Je remercie votre Commission d'avoir organisé cette audition. Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, notre calendrier actuel est très tendu. Depuis deux ans, j'ai régulièrement tenu la représentation nationale informée des évolutions et des difficultés de ce dossier. À un moment crucial pour l'avenir de la distribution de la presse, cette nouvelle rencontre me paraît tout à fait pertinente.
Dans quelques jours, la profession, les éditeurs et l'État prendront une décision essentielle dont dépendra la pérennité de l'exploitation de Presstalis. En effet, le mandat ad hoc que nous avions demandé et qui a fait l'objet de plusieurs renouvellements depuis son commencement en décembre 2011, s'achève le 30 juillet, c'est-à-dire lundi prochain. Si, d'ici là, nous ne trouvons pas les conditions d'un accord entre les parties, en particulier pour le financement des restructurations nécessaires, nous devrons nous en remettre à la décision du président du tribunal de commerce de Paris. Ces dernières semaines, nous avons certes obtenu des moratoires sur certains paiements. La situation n'en est pas moins critique.
Nous sommes dans une phase de discussion intense avec les autres parties. Demain matin, notre conseil d'administration devrait adopter certaines orientations avant que nous ne rencontrions les organisations syndicales l'après-midi. Nous pourrons ensuite indiquer au président du tribunal de commerce de Paris si nous avons trouvé un accord – auquel cas il prendra la décision qui lui paraîtra légitime – ou si nous sommes dans une impasse. Quelle que soit l'issue, les enjeux sont tellement lourds que la représentation nationale sera forcément concernée. Il est important que les députés soient informés, et je vous remercie d'avoir accepté ce huis clos.
« Presstalis » est la nouvelle dénomination des Nouvelles messageries de la presse parisienne, les NMPP, créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour assurer la distribution impartiale des journaux quelles que soient les opinions politiques exprimées. La loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, inscrit le système de la distribution de la presse en France dans un cadre coopératif. À l'origine, il s'agissait principalement de la distribution des quotidiens, puis les magazines se sont intégrés dans ce réseau.
Aujourd'hui, la société Presstalis est reconnue comme l'acteur dominant de la distribution de la presse écrite vendue au numéro en France. Elle distribue 100 % des quotidiens nationaux, 70 à 75 % des magazines et la totalité des journaux et magazines étrangers vendus sur le territoire.
Il existe un deuxième opérateur, les Messageries lyonnaises de presse (MLP), nées également au lendemain de la Seconde Guerre mondiale – mais avec une emprise plus locale – et soumises à la même législation. Le fait que les MLP se soient érigées, à partir des années 1990, en concurrent des NMPP est une des sources de nos difficultés. Autant le système fonctionnait bien lorsque les deux messageries menaient leurs activités en bonne coordination, autant la situation est devenue compliquée depuis qu'une démarche de concurrence a été adoptée.
Cela étant, les principales difficultés de Presstalis ont pour origine l'évolution même de la société française, confrontée à la multiplication des voies d'information et des moyens de distribution. L'arrivée de l'internet et des nouvelles technologies a changé en profondeur le mode de consommation de l'information et du divertissement. En outre, les éditeurs investissent beaucoup, depuis une vingtaine d'années, pour fidéliser leurs lecteurs via des abonnements acheminés par voie postale. Considérant que cet acheminement répond pour partie à une mission de service public, l'État accorde une aide à La Poste, tout comme il reconnaît la mission de service public assurée par Presstalis, unique messagerie assurant la distribution des quotidiens en France. Mais la politique d'encouragement à l'abonnement et le développement du portage qui s'en est suivi ont évidemment nuit à la vente au numéro.
À ces données structurelles s'ajoutent le retournement dramatique du contexte économique en 2008-2009 et l'effondrement des ventes au numéro. Dans le même temps, moyennant une concurrence de plus en plus agressive, l'autre messagerie – qui n'a pas les mêmes charges – nous soustrait la distribution de plusieurs magazines.
À la fin de 2009, la situation de Presstalis est extrêmement préoccupante, d'autant que l'actionnaire de référence depuis l'origine, Hachette, manifeste sa détermination à sortir du capital. Après un long conflit, les éditeurs et le groupe Lagardère – dont Hachette est une filiale –, conviennent, sous l'égide de l'État, d'un protocole de sortie de Lagardère. Des financements sont prévus, en contrepartie desquels la société s'engage à se réformer pour redresser sa situation financière et faire face à la crise économique. Sur la base du rapport commandé à l'inspecteur des finances Bruno Mettling, la société met en place un plan dont le terme est fixé au mois de juin 2011. Je suis pour ma part appelée en août 2010 pour mener à bien l'exécution de ce protocole d'accord. Avec Vincent Rey, nous conduisons les réformes convenues et l'actionnaire de référence sort à la fin de juin 2011. Presstalis devient la propriété exclusive des éditeurs, comme l'est d'ailleurs son concurrent.
