Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 26 février 2013 à 15h00
Débat sur la sécurité sanitaire du médicament

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

La sécurité du médicament est un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens. Grands consommateurs de produits de santé, ils s'interrogent aujourd'hui à leur égard. Leurs exigences quant à la transparence, l'information et la sécurité des médicaments sont parfaitement légitimes. Et les responsables politiques, comme les pouvoirs publics, doivent être en mesure d'y répondre.

La pharmacovigilance, instrument nécessaire pour repérer et analyser les effets indésirables des médicaments, est née dans les années soixante, à la suite d'un drame terrible : plus de dix mille enfants, dont les mères avaient été traitées à la thalidomide pour des nausées pendant leur grossesse, ont subi de graves malformations.

Depuis, la pharmacovigilance et la sécurité sanitaire de manière plus générale, se sont étoffées, bien souvent au fil des crises que nous avons affrontées. Le sang contaminé, puis la crise de l'hormone de croissance et enfin celle, européenne, de la vache folle ont ainsi conduit à la création des agences sanitaires. Celles-ci ont vu leurs compétences s'accroître au fil du temps, sans véritable plan d'ensemble.

Plus récemment, l'affaire du Mediator, en 2011, a conduit à mettre en oeuvre dans l'urgence un ensemble de mesures, sans que soit pris le recul suffisant pour faire évoluer en profondeur notre système de surveillance des produits de santé.

C'est ainsi, au gré des crises et essentiellement en réaction à celles-ci, que s'est forgée notre doctrine sur la sécurité du médicament Ce n'est évidemment pas satisfaisant. Nous devons désormais aller plus loin. C'est pourquoi je souhaite que, dans le cadre de la stratégie nationale de santé, puisse être construite avec l'ensemble des acteurs une politique efficace du médicament. Cette politique doit reposer sur un triptyque : la vigilance, la transparence et la confiance. C'est ce qu'attendent de nous les Français. C'est le sens des actions que j'ai d'ores et déjà engagées.

Commençons par quelques constats utiles à notre réflexion commune.

Premier constat : notre système de pharmacovigilance est compliqué, peu lisible – ce qui est logique puisque nous avons dit qu'il s'était construit au fil des crises successives –, et son organisation morcelée, aux règles mal connues des professionnels de santé, a pour conséquence des alertes qui remontent insuffisamment.

Deuxième constat : les prescripteurs sont peu impliqués dans leur rôle de vigie, de sentinelle en sécurité sanitaire et, à l'inverse, nous souffrons d'un manque certain de visibilité sur les prescriptions collectives.

Troisième constat : le dispositif d'information médicale sur le médicament repose pour l'essentiel sur le secteur privé.

Quatrième constat : certains médicaments ne sont plus disponibles pour nos patients, du fait de stratégies industrielles ou de délocalisation de leur fabrication.

Cinquième et dernier constat : les patients sont insuffisamment associés à l'organisation de notre pharmacovigilance.

Dans ce contexte nouveau, notre responsabilité est grande. Il nous revient de garantir la qualité, la sécurité, le bon approvisionnement et la juste utilisation des médicaments. Avant de préciser les axes de travail que j'ai retenus dans ce domaine, je souhaiterais insister sur quelques grands principes qu'il me paraît important de souligner.

Les médicaments ne sont pas des produits comme les autres. J'ai eu l'occasion de le rappeler à maintes reprises depuis quelques mois : le risque zéro n'existe pas. Les produits de santé sont faits pour nous soigner, mais ils peuvent aussi nous exposer, dans le même temps, à certains risques. Chacun doit en être pleinement conscient et averti lorsqu'il débute un traitement, ce qui n'est pas suffisamment le cas aujourd'hui.

