Intervention de Didier Migaud

Réunion du 25 juillet 2012 à 8h45
Commission des affaires sociales

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

En complément des réponses que nous allons vous apporter lors de cette audition, je vous présenterai en septembre prochain notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, dans lequel nous proposerons un certain nombre de pistes pour contribuer à une meilleure maîtrise des dépenses de santé et au retour à l'équilibre des comptes sociaux.

La Cour des comptes est un organisme collégial, c'est d'ailleurs ce qui fait son crédit et son autorité. Absolument tout ce qu'écrit la Cour fait l'objet de débats contradictoires avec l'ensemble des administrations qu'elle contrôle. Cette collégialité – faite de collégialités successives et qui s'additionnent –, associée au statut de magistrats des membres de la Cour, constitue la meilleure garantie de son impartialité et de son indépendance. C'est pourquoi même si le résultat de l'élection présidentielle avait été différent, le rapport de la Cour des comptes aurait été le même, son travail ne pouvant être qu'objectif.

Certains membres de la Commission ont insisté sur le choix qu'ont fait les Français et sur ce quoi ce choix impliquait, à savoir la nécessité de sauvegarder notre modèle social. Et c'est bien afin de contribuer à cette sauvegarde que la Cour des comptes formule ses constats et ses recommandations. Est-ce contribuer à la sauvegarde du modèle social que de continuer sur la voie des déficits, aussi bien pour la sécurité sociale que pour les comptes publics, surtout s'agissant de dépenses courantes ? Est-il légitime de faire supporter le poids de nos dépenses quotidiennes de sécurité sociale à nos enfants et à nos petits-enfants ? S'il revient aux représentants du suffrage universel d'en décider, il reste que les électeurs sont sensibles à la question tant ils sont conscients du fait que ce sont eux qui finiront par être sollicités afin de couvrir les déficits. Devons-nous sans cesse ajuster nos recettes au niveau de nos dépenses sans nous interroger quant à la qualité, à l'efficacité et à l'efficience de ces dépenses ? Notre étude d'une dépense ou d'une politique publique donnée nous permet d'identifier des marges de progression possibles pour renforcer leur efficacité et leur efficience.

Il nous faut réduire la dépense tout en étant parfaitement conscients du fait que les dépenses de santé vont continuer à augmenter. L'un des scénarios que nous avons étudiés se fonde sur l'hypothèse d'une augmentation des dépenses de santé de 1,2 % en sus de l'inflation : une maîtrise de la dépense nous permettrait de retrouver une certaine capacité d'action. Les nombreux rapports de la Cour des comptes, de l'IGF et de l'IGAS ont illustré l'existence de marges de progrès. Certaines de nos recommandations sont d'ailleurs suivies, s'agissant par exemple des génériques, pour ce qui est des dépenses, et du forfait social, pour ce qui concerne les recettes.

La meilleure façon de préserver le modèle social français, c'est d'être extrêmement attentif à la qualité et à l'efficacité de la dépense.

S'agissant des services publics de proximité, il convient sans doute de mener un travail de définition de cette notion dans la mesure où l'on ne peut disposer d'un service des grands brûlés dans tous les cantons de France ou d'un CHU partout ! J'ai d'ailleurs entendu cette expression être utilisée au sujet de la carte des chambres régionales des comptes. Or je ne suis pas convaincu que nous constituions un service public de proximité, bien que nous assurions une mission de service public. Il vous revient donc de déterminer en quoi consiste la notion de service de proximité.

Il ne m'appartient pas de commenter les décisions qui ont été prises en matière de fixation de l'âge de départ à la retraite. Si toute mesure nouvelle doit être financée, la décision prise par l'actuel gouvernement en la matière l'est ; elle est même surfinancée : de l'ordre d'un milliard d'euros à l'horizon de 2020. Cela étant, le problème du financement des retraites reste posé car, malgré la récente réforme, les régimes de retraite ne seront pas équilibrés en 2018. En effet, les hypothèses retenues en termes de situation de l'emploi et sur lesquelles les estimations de financement des retraites étaient fondées étaient très optimistes. Si jamais elles ne se réalisent pas, il est possible que l'on enregistre un déficit de nos régimes de retraite d'une dizaine de milliards d'euros à l'horizon 2018-2020. Il est donc nécessaire que vous vous saisissiez à nouveau de ce sujet.