À cette même date, je suis sollicitée par les éditeurs pour rester à la tête de la société car, chemin faisant, nous nous sommes rendu compte que les baisses structurelles du marché rendent indispensable une réflexion de fond non seulement sur Presstalis, mais sur l'ensemble de la filière de la distribution de la presse écrite. Le dispositif industriel mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale s'est réduit mais n'a jamais changé de structure. Il n'est plus adapté à ce contexte radicalement différent.
En juillet 2011, donc, nous commençons à travailler à un plan stratégique de grande envergure pour rationaliser le secteur et lui permettre de se pérenniser en s'adaptant à une baisse tendancielle de volume dont on ne voit pas, aujourd'hui encore, quand elle prendra fin.
Sans compter ses filiales de distribution de la presse française à l'étranger, la société Presstalis emploie 2 500 personnes en France. Son activité est celle d'un gestionnaire de flux logistiques, informationnels – de statistiques notamment – et financiers. Au départ de l'imprimerie ou, pour les magazines, du brocheur, nous devons assurer la distribution dans les 29 500 points de vente répartis sur l'ensemble du territoire.
Les enjeux logistiques sont très différents pour les quotidiens et pour les magazines. La plupart des quotidiens sortent de l'imprimerie – il y a une vingtaine de lieux d'impression en France – vers 2 heures du matin et doivent être livrés chez le diffuseur à 6 heures 30. Le flux est très tendu. Entre 500 et 550 camionnettes sillonnent le pays la nuit durant, faisant face à tous les aléas imaginables. Pour les magazines, on est plus dans une logistique de volume : selon que l'on est au début, au milieu ou à la fin de la semaine, ces volumes connaissent d'importantes variations et nous devons nous y adapter.
Les imprimés transitent par des dépôts implantés dans beaucoup de vos circonscriptions. L'argent effectue un circuit inverse puisque nous fonctionnons selon un système de ducroire : nous le collectons chez le diffuseur, nous le remontons au niveau des dépôts, nous payons le diffuseur et le dépositaire, puis nous redonnons la part restante à l'éditeur. Aussi nos difficultés ne se traduisent-elles pas par une dette bancaire mais par une dette auprès des éditeurs, vis-à-vis desquels la messagerie est mandataire ducroire. Les éditeurs sont tout à la fois nos actionnaires, nos clients et nos créanciers.
Nous restons propriétaires de 45 dépôts – après en avoir vendu quelques-uns –. sur les 147 que nous utilisons aujourd'hui. Comme nous sommes, historiquement, la messagerie qui a structuré le réseau, ces 45 implantations couvrent toutes les grandes agglomérations françaises et tous les points stratégiques de distribution. Elles alimentent plus de la moitié des diffuseurs de presse. J'ajoute que la messagerie concurrente, qui distribue essentiellement des magazines, passe par le même réseau de dépôts. Les flux en provenance de Presstalis et ceux en provenance des MLP se croisent donc à ce niveau pour aboutir chez les mêmes diffuseurs. Par voie de conséquence, dès que l'un des acteurs se porte mal, il fragilise l'autre. C'est un aspect non négligeable de la situation où se trouve la filière.
Par parenthèse, les MLP sont propriétaires d'une vingtaine de dépôts et ont pris des participations chez un certain nombre de dépositaires indépendants. Il faut savoir que les dépositaires sont souvent de petites entreprises familiales. Compte tenu de la situation économique de la presse et de la baisse de la vente au numéro, beaucoup se trouvent très fragilisés, voire déjà en situation de déficit. Il y a deux ans, nous avions souligné que le nombre des dépôts était trop important au regard de la capacité économique susceptible de les alimenter et qu'il était souhaitable de le ramener à 110. Malheureusement, le rythme de cette réduction n'a pas été très soutenu. Cela s'explique fort bien : si les deux messageries propriétaires de dépôts peuvent procéder à des rationalisations, ce n'est pas le cas des indépendants. Il arrive qu'une des messageries les rachète ou noue un partenariat, mais la plupart d'entre eux se contentent de gérer au mieux l'entreprise dans ce contexte difficile.
J'en viens au schéma industriel.
Alors que le rapport Mettling se fondait sur une prévision de baisse de la vente au numéro de 4 à 5 % par an, nous avons été confrontés à une chute beaucoup plus brutale, d'environ 10 % pour la seule année 2010. L'analyse des tendances et l'observation de la situation dans les pays étrangers nous ont conduits à prévoir dans notre plan stratégique une baisse de l'activité de 25 % en quatre ans, ce qui se révèle aujourd'hui presque optimiste tant le transfert vers l'activité numérique est rapide, en particulier pour les quotidiens, et tant la distribution physique est coûteuse. Si Presstalis est en difficulté, c'est que les éditeurs n'ont pas les moyens de payer le coût de leur distribution.
