Intervention de Jacques Myard

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Myard :

Une différence entre l'Egypte et la Tunisie est sans doute la faiblesse relative d'Ennhada par rapport aux Frères musulmans. Il y a dans la société tunisienne des anticorps très forts, qui résultent notamment des relations très intenses entre la France et la Tunisie. Nous avons ainsi rencontré à Tunis un ancien assistant parlementaire français, Selim Ben Abdesselem, aujourd'hui député du parti Ettakatol.

Quant au double langage, il me semble que les islamistes nous disent seulement ce que nous voulons entendre. C'est la vieille tactique de la taqîya, adoptée par les chiites mais aussi par les sunnites, qui consiste à avancer masqué. Comme les islamistes ne peuvent pas aller trop loin en Tunisie, ils ont lâché du lest sur la place de la charia dans la Constitution, à la différence de ce qu'ils ont fait en Egypte.

Ces « anticorps » peuvent l'emporter, mais la situation est si instable que personne ne peut faire de pronostics sur son évolution.

Avant de vous présenter les différents interlocuteurs que nous avons rencontrés en Egypte, je tiens à appeler l'attention sur les conditions très difficiles que connaissent nos diplomates dans ce pays. La consule générale de France à Alexandrie n'a aucune protection, alors que le consulat américain dispose d'une quarantaine d'agents de sécurité. Le ministre des affaires étrangères porterait la responsabilité d'un incident qui peut avoir lieu à tout moment.

L'état d'esprit des entrepreneurs français que nous avons longuement rencontrés est assez révélateur. Ils ont le sentiment que quelque chose va se passer et ils estiment, à la limite, que le plus tôt serait le mieux.

Nous nous sommes également entretenus avec l'ancien ambassadeur d'Egypte à Paris, M. Kamel Nasser, qui a effectué une reconversion saisissante, et avec M. Omar Youssef, qui est chargé des relations avec l'Union européenne et qui souhaite ardemment voir l'Egypte bénéficier de prêts du FMI et de l'Europe sans lesquels elle va s'écrouler.

Nous avons aussi rencontré un ancien général, issu des services de renseignement et désormais reconverti dans les affaires, M. Sameh Seif Al Yazal, ainsi que le général Al Assar, adjoint du ministre de la défense, pour qui la classe politique égyptienne à encore beaucoup à apprendre. Pour lui aussi, l'Union européenne doit apporter son soutien à l'Egypte. Il nous a également confirmé que l'armée craignait un effondrement de l'Etat.

Nous avons vu, par ailleurs, le ministre chargé des relations avec le Parlement, universitaire parlant couramment le Français et d'une grande liberté de parole à l'égard du Gouvernement auquel il appartient.

Nous avons pu constater que les partis du Front national du salut, conglomérat regroupant notamment le Wafd, le Front démocratique et le Parti de la constitution, avaient pour seule caractéristique d'être contre les islamistes. Dépourvus de véritable programme, ils donnent l'impression d'être totalement désorganisés, même s'ils ambitionnent de présenter des listes communes aux prochaines élections.

J'ai aussi été frappé par notre rencontre avec le bibliothécaire d'Alexandrie – c'est ainsi qu'il s'appelle lui-même –, M. Ismail Seragueldin, personnalité étonnante qui symbolise une Egypte ultramoderne à la pointe du combat intellectuel. Je retiens également l'appel à la stabilité des hommes d'affaires que nous avons rencontrés à Alexandrie.

J'en viens aux partis religieux que nous avons vus au Caire et à Alexandrie. Derrière le parti Liberté et Justice (PLJ), dont nous avons notamment rencontré le chargé des relations internationales, se trouve une confrérie dirigée par un guide suprême, Mohamed Badie, qui tire dans l'ombre les ficelles de l'internationale des Frères musulmans. Le Tunisien Rached Ghannouchi en est le numéro 2. Il ne faut pas oublier cette structure cachée, qui est très influente et présente dans des dizaines de pays. Quant au responsable du PLJ que nous avons rencontré à Alexandrie, M. Mohamed Soudan, il est engagé dans la vie politique et économique, puisqu'il est entrepreneur de travaux publics.

Nous nous sommes aussi entretenus avec des salafistes, lesquels poussent à la division par définition. M. Emad Abdel Ghaffour, que nous avons rencontré au Caire, a ainsi créé le parti Al-Watan, né d'une scission avec Al-Nour. Il est aujourd'hui conseiller du président Morsi. Les membres d'Al-Nour que nous avons vus ont commencé par faire leurs prières à notre arrivée, afin de bien marquer leur différence.

L'évêque auxiliaire du patriarcat copte que nous avons rencontré à Alexandrie nous a rappelé l'existence d'un dialogue interreligieux qui s'est développé dans le cadre d'une « Maison égyptienne de la famille » à laquelle participe Al-Azhar. Cela donne une autre image des relations entre les musulmans et les coptes, malgré les difficultés qu'éprouvent ces derniers.

La consule générale des Etats-Unis à Alexandrie, qui connaît très bien le monde arabe et qui a une longue expérience des difficultés – elle passe pour avoir été envoyée en Egypte pour la seule raison que le pays va mal –, nous a dit pour sa part qu'elle n'était pas très optimiste, mais qu'elle espérait une stabilisation dans trois ou quatre ans.

Pour conclure, je crois utile d'insister sur le fait que les acteurs prennent désormais la parole et s'expriment avec une liberté étonnante en Egypte et en Tunisie. Il reste que des éléments incontrôlés – comme les fameux Black Blocks – rendent la situation difficile au plan sécuritaire. Mais Jean Glavany va sans doute vous en dire plus sur ce sujet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion