J'ai participé aux travaux de la mission aux côtés de Corinne Narassiguin et c'est à elle que je pense en cet instant car il lui revenait d'en présenter le rapport. Il s'agit d'un travail qu'elle a réalisé en collaboration avec Philippe Houillon et je tenais d'abord à lui rendre hommage pour ce qu'elle a ainsi accompli. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble. Sa parfaite maîtrise de la langue anglaise nous aura permis de comprendre toute la subtilité des règles de nos amis britanniques lorsque nous avons réalisé un déplacement à Londres. Son expérience professionnelle du monde de la banque aura été également très précieuse. Son travail nous manquera.
Avant de présenter les conclusions des travaux de la mission, je voudrais simplement rappeler qu'avec Philippe Houillon, nous avions déjà travaillé en 2009 sur un rapport qui posait la question de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché. Ainsi, nous avions déjà abordé un certain nombre des questions que nous traitons dans le cadre de la présente mission sur la gouvernance, même si celle-ci couvre un champ plus large que la seule problématique des rémunérations.
Comme le Président Jean-Jacques Urvoas vient de le rappeler, ce rapport résulte de nos différents échanges ainsi que des arbitrages auxquels Philippe Houillon et Corinne Narassiguin sont parvenus préalablement à l'adoption du rapport par la mission. Il témoigne donc tout à la fois d'une certaine communauté de vue quant aux insuffisances actuelles de la gouvernance des grandes entreprises mais également de la persistance de quelques divergences quant aux solutions qu'il convient d'y apporter.
Cela étant, je crois pouvoir dire ici que ces divergences peuvent apparaître relativement minimes eu égard à l'étendue des problèmes que nous nous sommes efforcés d'appréhender et surtout au faible nombre de préconisations sur lesquelles nous n'avons pu nous accorder.
Le présent rapport comporte ainsi 20 propositions qui traitent de l'ensemble des aspects de la gouvernance des grandes entreprises et expriment les exigences que l'ensemble de nos collègues peuvent raisonnablement porter.
Le premier ensemble de propositions vise à instaurer un meilleur équilibre entre la loi et les codes de gouvernance, notamment en créant l'obligation pour les grandes entreprises de se référer à un code de gouvernance, les modalités d'élaboration de ce code devant être profondément rénovées par-delà les divergences d'appréciation quant au champ exact des acteurs appelés à cette tâche. De manière générale, la mission a entendu privilégier une approche pragmatique qui fasse la part de ce qui relève de l'autorégulation et de ce qui nécessite une intervention du législateur.
Une deuxième série de propositions tend à établir une gouvernance stable et ouverte aux diverses parties prenantes de l'entreprise : il s'agit notamment d'octroyer des droits de vote doubles aux actionnaires de long terme, car il est pour le moins choquant que des actionnaires « de passage » se voient aujourd'hui reconnaître autant de pouvoir que des actionnaires pérennes qui, contrairement aux premiers, sont toujours présents au capital de l'entreprise pour supporter les conséquences des décisions prises, parfois plusieurs années après les votes.
Par ailleurs, il convient de renforcer le contrôle sur les conventions réglementées dont le détournement peut nuire à l'intérêt social des entreprises.
En outre, nous estimons nécessaire d'instaurer par la loi une représentation obligatoire des salariés au sein des conseils d'administration ou de surveillance : comme les actionnaires, les salariés contribuent à la création de richesses et peuvent tout autant percevoir des vulnérabilités susceptibles d'altérer l'activité économique. Leur valeur ajoutée mérite d'être pleinement reconnue et intégrée dans les instances de gouvernance des grandes entreprises.
Dans cette même optique, il nous faut améliorer la qualité du dialogue social par le développement de la formation proposée aux salariés ainsi que par la réforme du délit d'entrave. Sur ce dernier point, je tiens à préciser qu'il ne s'agit nullement de porter atteinte aux procédures de consultation des instances représentatives du personnel, mais de favoriser un dialogue constructif le plus en amont possible des difficultés de l'entreprise. Ce dialogue sera d'autant plus aisé que chacun assumera pleinement ses responsabilités : c'est notamment cette finalité que la mission poursuit lorsqu'elle préconise de limiter plus strictement le cumul des mandats sociaux.
En dernier lieu, des propositions ont été formulées afin de favoriser une gouvernance responsable, au service de stratégies de long terme. Dans ce but, la mission a réfléchi à des sanctions pécuniaires plus efficaces en cas de gestion fautive. Mais pour sanctionner les dirigeants ayant commis des fautes de gestion, encore faut-il pouvoir engager leur responsabilité. Cet objectif peut être atteint par la création d'une procédure d'action de groupe reposant sur le mécanisme de l'« opt-in ». Ainsi, seules seraient membres du groupe les personnes affectées par un préjudice financier qui auraient expressément manifesté leur volonté d'être représentées à l'instance, ce qui exclurait celles qui ne se seraient pas manifestées. L'action de groupe reposerait alors sur un mandat exprès et le silence des personnes affectées par le préjudice financier serait assimilé à un refus de se joindre à l'action collective.
La commission de fautes passibles de sanctions pourrait être évitée si les dirigeants-mandataires sociaux étaient mieux contrôlés. C'est la raison pour laquelle il nous paraît souhaitable de renforcer le poids du vote de l'assemblée générale des actionnaires sur la politique de rémunération des dirigeants dans le cadre de ce que l'on appelle communément le « say on pay ».
Consubstantielle au métier d'entrepreneur, la prise de risques ne doit pas pour autant conduire à des paris inconsidérés qu'encourage la structure actuelle de certaines rémunérations variables. C'est pourquoi la mission préconise notamment une réforme du régime des « stock-options » et des actions gratuites destinée à leur rendre leur vocation première, ainsi que l'interdiction des rémunérations sous forme de « retraites chapeau ».
En somme, j'estime que ce rapport propose des mesures qui peuvent contribuer à la fois à une moralisation des pratiques et à un indispensable changement de culture. C'est pourquoi je vous proposerai qu'au terme de notre discussion, la Commission autorise la publication de ce rapport.