La confiance est la pierre angulaire d'une politique performante du médicament. C'est avec cette confiance que nos concitoyens doivent renouer. Elle repose sur le travail des autorités sanitaires dont le rôle est de mesurer le bénéfice d'un médicament par rapport aux risques qu'il présente. Elle repose aussi sur le rôle du prescripteur qui permet au patient une utilisation éclairée de chaque produit. Elle suppose enfin un engagement fort des entreprises pharmaceutiques qui sont l'un des piliers de notre secteur économique et le fleuron de nos industries de santé. Leur rôle et leur responsabilité dans la pharmacovigilance et dans le bon usage doivent être renforcés.

C'est par un dialogue dont nous pourrons maîtriser les termes que nous recréerons la confiance. Dialogue avec la communauté scientifique, bien sûr, mais aussi avec la presse spécialisée. Dialogue, surtout, entre la société civile, les associations de patients et les autorités sanitaires. Je veux rappeler ici que les décisions des pouvoirs publics doivent se fonder sur une expertise scientifique, indépendante, plurielle – donc contradictoire – et transparente.

Venons-en aux axes de la politique que je souhaite pouvoir développer dans les prochains mois et qui a commencé à s'installer depuis quelques semaines.

Pour garantir la meilleure sécurité possible du médicament, je veux d'abord renforcer les mécanismes de vigilance.

La vigilance, c'est vérifier que les médicaments consommés par nos concitoyens présentent toutes les conditions de sécurité et qu'ils sont utilisés à bon escient C'est aussi détecter la survenue de nouveaux événements indésirables ou s'assurer que leur survenue n'augmente pas. C'est le rôle rempli par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Chaque fois qu'un médicament est commercialisé, celle-ci mesure les bénéfices et les risques qui lui sont associés. Cette analyse du rapport entre les bénéfices et les risques n'est plus seulement conduite au moment de la mise sur le marché puisqu'elle est désormais réalisée tout au long de la vie du médicament.

L'ANSM procède aussi à ce qu'on appelle des réévaluations périodiques, notamment pour les produits antérieurs à 2005.

Prenons un exemple concret très récent, qui a fait couler beaucoup d'encre : c'est ce qui a été réalisé pour l'anti-acnéique Diane 35. Le débat qui est né il y a quelques semaines autour de la prescription du médicament appelé Diane 35 n'a pas résulté d'enquêtes indépendantes et autonomes, mais du fait que l'Agence nationale de sécurité du médicament avait engagé la réévaluation de ce produit et que s'est retrouvé dans la presse, par des voies dont on ignore tout, le résultat de cette réévaluation avant que l'Agence n'ait fait le choix de communiquer sur elle. On voit donc bien le résultat concret, l'efficacité et éventuellement le succès – pour autant que l'on puisse parler de succès – de la démarche engagée.

C'est un travail considérable, car je rappelle que plus de 10 000 médicaments ont à ce jour une autorisation de mise sur le marché – il n'est pas interdit de penser que c'est trop –, dont 6 000 environ ont une AMM antérieure à 2005. Ce travail de réévaluation périodique peut conduire à des suspensions d'AMM, même si nous sommes soumis dans ce domaine à des procédures européennes très contraignantes. En deux ans, 244 autorisations de mise sur le marché ont été réévaluées concernant cinquante-neuf médicaments, dont les pilules de troisième et quatrième générations, ainsi que Diane 35 ; onze suspensions d'AMM ont été prononcées – comme celle de l'Equanil, par exemple, avant Diane 35, ainsi que d'autres produits – et treize restrictions majeures de leur indication.

Toutefois, à l'évidence, notre dispositif de pharmacovigilance n'est pas adéquat, car il ne nous permet pas d'anticiper les situations à risque. Il faut progresser depuis le signalement des incidents, dont chacun souligne la sous-déclaration, jusqu'à leur gestion opérationnelle.

C'est pourquoi j'ai la conviction que les professionnels de santé et les patients doivent devenir les premiers acteurs de notre système de pharmacovigilance. Nous devons nous assurer, non seulement que les effets indésirables remontent bien à l'autorité sanitaire, mais aussi que celle-ci peut ou a les moyens d'identifier les alertes et de les traiter avec des outils appropriés.

