Intervention de André-Claude Lacoste

Réunion du 5 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

André-Claude Lacoste, président de l'ASN :

Votre remarque est tout à fait exacte M. le président, même si, comme je l'évoquais précédemment, nous ne vivons pas dans un monde clos. Ces questions ne sont pas complètement indépendantes l'une de l'autre, ainsi que le montre le rapport de la Cour des comptes.

Je veux évoquer avec vous mon expérience concernant Fukushima. En 2007, j'ai participé avec une petite dizaine de collègues d'autres autorités de sûreté à une mission d'audit au Japon dans le cadre d'une integrated regulatory review service –IRRS. Notre constat était très clair, le modèle japonais de contrôle de la sûreté nucléaire ne fonctionnait pas. Nous étions face à trois blocs étanches, l'exploitant, le public et l'autorité de sûreté, qui ne se faisaient pas confiance mutuellement. Nous avons adouci notre propos suite à des discussions compliquées avec les autorités japonaises, tout en maintenant notre conclusion, afin de parvenir à une publication. Celle-ci a en effet eu lieu, sans toutefois recevoir une grande publicité. Une mission de suivi devait avoir lieu. Elle a été reportée à plusieurs reprises et ne s'est finalement jamais tenue. J'ai assisté à un colloque au Japon au mois de novembre de l'année 2011. À cette occasion, j'ai rencontré le premier vice-ministre du ministre de l'économie, qui occupe un poste non politique - l'équivalent du secrétaire général du ministère dans le modèle français. Il m'a indiqué qu'après réflexion, le Gouvernement japonais avait pris la décision de ne pas mener une réforme du système de contrôle.

Fukushima a été un accident majeur. Il est de notre responsabilité de s'assurer qu'il ne soit pas oublié. Nous nous assurons d'ailleurs que le Japon fait les réformes qui s'imposent. Ils sont en train de créer une autorité administrative indépendante, même s'il s'agit d'un processus long et compliqué. Les centrales nucléaires japonaises, à l'exception récente de deux d'entre elles, n'ont pas redémarré après l'arrêt programmé. En effet, le Gouvernement a pris la décision, après un examen confus et lourd faisant intervenir une multitude d'étapes et d'acteurs, d'autoriser la reprise de l'activité pour seulement deux d'entre elles. Le Gouvernement japonais doit mettre de l'ordre dans l'autorité de sûreté nucléaire. C'est une première étape, mais elle n'est pas suffisante.

S'agissant de la centrale nucléaire de Fessenheim, elle comporte deux réacteurs parmi les 34 réacteurs de plus de 900 mégawatts français – les plus anciens – qui font, à ce titre, l'objet d'une révision périodique de sûreté ainsi que le prévoit la procédure après 30 ans de mise en activité. Suite à la révision qui a été menée sur le réacteur n°1 de la centrale, en sus des examens de sûreté post- Fukushima, nous avons exigé l'épaississement du béton du radier. Cette mesure devra être effective d'ici à l'été 2013, sans quoi le réacteur ne pourra continuer à fonctionner. Nous prendrons sans doute les mêmes prescriptions pour Fessenheim 2. In fine, la décision de fermer ou non cette centrale appartient au Gouvernement dans le cadre de la politique énergétique. Du point de vue de l'ASN, en matière de sûreté, il n'est pas nécessaire de fermer la centrale si EDF effectue les travaux et investissements qui s'imposent.

S'agissant de la centrale nucléaire de Saint-Alban, elle se situe, comme nous le mentionnons dans notre rapport, en retrait de « peloton » des centrales en matière de radioprotection et de protection de l'environnement. La situation n'est pas critique mais des mesures doivent être prises. C'est la raison pour laquelle son directeur a très récemment été convoqué.

En ce qui concerne les intrusions et les malveillances, l'ASN n'est pas compétente. C'est le haut fonctionnaire de sécurité et de défense du ministère de l'énergie, appuyé par des équipes de l'IRSN, qui est en charge de ces questions. On peut considérer que c'est un peu anormal dans la mesure où sur 13 pays de référence, l'Autorité de sûreté nucléaire est en charge de la sécurité dans 12 cas. La France est donc désormais seule – jusqu'à récemment, la Corée du Sud avait un modèle similaire- à avoir fait le choix de cette organisation. Nous pensons être en mesure d'assurer également la sécurité des centrales et d'avoir une certaine légitimité pour cela. Nous avons fait une première proposition – limitée – de modification du contrôle de la sécurité en demandant à prendre en charge la sécurité des sources radioactives. Le Gouvernement précédent ayant donné son accord, la disposition législative nécessaire a été insérée dans le projet de loi de ratification de la codification de la loi TSN dans le code de l'environnement.

