Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 15 janvier 2013 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice :

Comme ma collègue, Mme la ministre chargée de la famille, je salue la qualité des échanges – même si le ton est parfois vif. Vous avez parlé d'un texte vague, mais il n'en est rien : nous vous soumettons un texte que vous pouvez amender, donc transformer.

Tout d'abord, s'agissant du référendum demandé par plusieurs représentants de l'opposition, M. Guy Geoffroy a appuyé sa démonstration sur une définition du Larousse. Or, il est plutôt d'usage que les parlementaires, le Gouvernement et, à l'occasion, les magistrats et les membres du Conseil constitutionnel se réfèrent, en cas de doute sur l'interprétation d'une disposition, aux travaux parlementaires retranscrits au Journal officiel pour comprendre l'intention du législateur.

L'article 11 de la Constitution permet au président de la République, sur proposition du Gouvernement, de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et aux services publics qui y concourent, ou sur la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, pourrait avoir des conséquences sur le fonctionnement de nos institutions. Monsieur Geoffroy, vous nous avez dit que, selon le Larousse, les questions sociétales pouvaient être incluses dans le concept social. Or, lors des débats parlementaires ayant conduit à la réforme constitutionnelle du 4 août 1995, le garde des Sceaux de l'époque, M. Jacques Toubon, répondait ainsi à une question portant sur la définition du champ du social : « En limitant l'extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le Gouvernement a choisi d'exclure les sujets touchant à la souveraineté comme la défense et la justice ou ce qu'il est convenu d'appeler les questions de société (…) Il doit donc être clair qu'il ne saurait y avoir de référendum sur des sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l'avortement ou sur l'expulsion des immigrants clandestins, le référendum n'étant pas et ne devant pas être un instrument de démagogie ».

Ainsi s'exprimait M. Jacques Toubon pour expliquer l'interprétation possible du terme « social » par rapport aux questions de société. Monsieur Geoffroy, vous êtes un parlementaire expérimenté – je peux en témoigner, ayant moi-même été longuement députée – et vous vous interrogez avec rigueur, en général, sur le sens de notre droit. Vous savez donc parfaitement que le refus d'inclure les sujets de société dans le champ du référendum est une constante. Au cours des débats ayant abouti à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la question a été à nouveau soulevée et des parlementaires de la majorité d'alors – de manière éclairée et responsable – ont réaffirmé la nécessité d'exclure ces thèmes du domaine du référendum. Cette attitude était empreinte de responsabilité car, comme le soulignait M. Jacques Toubon, recourir au référendum présente un risque de démagogie. Par conséquent, si l'on comprend que le citoyen puisse réclamer d'être de nouveau consulté, il est plus que surprenant que des législateurs s'emparent de cette demande en faisant fi du champ défini par notre loi fondamentale. Si je refuse l'organisation d'un référendum, c'est parce que, plus que tout autre membre de l'Exécutif, je suis comptable du respect de la Constitution et de celui du champ du référendum.

Dans une démocratie, « règne du droit » – comme le disait le philosophe Alain –, et non règne de la majorité, la loi fondamentale est la référence suprême. Et lorsque cette loi fondamentale définit les matières pouvant donner lieu à référendum, la volonté d'utiliser cette procédure selon les fantaisies de l'inspiration subjective, par définition variables et inconstantes, interroge, pour ne pas dire qu'elle inquiète.

Par ailleurs, vous avez cité le référendum sur la ratification du traité de Maastricht et celui sur le statut de la Nouvelle-Calédonie. Ce sont deux contre-exemples, car ces deux référendums étaient conformes à la Constitution, le premier entrant dans le champ de l'article 11 et le second dans celui de l'article 89.

Je pense le peuple français, qui est extrêmement politisé, plus sensible au propos de ceux qui lui disent : « Nous sommes confrontés à un sujet majeur qui relève de notre responsabilité et nous allons l'assumer » qu'à une proposition consistant à renvoyer cette responsabilité au peuple. Si nos concitoyens votent, c'est parce qu'ils croient à l'esprit de responsabilité et au sérieux de leurs élus ; c'est pourquoi la demande de référendum que vous exprimez trouve peu de résonance dans l'opinion.

Je me félicite que le président de votre Commission ait permis au débat de se dérouler longuement et intensément. Avec l'examen de l'article 1er et des amendements de l'opposition tendant à sa suppression vient l'épreuve de vérité : c'est dans cet article que figure l'essentiel, qui nous conduit à la confrontation. Nous reconnaissons le mariage pour ce qu'il est : un contrat entre deux personnes mais aussi une institution qui a eu une longue histoire, parfois chaotique, toujours passionnelle, et qui a été sacralisée, y compris dans sa forme civile. Ce qui nous distingue de l'opposition, c'est notre refus de l'alliance civile ou de l'amélioration du PACS – même quand elle est réclamée par certains de ceux qui l'ont pourfendu, et qui découvrent, après quinze ans, qu'il s'agissait d'une belle réforme progressiste. Non, nous ne voulons pas de régimes différents pour les uns et pour les autres. Aujourd'hui, si les hétérosexuels peuvent s'organiser en couple ou en famille selon trois régimes – le concubinage, le PACS et le mariage – les homosexuels n'ont que les deux premières possibilités. L'opposition propose de créer, à leur usage, une alliance civile ou d'améliorer le PACS, mais leur refuse le mariage. Pour notre part, nous leur ouvrons le mariage, avec tout ce qu'il est – contrat, institution, charge symbolique et sacralisation - et l'adoption.

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