Voilà pourquoi j'ai demandé au directeur général de la santé de me proposer avant cet été un plan de réorganisation des vigilances dans notre pays, qui ne se limitera pas, d'ailleurs, à la pharmacovigilance, mais englobera toutes les vigilances, tant il est important que notre système soit plus simple et plus réactif.

Parallèlement à ce nouveau dispositif – que nous mettrons en place dans le prolongement des propositions qui seront faites – je souhaite que nous disposions d'un système que nous pourrions nommer pharmacosurveillance plutôt que pharmacovigilance, et qui fait cruellement défaut à ce jour. Il permettra aux pouvoirs publics d'avoir un suivi le plus juste possible des pratiques collectives de prescription. Par pharmacosurveillance, j'entends le mécanisme et les procédures qui nous permettront d'analyser les prescriptions collectives et de réagir face aux informations que nous donnent ces prescriptions collectives. J'insiste sur ce point. Il s'agit d'identifier les mésusages potentiels ou les dérives comme, par exemple, les surprescriptions ou les prescriptions hors AMM. Il ne s'agit pas de contrôler les prescriptions individuelles. L'assurance maladie peut le faire. Il s'agit en l'occurrence de s'assurer que les médicaments sont prescrits conformément aux recommandations de bonne pratique ou de détecter des prescriptions collectives qui s'imposeraient au fil du temps et qui pourraient poser des difficultés qu'il appartiendrait de résoudre.

Ces informations sont évidemment déterminantes pour nous permettre d'anticiper efficacement de futures crises. Un tel système n'existe pas aujourd'hui, mais j'ai demandé à Mme le professeur Costagliola et à M. le professeur Bégaud d'examiner les moyens à mettre en oeuvre pour qu'il voie le jour dans les meilleurs délais.

Le second levier que je souhaite actionner, c'est celui de la juste prescription et du bon usage des médicaments.

Le mot d'ordre est assez simple : la bonne prescription, au bon moment, à la bonne personne, dans les meilleures conditions de sécurité et, si possible, au meilleur coût.

La règle est simple : les médicaments doivent être prescrits selon les indications des autorités sanitaires. Si cette règle connaît des exceptions, elles sont strictement encadrées par la loi, dans le cadre des recommandations temporaires d'utilisation – les RTU.

Les prescripteurs et les patients doivent prendre conscience que la liberté de prescrire a pour corollaires la liberté de ne pas prescrire et le devoir de bien prescrire. Bien que la France ait fait des progrès dans ce domaine durant ces dernières années, nous restons parmi les principaux pays européens consommateurs de médicaments. Nous sommes même en tête des dépenses par habitant pour les classes thérapeutiques majeures, et à la deuxième place, derrière le Royaume-Uni, pour les volumes consommés.

Comment faire pour parvenir à une utilisation plus appropriée des médicaments ?

D'abord en nous adressant aux prescripteurs. Nous devons améliorer la formation initiale et continue des médecins : les études de médecine donneront plus de place à la question de la pharmacologie, de la prescription et de la pharmacovigilance. Ces éléments doivent être pleinement intégrés dans le DPC – le développement professionnel continu – pour ce qui est de la formation continue.

Ensuite, en améliorant l'information destinée aux médecins.

Elle doit être faite par les professionnels, pour les professionnels, et mobiliser les sociétés savantes. Les pratiques peuvent être améliorées par une meilleure diffusion des référentiels ou grâce à la diffusion de logiciels d'aide à la prescription pour les médecins.

Enfin, en développant une véritable politique de sensibilisation et d'éducation de nos concitoyens à l'utilisation des médicaments, y compris ceux vendus hors prescription. Je pense en particulier à un phénomène nouveau, celui de la vente de médicaments sur internet. Il nous revient de protéger nos concitoyens en encadrant cette pratique. C'est d'ailleurs ce que j'ai engagé.

Promouvoir une nouvelle politique de sécurité du médicament, c'est aussi garantir l'accès à une information indépendante et assurer la transparence la plus complète.

