La position du Conseil constitutionnel, madame Karamanli, est très claire et n'a pas varié : il n'est pas juge de la conventionalité mais de la constitutionnalité. Cette fameuse « jurisprudence IVG » a souvent été précisée – récemment encore, à l'occasion d'une QPC –, mais la question se pose bien plutôt de la façon dont la CEDH, la CJUE et le Conseil constitutionnel respectent leur domaine de compétence et se considèrent entre eux. Il semble que le dialogue des juges, dont on parle beaucoup, a fonctionné de telle sorte que l'on n'a pas constaté de difficultés ou de contradictions particulières.
Le Conseil constitutionnel étant donc juge de la constitutionnalité et la CJUE juge de la conventionalité par rapport au droit européen, c'est bien au niveau de la Cour de cassation ou du Conseil d'État – et de l'ensemble des juridictions – qu'il convient de traiter de la conventionalité. Dès lors que chacun connaît les conditions dans lesquelles il intervient, ainsi que les normes de référence qui sont les siennes, les difficultés que l'on pourrait présager devraient être résolues.
La CEDH, quant à elle, commence à se référer à des décisions que le Conseil constitutionnel a prises sur tel ou tel sujet. Si ce dernier intervient de manière générale en supprimant de notre ordre juridique telle ou telle disposition, les décisions prises par la CEDH sont toujours très motivées au regard de l'espèce même qui lui est soumise et, finalement, ne donne pas matière à soulever d'éventuelles contradictions.
À ce jour, les augures qui prédisaient l'impossible coexistence d'un juge constitutionnel – beaucoup plus actif avec les QPC – et de la CJUE ou de la CEDH se sont trompés. Les décisions du Conseil sont très claires et ne permettent pas d'imaginer une modification de la jurisprudence.
Votre question, monsieur Geoffroy, invite à se montrer plus exigeants lors de l'élaboration des textes eu égard à la jurisprudence du Conseil, comme le Parlement s'y emploie d'ailleurs aujourd'hui. Nombre de saisines parlementaires ont été effectuées et le contrôle a priori s'est plutôt renforcé, alors que nous nous étions demandé naguère – et M. le président Urvoas avait lui-même posé la question – si la QPC n'allait pas le faire disparaître. C'est donc le contraire qui est vrai, les deux contrôles coexistant et les sollicitations étant plus importantes en raison de ces saisines a priori.
Je ne suis pas favorable, Madame Untermaier, à la divulgation des opinions dissidentes, car cela reviendrait à ne pas respecter le secret des votes. Il est vrai que, parfois, le désaccord ne porte pas sur la solution envisagée, mais sur le raisonnement qui y a conduit : dans ce cas, c'est le secret du délibéré que mettrait à mal la publication des opinions dissidentes. En outre, celle-ci n'est pas dans la tradition française. Notre pays n'accepte pas absolument que la querelle juridique ne soit considérée que comme telle, et il me semble important de ne pas donner prise à des surinterprétations quant à ce qui se passe au Conseil. Enfin, sans enfreindre aucun secret de délibéré, je peux vous dire que nous cherchons à faire partager un raisonnement juridique à l'intérieur du Conseil, où les opinions, comme la façon d'aborder les problèmes, peuvent différer. Il arrive que les membres soient en désaccord et quant à la solution et quant au raisonnement, mais j'espère qu'il n'en ira jamais de même s'agissant de l'application des principes. Mon point de vue, en la matière, est très arrêté.