Compte tenu de l'état de dégradation de nos comptes publics, tout le monde – y compris les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale – doit se sentir concerné par l'effort engagé pour les redresser. Dans notre rapport, nous vous invitons à réfléchir à la manière d'améliorer la gouvernance du système et à la conclusion d'un pacte – que l'on peut éventuellement qualifier de pacte de stabilité – entre l'État et les collectivités territoriales. En effet, même si ces dernières s'administrent librement, l'État français ne peut prendre des engagements pour l'ensemble du pays si une partie des entités qui le constituent ne se sent pas concernées par ces engagements. En outre, même si le budget des collectivités territoriales doit être équilibré et qu'elles sont soumises à la règle d'or que constitue l'interdiction d'emprunter pour financer des dépenses de fonctionnement, elles contribuent néanmoins aussi à la dépense.

Qui plus est, toutes les dépenses ne sont pas obligatoirement pertinentes et ne confortent pas obligatoirement la croissance de la même manière. Ainsi, s'agissant du schéma routier ou des grandes infrastructures routières, nous vous invitons à réfléchir aux priorités qui sont les vôtres car de nombreux projets sont actuellement à l'ordre du jour sans que l'on dispose du moindre euro pour les financer, dans un contexte budgétaire extrêmement tendu. Il est donc nécessaire de se doter d'outils permettant d'apprécier la rentabilité socio-économique et la pertinence de tels projets. Cela relève de la noblesse de la fonction politique et de votre responsabilité.

La journée de solidarité rapporte environ deux milliards d'euros par an, ce qui n'est pas négligeable étant donné l'état de nos finances publiques.

Notre travail de certification des comptes fait état d'erreurs, mais toute erreur n'est pas nécessairement imputable à la fraude : en effet, certaines erreurs sont favorables tandis que d'autres sont défavorables aux assurés sociaux. En revanche, leur quantité, qui a sensiblement augmenté, est anormale, ce qui explique notre refus de certifier les comptes de deux branches cette année. Cette augmentation s'explique tant par l'inadaptation des contrôles internes que par la complexité d'un certain nombre de dispositifs : de fait, les erreurs sont d'autant plus nombreuses que les dispositifs sont complexes et mettent en scène différents acteurs. Au reste, le législateur peut être à l'origine de certaines erreurs… Quant aux organismes concernés, ils s'efforcent d'en limiter le nombre ; vous pouvez d'ailleurs interroger les présidents de leurs conseils d'administration sur ce point.

La Cour des comptes est convaincue du fait que l'exercice de certification des comptes contribue à la fiabilité, à la transparence et à la sincérité de ceux-ci. Si nous nous engageons résolument à accompagner les caisses dans ce processus, la certification, loin d'être automatique, nécessite des progrès en la matière. Or, on constate actuellement un certain ralentissement des démarches engagées.

Le principe de certification des comptes des hôpitaux a été adopté s'agissant des hôpitaux les plus importants. Il reste à en dresser la liste et à prendre quelques mesures législatives complémentaires étant donné que le Conseil constitutionnel a annulé à plusieurs reprises les dispositifs prévus en la matière : soit parce qu'il a considéré qu'il s'agissait de cavaliers législatifs, soit parce que le législateur n'était pas allé jusqu'au bout de sa compétence. J'ai attiré l'attention de la ministre de la santé et du ministre du budget sur la nécessité de préciser, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, les mesures à mettre en oeuvre pour que la certification des comptes devienne une réalité. Une expérimentation – volontaire dans un premier temps – de la certification des comptes de grandes collectivités est également envisageable. M. Antoine Durrleman va maintenant vous fournir un certain nombre de réponses complémentaires.

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