Il existe une demande croissante et légitime de disposer d'une meilleure information sur les médicaments. Le succès de certaines publications s'explique de cette façon.

Je souhaite pour ma part que ces informations soient publiques et accessibles à tous. Ce travail a été engagé à ma demande par l'Agence nationale de sécurité du médicament, s'agissant des pilules. L'Agence publie ainsi – elle l'a fait hier – les données de pharmacovigilance et les données de suivi d'impact des mesures prises. Elle publiera aussi toutes les réévaluations des AMM qu'elle est en train de mener. Les nouveaux médicaments n'échapperont pas à cette logique. Nous n'avons rien à craindre d'une plus grande transparence de l'information sur les produits de santé.

C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que soit développé un service public d'information en santé. Cette base de données, mise à la disposition de tous les professionnels de santé et du grand public, accessible sur un site unique, permettra d'accéder à une information fiable, actualisée, gratuite et indépendante sur les médicaments.

Enfin, pour répondre à l'exigence de transparence, il est temps de mettre un terme aux soupçons permanents de conflits d'intérêt dans le domaine de la sécurité du médicament. Une décision est crédible uniquement si elle est prise sur la base d'une expertise parfaitement indépendante. Nous ne devons pas transiger sur ce point, sans toutefois interdire toute relation entre le monde des professionnels de santé et celui de l'industrie. Cela n'aurait aucun sens. Se parler, échanger, opposer des points de vue n'a jamais constitué un conflit d'intérêts. Mais cela doit désormais se faire dans la transparence la plus totale. Je considère ainsi que les liens qui unissent les professionnels de santé et les industries du médicament devraient, à terme, être rendus publics sur le site du service public d'information en santé.

Pour garantir la sécurité des médicaments et des patients, il faut enfin s'assurer de la disponibilité des produits sur notre territoire. Les ruptures d'approvisionnement constituent un enjeu majeur, en particulier lorsque les traitements concernés n'ont pas d'alternative et traitent des maladies graves, comme les trithérapies pour les malades du sida ou les traitements contre le cancer. L'ANSM a recensé en 2011 plus d'une cinquantaine de situations à risque. Cette situation évidemment inacceptable a justifié la mise en place d'un dispositif renforcé de surveillance des stocks de médicaments.

Notre politique doit plus largement s'inscrire dans le contexte européen voire mondial de la sécurité du médicament. La France doit retrouver et consolider sa position naturelle dans les instances européennes en charge du médicament. C'est en effet à cet échelon que sont arbitrées les grandes décisions en matière de pharmacovigilance et de nouveaux médicaments. C'est en amont de celles-ci que nous devons peser si nous voulons être en mesure d'anticiper l'arrivée sur le marché français de nouveaux produits de santé. Très concrètement, cela signifie qu'il nous faut participer activement aux évaluations européennes de pharmacovigilance, notamment par une présence accrue dans les comités ad hoc qui sont mis en place. J'ai formulé au directeur de l'Agence nationale de la sécurité du médicament une demande en ce sens.

J'ai déjà informé l'ensemble de mes homologues européens de l'engagement de la France et du mien propre sur tous ces sujets afin que nous puissions traiter en amont les mises sur le marché compliquées de certains médicaments. Je me suis notamment engagée pour une garantie de la sécurité des produits avant commercialisation encore plus forte que prévu.

Des mécanismes de vigilance renforcés, une prescription juste et adaptée, une information indépendante, transparente et publique, un approvisionnement garanti : telles sont les conditions qui doivent être remplies pour que les Français et les professionnels de santé fassent à nouveau confiance aux médicaments. Tel est aussi le sens de mon action depuis mon arrivée au ministère. C'est là, mesdames et messieurs les députés, un enjeu majeur pour la santé des Français. Nos concitoyens sont très attentifs aux garanties supplémentaires que nous leur offrons. Je suis donc heureuse que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre afin de faire progresser collectivement la sécurité sanitaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, RRDP et écologiste.)

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