Intervention de Pierre Jouannet

Réunion du 20 février 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Pierre Jouannet, professeur à l'Université Paris-Descartes et médecin à l'hôpital Cochin :

Il y a un énorme décalage en France entre l'intérêt porté par la société aux questions de reproduction et celui des instances qui financent la recherche sur le sujet. Cela ne signifie pas que rien ne se fait. Notre pays se classe même au cinquième rang mondial pour ces recherches. Mais au prix de quelles acrobaties ! Pour avoir dirigé le laboratoire de biologie de la reproduction à l'hôpital Cochin, je puis témoigner combien il était difficile de trouver des financements pour nos recherches qui portaient sur l'évolution de la qualité du sperme, les modifications de la fertilité masculine… L'essentiel des crédits de mon laboratoire provenait de l'Union européenne. Nous aurions apprécié de bénéficier aussi de crédits nationaux. Et encore avons-nous eu la chance de bénéficier de crédits au travers des programmes « sida » parce que nous travaillions sur l'aide à la procréation des personnes contaminées et les moyens d'éviter la transmission du virus à l'enfant à naître.

L'Agence nationale de la recherche n'a pas de programmes thématiques ciblés sur la reproduction et la fertilité. Dans aucun des Instituts thématiques multi-organismes (ITMO) mis en place par l'Alliance pour les sciences de la vie et la santé (AVIESAN), qui regroupe tous les grands acteurs dans le domaine des sciences de la vie et de la santé en France, le terme « reproduction » ne figure. Les pouvoirs publics comme les organismes chargés de soutenir la recherche semblent se désintéresser de la question alors même que 15 % à 20 % des couples éprouvent des difficultés à procréer et que ce sujet est une réelle préoccupation de nos concitoyens.

Le cas du don d'ovocytes est emblématique. Alors qu'il est autorisé par la loi dans notre pays depuis 1994, force est de constater, dix-neuf ans plus tard, que ce don marche mal. On déplore le manque de donneuses mais il pourrait y en avoir bien davantage si on menait autant de campagnes d'information et de sensibilisation sur le don de gamètes que sur le don de sang, de moelle ou d'organes. Un autre moyen d'améliorer la situation serait d'autoriser les centres habilités à mener eux-mêmes ce type de campagnes. En Belgique, en Espagne, en Grande-Bretagne, les praticiens contribuent à recruter des donneuses.

Le principal problème ne se situe néanmoins pas là. Le rapport de l'IGAS sur le sujet, déjà cité par Dominique Royère, montre que la principale difficulté tient au manque de moyens accordés pour cette activité aux structures autorisées à la pratiquer. Permettez-moi, là encore, d'apporter mon témoignage personnel. Dans le centre que je dirigeais, agréé pour le don d'ovocytes, nous ne disposions d'aucun moyen spécifique pour cette activité. Nous utilisions les moyens généraux du service. Comment prendre en charge les donneuses sans personnel d'accueil, sans médecins, sans psychologues ni toute l'infrastructure qui existe pour d'autres types de dons, comme celui du sang ? Si avant d'en augmenter le nombre, on dotait la vingtaine de centres autorisés existants des moyens d'accueillir les donneuses, d'effectuer les prélèvements et de prendre en charge les couples receveurs, déjà le don d'ovocytes fonctionnerait beaucoup mieux en France. J'appelle l'attention du législateur sur le fait qu'il ne suffit pas de voter des lois, aussi pertinentes soient-elles. Encore faut-il qu'elles puissent ensuite être appliquées. En l'espèce, comme souvent, c'est la mise en oeuvre qui n'a pas suivi.

J'en viens à la recherche sur l'embryon. L'Académie nationale de médecine, pourtant pas toujours progressiste, s'est prononcée sans ambiguïté en faveur de cette recherche, par principe et dans l'intérêt de l'embryon. Comment interdire les recherches sur l'embryon au nom même de sa protection ? C'est tout l'inverse. Que penserait-on de celui qui se poserait en protecteur de l'être humain et interdirait qu'il puisse faire l'objet de recherches ? Il n'y a pas de contradiction entre protection de l'embryon et recherche.

Lorsqu'on parle de recherches sur l'embryon, on confond souvent les recherches qui pourraient être conduites à son propre bénéfice et les recherches sur les cellules embryonnaires à la finalité tout autre que la santé de l'embryon lui-même, comme fabriquer des cellules et des tissus pour la médecine régénérative ou mener des études toxicologiques. Ne pensant qu'à ce dernier type de recherches, le Conseil d'État a ainsi pu écrire dans son avis préalable à la loi de 2011 que le jour où il serait possible d'utiliser des cellules souches adultes, il n'y aurait plus lieu d'autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires ! C'est oublier totalement les recherches sur l'embryon pour l'embryon. Nous connaissons très mal les tout débuts de la vie, les mécanismes moléculaires et cellulaires qui conduisent à l'implantation et au développement de l'embryon. À peine 15 % des embryons implantés après une fécondation in-vitro donneront naissance à un enfant, alors même qu'ils ont été choisis sur des critères morphologiques les désignant comme les plus aptes à bien se développer. Pourquoi dans 85 % des cas, leur développement cesse-t-il ? Bien que les connaissances soient lacunaires sur le sujet, la recherche reste interdite, qu'elle soit fondamentale ou clinique. Lorsqu'on travaille sur une maladie comme le diabète, on fait à la fois de la recherche fondamentale pour comprendre les mécanismes de fabrication de l'insuline ou de résistance à l'insuline, et de la recherche clinique sur les personnes diabétiques que l'on inclut dans des programmes. Pourquoi la recherche clinique serait-elle impossible sur l'embryon ?

