Intervention de général Jacques Mignaux

Réunion du 10 juillet 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

général Jacques Mignaux, directeur général de la gendarmerie nationale :

Je tiens à vous dire combien je suis heureux que vous m'ayez invité à m'exprimer aujourd'hui devant votre commission de la défense nationale et des forces armées, au moment où débute cette quatorzième législature.

Nos soldats blessés en Guyane ont été rapatriés très rapidement grâce au service de santé des armées. Ils ont eu beaucoup de chance, car aux côtés de leurs camarades marsouins qui y ont laissé la vie, ils ont été victimes d'une embuscade. Ils faisaient partie d'un premier groupe de neuf militaires qui, après avoir franchi 100 mètres, a été pris sous un déluge de feu. Nous sommes toujours à la recherche de la bande criminelle responsable, venue du Brésil.

La gendarmerie nationale est une force armée dont l'identité militaire a été confirmée par la loi du 3 août 2009. Depuis trois ans d'ailleurs, je ne note aucun signe d'un recul de cette « militarité ». La « militarité » ne se décrète pas, mais se construit au quotidien, dès la formation initiale puis tout au long de la carrière.

Je voudrais, à l'occasion de cette audition, vous rappeler quelques données clés en dressant un rapide état des lieux de la gendarmerie. Puis j'aborderai les liens qui nous unissent à la communauté militaire et notre engagement conjoint avec les armées.

Nos missions sont fixées par la loi précitée du 3 août 2009 : prévention de la délinquance, police judiciaire, renseignement et lutte antiterroriste, surveillance des voies de communication – donc sécurité routière –, secours à la personne, défense et sécurité nationale. Chaque gendarme peut être engagé sur ce spectre missionnel très large et, si nécessaire, avec l'appui d'unités spécialisées.

La gendarmerie exerce ses missions sur une zone de compétence étendue : nous assurons la protection en métropole et outre-mer de 33 millions de Français, soit près de 50 % de la population, sur un espace représentant 95 % du territoire national. Concrètement, la gendarmerie veille à la paix publique dans 34 800 communes sur 36 500. Ces chiffres soulignent combien sont essentiels notre partenariat avec les élus et notre lien de proximité avec la population.

Pour remplir ses missions, la gendarmerie s'appuie sur sa principale richesse, son personnel. Après une forte progression de ses effectifs (de 96 527 ETPT en 2000 à 102 101 ETPT en 2007), nous avons subi, à partir de 2008, une réduction très nette de notre format (95 858 ETPT en 2012), essentiellement dans le cadre de la RGPP. Dans le même temps, la population en zone de gendarmerie nationale (ZGN) a continué de s'accroître et la société n'a pas cessé de s'ouvrir vers l'extérieur : flux humains, matériels, immatériels… À cet égard, je relève que la population y a crû de 2,8 millions d'habitants en dix ans, et devrait connaître une dynamique similaire pour la prochaine décennie.

La déflation des effectifs va s'arrêter, ce qui est une excellente chose. Subsiste néanmoins une difficulté : à cette déflation s'ajoute une sous-réalisation des effectifs en gestion au point qu'il me manque aujourd'hui 1 410 personnes dans les brigades territoriales.

La gendarmerie est aujourd'hui confrontée à une équation budgétaire complexe. Nous n'ignorons rien de l'enjeu de maîtrise des dépenses publiques, mais celui-ci se conjugue avec une pression opérationnelle qui ne diminue pas. Ainsi, hors rémunérations, nos crédits d'investissement et de fonctionnement ont atteint un niveau plancher. Ils ont baissé de 18 % depuis 2007, pour atteindre 1,2 milliard d'euros de CP en 2012.

Les crédits de fonctionnement ont dû supporter des facteurs de coûts systématiquement réévalués à la hausse : carburant, énergie, loyers, coût des projections outre-mer et des opérations extérieures. Cette contrainte budgétaire pèse directement sur l'activité.

Au cours de ces cinq dernières années, les capacités d'investissement se sont contractées de 56 %. La situation est aujourd'hui très tendue dans certains domaines comme l'immobilier, le renouvellement du parc automobile ou celui du parc informatique ; les enjeux de la prochaine programmation budgétaire triennale n'échappent à personne.

Depuis dix ans, la gendarmerie a obtenu des résultats significatifs. L'activité judiciaire des unités a débouché sur la mise en cause plus de 375 000 personnes en 2011, soit une hausse 40 % par rapport à 2000. Le taux d'élucidation des affaires s'établit à 43,1 % en 2011. La délinquance a reculé de plus de 15 % en ZGN, pour se situer à 1 002 388 faits en 2011. En outre, en matière de sécurité routière, le nombre d'accidents en ZGN a diminué de 58,3 % en dix ans (de 39 235 à 16 348) et celui des tués de 47,6 % (de 5 632 à 2 952). Plus de 16 500 vies ont ainsi été épargnées en une décennie.