Ce sont les contraintes liées aux quotidiens qui grèvent le plus notre société. Tous les éditeurs de quotidiens nationaux sont en situation délicate et ils ne peuvent payer le vrai prix de la distribution. L'aide que l'État apporte depuis un certain temps dans ce domaine ne compense pas les coûts que nous supportons.
Certains de ces coûts sont de nature historique : comme le rapport Mettling le soulignait déjà, la messagerie est ancienne, elle a créé le réseau existant et en a assumé tous les surcoûts sociaux. À l'instar des sociétés d'impression des quotidiens, nous avons des salariés bénéficiant du statut très particulier d'ouvrier du livre, contrôlé par le Syndicat général du livre. La convention collective régissant ce statut est à l'origine d'un réel surcoût social, de même, d'ailleurs, que les conditions de travail en général : travail de nuit, travail sept jours sur sept, y compris les jours fériés.
L'année dernière, la représentation nationale a voté un aménagement de la loi Bichet qui s'est révélé très positif, même si l'expérience que nous venons de vivre conduira sans doute à y revenir. Cette modification confère la personnalité morale au Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) – l'instance chargée de gérer le système particulier formé par les deux messageries qui distribuent la presse en France – et accroît ses pouvoirs. Elle crée également une Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), qui a notamment pour mission de rendre exécutoires les décisions prises par le Conseil supérieur. C'est ainsi que l'affrontement très dur entre les deux messageries s'est quelque peu apaisé.
Cela étant, tous les professionnels reconnaissent aujourd'hui qu'ils ont sous-estimé les difficultés auxquels ils seraient confrontés. Ils se rallient en général à ce que préconisait en 2009 le président de l'Autorité de la concurrence, M. Bruno Lasserre, à savoir une organisation unique de régulation, plus efficace et plus indépendante par rapport à la profession. Dans le dispositif actuel, l'Autorité de régulation joue un rôle très juridique et ses décisions sont sujettes à recours, alors que le contexte exige une action rapide. Je pense donc que nous reviendrons vers vous pour traiter de ces sujets.
Mais l'important était que la profession se mette en mouvement. Sous l'égide du Conseil supérieur des messageries et de l'Autorité de régulation, plusieurs études ont été menées. Le cabinet Kurt Salmon vient de remettre un rapport sur l'organisation des dépôts et leur évolution possible. Une consultation publique a été lancée sur les bases de ses conclusions. Le Conseil supérieur se prononcera à la fin de la semaine. Les éditeurs et les messageries ont mené une réflexion en profondeur sur cette évolution, sachant que celle-ci peut conduire à des restructurations ayant des conséquences sociales lourdes sur l'ensemble du territoire.
En 2009, M. Lasserre avait également relevé une distorsion de concurrence entre les deux messageries au détriment de l'acteur majeur. Dans le système de péréquation interne à Presstalis, en effet, les éditeurs de presse magazine paient pour la distribution de la presse quotidienne à raison de leur propre situation. Le but de ceux qui ont choisi, dans les derniers mois, de passer à la société concurrente était de sortir ce système. C'est pourquoi M. Lasserre proposait d'étendre la péréquation à l'ensemble de la profession. Celle-ci s'est saisie du dossier et a commandé une étude assez complexe au cabinet Mazars. Selon les conclusions du rapport, soumises également à consultation publique, les surcoûts historiques et sociaux qui grèvent Presstalis pour la seule distribution des quotidiens s'élèvent à environ 26 millions d'euros, et cette charge devrait être répartie au lieu de peser seulement sur les éditeurs clients de notre société. Nous verrons jusqu'où nous pourrons aller, mais la démarche est saine.
Compte tenu du rôle structurant de Presstalis et de l'imbrication des flux, tous les acteurs du système estiment qu'une défaillance serait un cataclysme. La société entraînerait son concurrent dans sa chute, on assisterait à des dépôts de bilan en chaîne chez les dépositaires. Et l'on sait combien est précaire la situation des diffuseurs. On sait moins, en revanche, qu'une kyrielle de petits transporteurs vit de notre activité, très importante donc pour les territoires. Le président du tribunal de commerce de Paris a très bien perçu cet aspect.
Quant aux éditeurs, ils ont pris conscience que, même si tous les regards se tournent aujourd'hui vers Presstalis, c'est la totalité de la filière qui est en jeu. Ils travaillent désormais ensemble et j'ai bon espoir qu'ils trouvent dès l'automne des solutions complémentaires au plan stratégique de Presstalis.