Intervention de Jean Glavany

Réunion du 20 février 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany :

Il y a des points communs évidents entre l'Egypte et la Tunisie. Dans ces deux pays, tout d'abord, un processus révolutionnaire est en cours, avec deux grands acquis en partage : la liberté de parole et le pluralisme démocratique. On retrouve aussi dans les deux cas des islamistes occupant une position centrale. En Egypte, il s'agit du parti Liberté et Justice, émanation directe des Frères musulmans. A cela s'ajoutent une grande confusion politique et des présidents potiches, tant Moncef Marzouki que Mohamed Morsi.

Quelles sont maintenant les différences ? L'Egypte est en avance sur la Tunisie en ce qu'elle a adopté une nouvelle Constitution. On y trouve aussi des facteurs de stabilité plus forts, notamment l'armée dont le pouvoir n'est pas seulement militaire. Elle reçoit chaque année 1,3 milliard de dollars des Etats-Unis dans le cadre d'un pacte diplomatique et politique lié aux accords de paix avec Israël et non remis en cause par le président Morsi. L'armée est aussi une force économique, dont les experts estiment qu'elle représente entre 15 et 25 % du PIB. L'autre force de stabilisation est Al-Azhar, dont nous avons rencontré le grand imam et qui représente un islam des Lumières, modéré et moderne. Son rôle est reconnu par la Constitution, qui lui confère le pouvoir de donner un avis sur la conformité des lois à la religion. Le fait que cette institution soit modérée n'est donc pas sans importance, et l'on assiste déjà à des batailles politiques pour son contrôle. Comme l'a rappelé Jacques Myard, elle organise un dialogue interreligieux dans le cadre de la « Maison de la famille égyptienne ».

En Egypte, on observe aussi l'ébauche d'un dialogue entre les forces démocratiques au sein du Front national du Salut (FNS), sans équivalent en Tunisie, où les forces sont très émiettées et se parlent à peine. Ce regroupement n'a pas de programme, mais ses partis constitutifs ont la volonté de présenter des listes communes aux prochaines élections. On pourrait également considérer la meilleure intégration des salafistes dans le jeu politique comme un facteur positif. Nous avons rencontré des dirigeants de leurs deux principaux partis, Al-Nour et Al-Watan. Le premier dispose d'un conseiller placé aux côtés du Président de la République. Quant au second, ses représentants nous ont expliqué qu'il ne fallait pas voir l'islam comme un bloc unitaire et que les salafistes eux-mêmes se répartissaient en cinq écoles, notamment le salafisme scientifique dont se réclamaient nos interlocuteurs.

Autre différence, cette fois en la défaveur de l'Egypte, la situation est beaucoup plus dégradée dans ce pays qu'en Tunisie. L'Egypte, avec ses 80 millions d'habitants, est beaucoup plus difficile à nourrir que la Tunisie et elle se trouve au bord de la faillite financière. Les rapports avec le FMI restent en effet difficiles. Des réformes ont été demandées, comme toujours, car la communauté internationale ne peut pas accorder d'aides sans conditions. C'est ce que nous avons rappelé à des représentants du parti majoritaire, qui estiment l'Egypte beaucoup trop importante pour que le FMI la laisse tomber. Nous leur avons aussi rappelé les conditions draconiennes imposées à la Grèce, à l'Espagne et à l'Italie. En Egypte, un plan de réforme avait été adopté avant d'être retiré par le président Morsi, et l'on ne sait pas très bien comment les relations pourront être renouées avec le FMI, dont l'aide est d'autant plus importante qu'elle débloquerait celle de l'Union européenne, de la Banque mondiale et de la Banque africaine du développement.

L'extraordinaire progression de la délinquance est un autre point noir en Egypte. Elle prend diverses formes, en particulier l'action menée par les Ultras des clubs de football. Parmi les raisons poussant à l'optimisme que citait le directeur de la bibliothèque alexandrine, figurait notamment le faible nombre de morts au cours de la révolution. Il s'agissait cependant, en l'espèce, d'un inquiétant règlement de comptes à l'issue d'un match de football entre la police et les Ultras, que l'on retrouve chez les Black Blocks, eux-mêmes à l'origine de blocages de rues, de manifestations spontanées et de différents saccages. La progression de la violence se manifeste aussi par la destruction de bâtiments publics et par les violences faites aux femmes qui s'approcheraient trop de la place Tahrir. A cela s'ajoute l'effondrement de l'Etat, concomitant de la montée de la délinquance. La police égyptienne est aux abonnés absents et plus personne ne respecte les règles. Le chef d'état-major a prévenu que l'armée ne pourrait pas rester longtemps passive si l'Etat s'effondrait complètement.

Le sentiment que quelque chose va se passer en Egypte est largement partagé, sans que l'on sache à quoi s'attendre au juste. Beaucoup font allusion à des émeutes de la faim que le pays a déjà connues dans les années 1970. On peut également envisager une reprise en main par l'armée. Parmi les autres hypothèses, on pourrait assister à une évolution radicale des islamistes ou au contraire à une normalisation démocratique du pays, plus improbable. Tout le monde vit dans l'attente pour le moment.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion