Intervention de Serge Papin

Réunion du 20 février 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Serge Papin, président-directeur général de Système U :

Je partage ce qui vient d'être dit sur cette lamentable affaire, je n'y reviendrai donc pas, sauf pour vous faire savoir que j'ai demandé à Guillaume Garot de rendre obligatoire la traçabilité de tous les ingrédients composant un produit. Actuellement, on trouve des produits dont l'étiquetage peut laisser penser qu'ils sont d'origine locale, mais en réalité ils sont seulement assemblés en France – le poulet peut venir du Brésil, et avoir été blanchi au chlore, les épices d'Inde, les pâtes de Chine. Il serait intéressant de profiter de cette affaire pour progresser sur l'identité des ingrédients.

Quelques mots pour commencer sur l'évolution de la consommation. Nous parlons de crise, mais il semble que cela soit plus profond. Le comportement de nos clients laisse à penser que nous sommes devant un changement d'époque. Nous sommes passés du pouvoir d'achat – élément certes toujours sensible – au pouvoir d'acheter. Nos concitoyens se réapproprient une sorte d'arbitrage et mesurent les conséquences de l'acte d'achat sur le devenir de la société, l'environnement, la santé, l'économie locale. L'acte d'achat est presque devenu un acte politique.

Pour toutes ces raisons, le « fait maison » se substitue petit à petit au « prêt-à-manger », qui est naturellement plus cher que les produits bruts. Le « fait maison » implique certes de passer du temps à faire les courses et à cuisiner – si possible des produits de saison – mais il est plus intéressant sur le plan économique. Le mouvement s'amplifie et nous devons l'accompagner. C'est le premier marqueur de l'évolution du consommateur.

Le deuxième marqueur c'est l'arbitrage. Celui-ci concerne les produits d'équipement ou les vêtements. La part de l'alimentation, qui représentait-il y a vingt ou trente ans 30 % du budget des ménages, n'est plus que de 12 %. Aujourd'hui, les gens dépensent plus pour bouger que pour manger. Le budget alimentaire est devenu une variable d'ajustement face à des dépenses contraintes qui, elles, ne baissent pas – loyer, abonnement à Internet, téléphone portable. Cependant, certains commencent à se dire qu'il serait peut-être plus intéressant de téléphoner moins et de manger mieux. Les épisodes que nous venons de vivre vont militer en ce sens.

Troisième marqueur, l'emploi. Pour continuer à développer notre savoir-faire et encourager le « fait maison », il nous faut des « hommes métiers », des artisans. Pour la filière qui nous concerne, ce sont les métiers de bouche – bouchers, charcutiers, boulangers, pâtissiers, cavistes, fromagers. Or, alors que notre pays connaît un taux de chômage élevé, ces métiers sont non pourvus. Une enquête interne au groupe Système U montre que nous avons besoin aujourd'hui de 1 000 collaborateurs dans ces métiers. Par extension, puisque nous représentons 10 % de parts de marché en France, on peut dire qu'il faut 10 000 personnes, chiffre auquel il faut ajouter les métiers de l'artisanat et tous ceux qui se trouvent en aval du secteur agroalimentaire. Mais les jeunes ne sont pas attirés par ces filières, synonymes d'échec scolaire.

Si nous voulons conserver nos savoir-faire, nous devons donc parvenir à redonner envie aux jeunes de faire ces métiers. Nous aurons beau mettre en avant le made in France, si nous n'avons plus de bouchers pour vendre de la viande, nous ne trouverons plus que des produits industriels. C'est quasiment un enjeu de société. Nous devons tous – pouvoirs publics, éducation nationale, entreprises – revisiter le processus d'autant que ces métiers sont mieux rémunérés que nombre d'emplois dans la fonction publique ou dans telle ou telle entreprise.

Le plus difficile demain sera, non pas de nous adapter aux nouvelles technologies – numérique, Internet, courses en drive –, mais de trouver un bon boucher qui dira d'où vient la viande et combien de temps il faut pour la faire cuire. Ce sera le vrai signe de la modernité.

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