Par ailleurs, il est évident qu'il ne faut pas traiter les seuls problèmes mécaniques mais aussi les facteurs sociaux, organisationnels et humains. Il faut s'occuper de ce sujet, sans toutefois s'immiscer dans la gestion des exploitants. La sous-traitance, sans toutefois être le seul, est l'un des aspects importants. C'est la raison pour laquelle nous avons constitué un groupe de travail sur ce sujet. Il faut s'assurer que le maître d'oeuvre soit en mesure de garder suffisamment de compétence, notamment en cas de crise. Un arrêté de 2012 interdit aux exploitants de sous-traiter s'agissant de la surveillance de la sûreté.

Un grand nombre de mesures ont été imposées aux exploitants après Fukushima. Celles-ci nécessitant des adaptations plus ou moins lourdes et coûteuses, des délais différents ont été accordés. Les plus courts sont arrivés à échéance en juin 2012 ; les plus longs en 2018 pour les diesels d'ultime recours qui demandent des investissements massifs et qui sont totalement à concevoir. Il ne nous appartenait pas d'estimer le coût de telles adaptations. EDF a avancé le chiffre de dix milliards d'euros en ce qui la concerne. Je le pense réaliste. S'agissant d'AREVA et du CEA, le coût est plutôt de l'ordre de quelques centaines de millions d'euros. Il est évident que cela aura un impact sur les charges de l'exploitant, mais je ne suis pas en mesure de vous dire si cela sera répercuté sur les prix. Nous contrôlons la mise en place de ces mesures par des inspections et des sanctions.

S'agissant maintenant du rapport de la Cour des comptes de février 2012, auquel nous avons beaucoup contribué, je le trouve extrêmement intéressant car il s'intéresse à l'ensemble des coûts. Les conclusions de ce rapport sont qu'il n'y a pas de coûts cachés ; qu'il est difficile d'estimer les provisions pour des charges étalées sur plusieurs dizaines d'années ; que si des investissements dans d'autres installations de production d'électricité ne sont pas faits, il s'agira d'un pari implicite particulièrement risqué sur le prolongement de la durée de fonctionnement des installations nucléaires. Alors que nous nous intéressons pour l'instant au passage de 30 à 40 ans, rien ne dit pour l'instant que nous pourrons aller au-delà. C'est un vrai enjeu de politique énergétique.

En ce qui concerne le Mox, on estime que la différence n'est que de deuxième degré dans le cas d'un accident. La présence ou non de Mox ne change pas fondamentalement les choses.

Au niveau international, l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), organe de l'ONU, a un rôle de gendarme en matière de non-prolifération nucléaire, rôle qu'elle a par ailleurs des difficultés à jouer quand un pays décide de ne pas suivre ses directives. Mais en matière de sûreté, elle ne dispose pas de ce rôle de « gendarme » puisqu'elle est seulement habilitée à organiser les relations internationales, en publiant des référentiels non contraignants pour les États. Il ne faut pas demander à l'AIEA ce que ses statuts ne lui permettent pas de faire. Au niveau de l'Union européenne, il existe deux types de travaux ; ceux dits « bottom-up » ou ascendants. Ainsi la WENRA rassemble depuis dix ans des autorités de sûreté nucléaire et publie des référentiels qui s'appliquent à ses membres. Par ailleurs, deux directives européennes – auxquelles nous avons largement contribué – ont vu le jour sur nos sujets. Nous voudrions que la pratique des « stress tests » par les pairs se généralise à l'extérieur de l'Union européenne afin de créer des références qui soient valables partout dans le monde.

Concernant notre rôle de « gendarme », dans une certaine mesure, nous sommes payés pour être capable de dire non. L'un des sujets les plus ardus est sans doute la prise de décision face à une anomalie non majeure : demander d'arrêter l'installation en cause ou la laisser fonctionner avec un délai de mise aux normes. C'est un problème, partagé avec l'IRSN, qui implique de prendre des décisions difficiles.

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