les femmes pourraient de ce fait être plus réticentes à un don que les hommes. Or, il n'en est rien. Elles sont tout aussi généreuses. En 2010, on a dénombré 345 donneuses d'ovocytes pour 299 donneurs de sperme. L'énorme différence tient au fait qu'avec un seul don de sperme, on dispose de milliards de spermatozoïdes – on a d'ailleurs limité à dix le nombre de grossesses potentielles obtenues par donneur –, alors que dans le meilleur des cas, une femme ne pourra donner que deux ovules, permettant deux grossesses. Mathématiquement, il faut donc cinq fois plus de donneuses que de donneurs pour aboutir au même nombre de grossesses.

Si le don d'organes, d'éléments du corps humain ou de cellules, reproductrices ou autres, est gratuit en France, chaque donneur doit néanmoins être défrayé des frais qu'il a supportés à l'occasion de ce don – déplacement, immobilisation professionnelle… Or, ce défraiement a du mal à se mettre en place, bien que la circulaire afférente date d'il y a deux ans. Cela n'est sans doute pas étranger à la pénurie d'ovocytes.

Comment inciter au don de gamètes, notamment d'ovocytes ? On se heurte aujourd'hui à un double problème d'information et de connaissances. Il a fallu du temps avant que nos concitoyens comprennent ce que signifie le sigle AMP et en quoi consiste l'assistance médicale à la procréation. Lors de micro-trottoirs réalisés il y a quatre ou cinq ans seulement, lorsqu'on demandait ce qu'était l'AMP, neuf fois sur dix la réponse était qu'il s'agissait de manipulations génétiques ! Mais le public s'est désormais approprié ces notions, et des campagnes d'information et de sensibilisation pourraient donc utilement être lancées.

Espérons également que l'ouverture du don d'ovocytes aux nullipares, permise par la loi de bioéthique de 2011, accroîtra le nombre de donneuses. La sensibilisation à la détresse des couples infertiles par la présence dans son entourage proche d'un couple confronté au problème est un élément moteur du don. Ce don relationnel, bien qu'il soit par la suite anonymisé, a été pointé du doigt par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) lors de l'étude qu'elle a menée en février 2011 sur le don d'ovocytes. Ce n'en est pas moins une dynamique susceptible d'augmenter sensiblement le nombre de dons. C'est mobilisées par leur entourage que les femmes n'ayant pas encore d'enfant seront incitées à donner leurs ovocytes – outre la possibilité d'autoconservation de leurs propres ovocytes qui leur sera offerte à l'occasion de leur don.

Plusieurs questions concernent le suivi des enfants nés après AMP. À l'heure actuelle, on ne dispose que de données sur les enfants à la naissance, par exemple le nombre de malformations congénitales. Rien n'est encore disponible sur leur santé à moyen et plus long terme. Il faudrait pour cela mener des études de cohortes, qui sont lourdes, ou – ce vers quoi on s'oriente – croiser certaines données, comme celles issues du SNIIRAM (Système national d'informations inter-régions de l'assurance maladie) et du PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d'information).

Nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour étudier la fertilité des personnes nées après AMP. En effet, Louise Brown, premier « bébé-éprouvette » au monde, n'a que 35 ans ! Certes, elle a déjà une fille et sa soeur, née de la même façon qu'elle, est elle aussi maman. Mais il serait prématuré de tirer quelque conclusion que ce soit. Quant au premier enfant né après ICSI, il n'a que 20 ans. On n'est donc pas encore près de pouvoir étudier sur le long terme la fertilité des personnes nées après ICSI.

Plusieurs d'entre vous nous ont interrogés sur les disparités géographiques. Les activités d'AMP varient en effet fortement selon les régions. Pour la fécondation in vitro, le taux varie de un à dix environ. Ces données doivent toutefois être interprétées avec prudence. Le premier élément à prendre en compte est le lieu de résidence des couples. En effet, à leur création, les centres d'AMP ont été répartis en fonction de la carte sanitaire, en tenant compte des bassins de population. Peu de changements sont intervenus depuis lors, si bien qu'aujourd'hui, le recours à l'AMP apparaît plus élevé dans les zones très urbanisées, les plus peuplées, que dans les zones rurales. Cela ne signifie pas qu'il y a moins de problèmes de fertilité dans ces dernières ! Il est difficile d'identifier les causes réelles de cette hétérogénéité.

Dressant un état des lieux, un récent rapport de l'Institut national du cancer et de l'Agence de la biomédecine consacré à la préservation de la fertilité montre que la première difficulté tient au manque d'information et de coordination. Il révèle aussi que les femmes sont moins bien informées que les hommes sur la possibilité de préserver leurs gamètes lorsqu'elles doivent subir un traitement susceptible de provoquer une stérilité définitive. Il souligne enfin la nécessité d'une coordination entre les équipes chargées de la préservation de la fertilité et celles assurant la prise en charge des cancers, de façon que cette dimension soit aussi tôt que possible intégrée dans les stratégies thérapeutiques proposées aux patients. Cela doit faire partie intégrante du parcours de soins de la patiente ou du patient atteint d'un cancer.

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