Si la gendarmerie est désormais rattachée au ministère de l'intérieur, elle n'en reste pas moins liée au ministère de la défense comme à la communauté militaire. Le rattachement est objectivement réussi. Il s'est conduit dans le respect de l'identité de chacun. Le rapprochement de la gendarmerie et de la police au sein d'un même ministère a permis, notamment, de parvenir à une plus grande cohérence de l'action commune et une meilleure efficacité sur le terrain. La gendarmerie conserve néanmoins des liens étroits avec la communauté militaire. Le ministre de la défense est aussi le ministre de la gendarmerie en tant qu'elle est une force armée.

Il est notamment le garant du statut et de la condition militaires, veille à la discipline, assure la bonne marche de la concertation, étant entendu que le ministre de l'intérieur copréside le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) ; il est aussi responsable de la formation initiale, creuset de la structuration de l'identité militaire de notre personnel.

Le ministre de la défense est l'autorité d'emploi de certaines formations spécialisées de gendarmerie (gendarmeries maritime, de l'air, de l'armement et de la sécurité des armements nucléaires). Ces 2 700 militaires concourent aux missions de sécurité nationale et de protection de l'appareil de défense, dans le cadre de la mission budgétaire « Défense ». Je suis également le subordonné direct du ministre de la défense pour les questions prévôtales, mission particulièrement sensible pour les armées.

La réserve opérationnelle de la gendarmerie, avec ses 24 000 membres, représente la moitié des effectifs de toutes les réserves militaires. Ces réservistes, recrutés, formés et gérés par la gendarmerie, contribuent à notre performance. Ils permettent de faire face aux pics d'activité en période d'affluence saisonnière pour de grands événements, mais également aux situations de crise. Ces réservistes sont également un puissant levier d'engagement civique et un lien précieux avec la population. Ils sont, dans ce rôle, utilement accompagnés par près de 900 réservistes citoyens, parmi lesquels je m'enorgueillis de compter quelques parlementaires.

Dans l'exercice des missions de défense et de sécurité nationale, nous agissons de conserve avec les armées, tout d'abord sur les théâtres d'opérations extérieures. J'ai déjà abordé la prévôté qui assure des missions de police générale, de protection, d'appui et de renseignement de la force, ainsi que de police judiciaire aux armées. Le bon fonctionnement de la prévôté est essentiel dans un contexte de judiciarisation croissante des opérations.

En Afghanistan, notre dispositif d'appui à la police afghane est complémentaire de l'action de nos forces dans la zone sous responsabilité française. Il évolue au même rythme et dans les mêmes conditions que les armées. Notre contribution au volet « formation » est également importante dans le Wardah, hors de la zone de responsabilité française. Nous développons, conformément au traité d'amitié signé avec l'Afghanistan, notre soutien à l'Afghan national civil order police (ANCOP). Il s'agit d'une force qui évolue vers notre modèle de gendarmerie mobile et qui offre des performances de qualité.

Sur le territoire national ensuite, la gendarmerie participe, avec le concours des armées, au continuum défense-sécurité nationale. Gendarmerie et armées exécutent ensemble des missions de sécurité nationale. Cette continuité s'exprime également lors d'opérations combinées ayant pour objectif de maintenir la souveraineté de la France, qui sont de véritables « opérations intérieures » ; je pense particulièrement à l'opération « Harpie » en Guyane, un département grand comme une région de métropole. Les événements survenus récemment illustrent la réalité de ces engagements mais également notre fraternité d'armes.

En conclusion, je suis convaincu que notre efficacité quotidienne repose sur notre identité militaire. Le gendarme, « soldat de la loi », est un militaire pleinement conscient de ce qu'implique son statut. Il est disponible et dévoué, prêt à s'engager dans toutes les missions, mêmes les plus difficiles. Je sais pouvoir compter sur lui. Il peut être confronté à des risques policiers comme aux risques de la guerre, c'est ce qui fait aussi sa spécificité. Ces risques sont différents, mais tous sont imprévisibles. Je rappellerai que, depuis le début de l'année, cinq gendarmes ont été tués en service et près de 550 ont été blessés du fait d'agressions subies dans leurs fonctions.

Je vous remercie pour cette invitation à m'exprimer devant vous. Elle est, à mes yeux, d'autant plus importante que va bientôt s'ouvrir une importante réflexion sur notre défense et notre sécurité nationale. En tant que chef d'une force armée pleinement concernée par le large éventail de ces enjeux, je souhaite que nous contribuions au débat.

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