Intervention de Jean Glavany

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany :

Deux morts jalonnent le processus révolutionnaire en Tunisie, d'abord celle du marchand ambulant Mohamed Bouazizi en décembre 2010 à Sidi Bouzid, dont l'immolation a provoqué les émeutes à l'origine du processus révolutionnaire, puis celle de Choukri Belaïd il y a quelques jours, devant son domicile à Tunis. Beaucoup de Tunisiens considèrent cet assassinat comme un événement totalement atypique depuis 1952, malgré des assassinats à l'étranger, notamment en Allemagne, et des morts nombreux en prison. Il en a résulté une émotion et une déflagration qu'il ne faut pas sous-estimer.

Mais c'est surtout l'extrême confusion de la situation qui m'a frappé en Tunisie, comme en Egypte d'ailleurs, en dépit de deux acquis sur lesquels il sera vraisemblablement très difficile de revenir. Le premier est la libéralisation de la parole. Tout le monde s'exprime avec une grande liberté, y compris dans les médias, avec des mots parfois très violents à l'égard du chef de l'Etat. Le second acquis est un pluralisme politique qui s'affiche d'une manière presque insolente. On a l'impression que de nouveaux partis naissent presque tous les deux jours.

Ces acquis s'accompagnent d'une instabilité politique majeure qui s'est traduite par une controverse autour du remaniement ministériel, par l'émiettement incroyable des forces démocratiques et enfin par les débats au sein d'Ennhada. Derrière l'idée de constituer un gouvernement de technocrates, M. Jebali, qui représente sans doute l'aile la plus modérée, était en réalité désireux de retirer trois des principaux ministères à son propre parti, dont il reste le numéro 2. M. Ghannouchi, pour sa part, nous a clairement dit qu'il s'agissait d'une initiative personnelle du Premier ministre et que tout rentrerait dans l'ordre en quelques jours.

La question centrale, au Caire comme à Tunis, concerne la nature des partis islamistes. Est-ce la tête des partis qui fait attention à ce qu'elle dit, tandis que la base se montre plus virulente ? S'agit-il d'une dissimulation cynique des intentions véritables ? Ces acteurs changent-ils plutôt d'avis au gré de leur confrontation avec la réalité politique et démocratique ? Ou bien ce langage est-il la conséquence de la grande diversité du conglomérat que forment les partis islamistes ? Je crois assez à la théorie des axes, en Tunisie comme en France : les différentes tendances doivent se positionner autour des grands partis à vocation majoritaire qui laissent assez de peu place aux autres. On peut ainsi considérer que M. Jebali et M. Ghannouchi représentent deux tendances islamistes différentes.

Quand on rappelle aux Tunisiens qu'il s'est écoulé près d'un siècle entre la révolution française et la stabilisation de la République, ils nous répondent immédiatement qu'il n'a fallu que dix ans au Portugal et qu'il faudra encore moins de temps en Tunisie parce que la population est impatiente et que les réseaux sociaux sont devenus très puissants.

J'en termine par la question préoccupante des ligues de protection de la révolution qui s'installent dans le paysage, un peu à l'image des pasdarans en Iran il y a des années, en commettant des actes d'intimidation voire de violence physique.

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