Intervention de Nicole Maestracci

Réunion du 20 février 2013 à 9h15
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Nicole Maestracci :

J'ai effectué une longue carrière de magistrat du siège, puisque je suis entrée dans la magistrature en 1977 comme auditrice de justice. Auparavant, j'avais travaillé en tant qu'avocate stagiaire chez un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. J'ai commencé dans la magistrature comme juge des enfants, puis comme juge de l'application des peines (JAP). Ces fonctions, alors peu valorisées, amenaient les magistrats à suivre certaines personnes dans la durée, ce qui les confrontait aux conséquences de leurs décisions. Ils devaient prendre en compte le mode de vie, l'environnement socio-économique et la personnalité des justiciables, car il ne suffit pas d'être un bon technicien pour être un bon juge. À l'époque, les fonctions du JAP, qui n'étaient pratiquement pas judiciarisées, étaient assimilées à des fonctions sociales, et le JAP ne rencontrait quasiment jamais d'avocat.

J'ai été conseiller, puis président de chambre à la cour d'appel de Paris, où j'ai fait essentiellement du droit commercial et du droit des procédures collectives. J'ai été aussi conseiller chargé de la coordination des JAP, et j'ai présidé une chambre pénale. Pendant sept ans, j'ai présidé le tribunal de grande instance de Melun. Actuellement, je suis la première présidente de la cour d'appel de Rouen, ce qui m'amène à organiser des juridictions dans un contexte budgétaire contraint et à diriger des juridictions composées de personnes indépendantes, en veillant à ce que la justice soit rendue dans des conditions satisfaisantes pour les justiciables.

J'ai aussi exercé des fonctions administratives, puisque, en 1983, j'ai été chargée du bureau de la participation communautaire à la direction de l'administration pénitentiaire. Il s'agissait de mettre en place une mesure que le Parlement avait votée à l'unanimité – les travaux d'intérêt général – et d'ouvrir les établissements pénitentiaires aux associations et aux services publics extérieurs, en vue de préparer la réinsertion des détenus.

Plus brièvement, j'ai exercé, en 1987, les fonctions de conseiller technique à la délégation interministérielle à la sécurité routière. Je me suis alors confrontée aux difficultés du travail interministériel, qui oblige à mettre en oeuvre une politique publique en conciliant des logiques contradictoires. En tant que présidente de la MILDT, j'ai essayé de mener une politique publique en m'appuyant sur la prévention, l'insertion, la politique pénale et la politique de soins. Dans ce cadre, j'ai souligné l'insuffisance, dans notre pays, de la politique menée pour prévenir la consommation excessive d'alcool.

En 1991, j'ai été chargée par les ministres de la Justice et de la Recherche d'une mission de réorganisation de la recherche. Dans ce cadre, j'ai travaillé à mettre en place le groupement d'intérêt public « Droit et justice », qui n'a été opérationnel qu'après mon départ. Quand j'ai présidé la commission interministérielle de lutte contre la drogue, je me suis à nouveau intéressée à la recherche en vue d'asseoir une politique sur des données validées scientifiquement.

Enfin, pendant six ans, j'ai présidé la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, qui regroupe 850 associations gérant des centres d'hébergement, des centres d'accueil pour demandeurs d'asile et des structures d'insertion par l'activité économique. Dans ce cadre, je me suis intéressée à l'accessibilité des droits. On sait en effet qu'un grand nombre de personnes démunies, qui pourraient bénéficier du revenu de solidarité active (RSA), de la couverture maladie universelle (CMU) et du droit au logement, n'y recourent pas.

Compte tenu de mon parcours, je ne revendique pas encore de compétences avérées en droit constitutionnel. C'est en tant que magistrate de terrain, qui a vu beaucoup de justiciables et mesuré leur difficulté pour comprendre certaines décisions, notamment celles de la Cour de cassation, que j'aborde les fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Je n'ai pas non plus de compétences particulières en matière de finances publiques, mais je sais que le Conseil sera conduit à prendre de plus en plus de responsabilités à cet égard. Il est probable qu'il procédera à des auditions. De même que, dans le domaine social, il a pris l'initiative d'entendre des organisations syndicales, il veillera sans doute à ce que ses décisions en matière de finances soient étroitement en phase avec la réalité économique.

Étant magistrate de l'ordre judiciaire, j'ai une longue pratique de l'impartialité qui doit présider à toutes les décisions. Les incompatibilités devant être entendues au sens le plus large, j'entends me défaire, en cas de nomination, de toutes les responsabilités que j'exerce aujourd'hui, même de celles qui, au vu des textes, peuvent ne pas sembler incompatibles avec les fonctions de membre du Conseil.

Je me réjouis du développement des QPC, auxquelles je me suis personnellement intéressée pour en avoir transmis à la Cour de cassation, quand j'étais à la cour d'appel de Paris. Cette procédure rapproche le Conseil des justiciables. En développant un contrôle des textes a posteriori, elle l'invite à réfléchir non seulement à la lettre de la loi mais à son application, c'est-à-dire au droit vivant. Elle permet aux juges de l'ordre judiciaire de renforcer leurs compétences en matière constitutionnelle. Ils connaissaient déjà les principes fondamentaux garantis par la Constitution et la Convention européenne des droits de l'homme. La nouvelle procédure les invite à interpréter constamment la loi dans le respect des principes garantis par la Constitution. Elle change enfin le rôle et la nature du Conseil : elle le rapproche des autres cours constitutionnelles européennes, puisqu'elle lui confère une grande partie de leurs compétences.

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