Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 5 juillet 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN :

La question que vous soulevez est celle du « temps long » du nucléaire, qui se conçoit en siècles, et de l'interface entre les politiques conduites et la politique de sûreté. Pour l'implantation d'un site de stockage des déchets, il faut un quart de siècle pour le concevoir pour le réaliser avec une exploitation d'une durée d'un siècle. De même, en ce qui concerne la transition énergétique, le public attend une transition de vers la barre des 50 % en quinze ans, mais une question demeure en suspens : est-ce un équilibre définitif ou bien une étape vers une sortie totale du nucléaire ? Nous ne pouvons faire l'économie d'une décision car l'ambigüité ainsi créée se fait au détriment de l'évolution de la sûreté.

La maison EDF privilégie une culture technique majoritaire en son sein qui raisonne plus en termes de prévention qu'en actions de mitigation d'incidents possibles. Ainsi, au sujet des casse siphon, il est possible de considérer que, de fait, ils ne sont d'aucune utilité sauf si la piscine se dénoie. Il en va de même pour les branches froides : il n'y a pas de problème tant qu'il n'y a pas d'accident. Vous avez soulevé, par cette question, un problème plus général : comment pouvons-nous – et l'ASN a suivi nos recommandations sur ce point – considérer que les centrales sont suffisamment sûres pour continuer à fonctionner tout en imposant mille mesures aux exploitants ? Nous nous plaçons en fait dans une perspective d'évolution du degré d'exigence de sûreté : nous considérons que, compte tenu de l'évolution de la technologie et des attentes du public, il est légitime d'exiger davantage de l'exploitant. J'insiste sur l'importance des exigences portées par la société : plus ces dernières seront fortes, plus les progrès en matière de sûreté seront importants dans nos centrales et plus notre travail sera facilité. Il est extrêmement complexe pour des institutions comme l'IRSN et l'ASN de travailler sans le soutien des citoyens. D'une certaine manière, nous ne pouvons aller au-delà de ce qu'ils souhaitent.

Les réacteurs non « moxés » contiennent aussi du plutonium au moment du déchargement du combustible, ce qui était le cas à Fukushima. C'est pourquoi la différence entre les réacteurs utilisant du Mox et les autres est de second ordre. En fait, s'agissant du Mox, la principale préoccupation en matière de sûreté porte sur le cycle du combustible. Une usine de fabrication de Mox est plus dangereuse qu'une usine d'enrichissement d'uranium naturel « traditionnelle », car la toxicité du plutonium doit être prise en compte.

En ce qui concerne la surveillance de la tenue des cuves, celle-ci est le fait d'EDF et de l'IRSN, à chaque renouvellement de combustible, sans oublier les revues décennales. Le phénomène de dégradation des cuves est lent : s'il n'est pas possible de prédire la durée de vie des matériels, nous pouvons tout de même garantir l'absence de risque sur une période de temps suivant celle de l'examen.

Quant à la lutte contre la menace terroriste le nombre d'acteurs impliqués la rend plus complexe encore : l'IRSN, qui détient un rôle d'appui technique, EDF, chargée de la surveillance de ses sites, et les agences de l'État, qui sont compétentes en matière de contre-espionnage par exemple. Dans ce contexte, il paraît délicat de confier ces questions à des autorités administratives indépendantes. L'IRSN considère que les intrusions récentes sur des sites nucléaires français ne pouvaient pas conduire à des faits graves. Au demeurant, la première barrière de sécurité a été franchie et il y a toujours matière à progrès dans ce domaine.

La situation topologique de la centrale de Fessenheim montre que tous les sites ne se valent pas en termes d'implantation. À l'époque de la construction de ce réacteur, les préoccupations étaient principalement d'aménagement du territoire et de faisabilité technique, la sûreté ne faisant pas grande question. Aujourd'hui, la réflexion ne serait pas la même. Cela a d'ailleurs été constaté en Chine où la réflexion conduite au sujet des incidents de Fukushima pose la question du renoncement de l'implantation de centrales en bord de fleuves. Ainsi, les conséquences d'un incident à Fessenheim sur le Rhin seraient de grande ampleur, d'autant plus que les dommages concerneraient plus de populations étrangères que françaises.

Pour l'avenir, il conviendra de mener une réflexion à l'échelon sociétal avec un critère de sûreté plus prégnant que par le passé.

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