L'une des solutions trouvées dans la loi de bioéthique a été de distinguer « les recherches » et « les études » sur l'embryon. Existe-t-il un autre champ de la médecine où l'on distingue ainsi « recherches » et « études » ? Pour toutes les maladies, il n'y a que des recherches, qui comportent un volet fondamental et un volet clinique. Il devrait en être de même pour l'embryon.

Le Sénat a adopté en décembre dernier une proposition de loi prévoyant de passer du régime actuel d'interdiction des recherches avec dérogation possible à une autorisation encadrée. Mais ce texte, hélas, maintient l'interdiction du transfert des embryons ayant fait l'objet d'une recherche – comme si recherche et vie s'opposaient ! Dans certaines circonstances, certains embryons ayant fait l'objet d'une recherche à leur profit devraient pouvoir être implantés. On considère l'embryon de manière si spécifique qu'on ne le traite pas comme les autres êtres humains et qu'on le prive du minimum qui existe pour d'autres âges de la vie. Il faudrait le tenir pour un stade comme un autre de la vie humaine, tout en tenant compte de ses spécificités et en prenant toutes garanties pour qu'il n'en soit pas fait n'importe quoi.

Le régime d'interdiction de la recherche sur l'embryon rend impossible de structurer la recherche sur ce sujet. Lorsque je dirigeais le laboratoire de reproduction de l'hôpital Cochin, des responsables d'autres centres de fécondation in vitro souhaitaient nous donner leurs embryons congelés ne faisant plus l'objet d'un projet parental. J'ai en vain essayé, en lien avec la direction de l'établissement, de conclure des conventions entre centres pour le transfert de ces embryons que j'aurais souhaité regrouper pour les mettre à la disposition des chercheurs. Cela n'a pas été possible faute de base administrative mais aussi de volonté politique d'avancer en ce sens. Aujourd'hui encore, il est extrêmement difficile d'organiser la recherche sur ce sujet.

Une autre conséquence de l'interdiction est bien sûr l'absence de financements pour les recherches sur l'embryon au bénéfice de l'embryon, puisqu'on ne peut pas financer des recherches par principe interdites.

Je terminerai par l'anonymat du don de gamètes. Assistant déjà du professeur Georges David en 1973 lorsqu'il a créé le premier CECOS au CHU du Kremlin-Bicêtre, j'ai donc vécu de près la « saga » du don de gamètes depuis quarante ans et sait que la question de l'anonymat a toujours été présente. Il ne faut pas confondre le secret sur le mode de conception et celui sur l'identité du donneur de gamètes. On peut parfaitement dire à un enfant qu'il a été conçu par don de sperme sans nécessairement lui révéler l'identité du donneur. D'ailleurs, la majorité des enfants ainsi conçus ne souhaitent pas la connaître. Quelques-uns souffrent de l'anonymat. Mais pour avoir rencontré plusieurs d'entre eux dans ma pratique professionnelle, j'ai constaté que leur souhait trahissait souvent un échec, une souffrance au sein de la famille où leurs parents n'avaient pas su bien leur annoncer leur mode de conception ni intégrer ce don pour qu'il participe de leur construction psychique. Sans négliger leur souffrance, je ne crois pas que leur révéler l'identité de leur donneur l'apaiserait. Dans les pays où l'anonymat a été levé, rien ne démontre que ce problème a été réglé.

L'ouverture de l'AMP à d'autres situations, dites de convenance, où des femmes seules ou des couples de femmes pourraient bénéficier d'un don de sperme conduirait-elle nécessairement à supprimer l'anonymat du don ? La réponse n'est pas simple. L'Académie nationale de médecine a mis en place un groupe de travail la semaine dernière pour réfléchir aux conséquences de l'ouverture de l'AMP à des situations non médicales. Rien n'est systématique en ce domaine. D'ailleurs, la plupart des femmes homosexuelles qui ont des enfants par don de sperme choisissent le don anonyme, ne souhaitant notamment pas que le donneur puisse interférer comme un tiers dans leur famille.

Une ouverture plus large de l'AMP remettrait-elle aussi en question la gratuité du don de gamètes en France ? Notre pays a fait le choix que tout don de quelque élément que ce soit du corps humain soit bénévole et effectué dans des structures de soins à but non lucratif. Le don de gamètes devrait-il déroger à cette règle ? Je n'en suis pas sûr. Il y a assez de donneurs potentiels si on a la volonté politique de développer ces dons. En 2005, la Suède, où, comme en France, le don de sperme ne se pratiquait que dans des centres autorisés et était bénévole, l'a ouvert aux couples de femmes homosexuelles. Cela n'a rien modifié aux conditions du don. Si une même ouverture devait être décidée en France, il faudrait simplement donner les moyens aux centres existants de mettre en oeuvre ce choix social et politique.

La question importante de la prise en charge de l'AMP dans ces nouveaux cas se posera nécessairement. S'il est compréhensible qu'une insémination avec sperme de donneur ou une fécondation in vitro soit prise en charge par l'assurance maladie quand la raison pour laquelle on y a recouru est médicale, est-il logique qu'il en aille de même quand la raison n'est pas médicale ? Je n'ai pas la réponse.

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