Intervention de Gaby Charroux

Séance en hémicycle du 26 février 2013 à 15h00
Débat sur la sécurité sanitaire du médicament

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je me réjouis, à mon tour, de pouvoir m'exprimer, au nom du groupe GDR, sur la question de la sécurité sanitaire du médicament.

Les drames sanitaires provoqués par les prothèses PIP et le Mediator ont conduit les pouvoirs publics à adopter dans la précipitation, fin 2011, de nouvelles dispositions législatives en matière de santé publique. La loi Bertrand relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé avait essentiellement vocation à édicter des règles de transparence dans ce secteur et à mettre en oeuvre des règles plus strictes et plus contraignantes. Cela a été fait, par exemple, en matière de publicité ou de surveillance des produits après leur mise sur le marché, afin d'éviter que ne se produisent de nouveaux drames.

La loi renvoyait au décret sur de nombreux sujets. L'année 2012 a ainsi été marquée par l'adoption de plus de vingt textes réglementaires. Plusieurs décrets ont été publiés visant à renforcer l'encadrement de la publicité des médicaments et des dispositifs médicaux en rendant obligatoire l'obtention d'un visa a priori et non plus a posteriori.

Le Parlement s'est également saisi de ces questions. Le Sénat a ainsi rendu public, en juillet dernier, un rapport d'information rédigé par la mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Enfin, la Commission européenne a publié, en septembre 2012, deux propositions de règlement.

L'ensemble de ces travaux et projets laisse présager un encadrement plus strict des dispositifs médicaux en France et, plus généralement, dans l'Union européenne, en prévoyant une surveillance plus étroite des organismes notifiés qui délivrent le marquage « CE » aux dispositifs médicaux, des règles de traçabilité renforcées, un système d'identification unique des dispositifs médicaux et, enfin, une vigilance et une surveillance accrues du marché.

Malgré ces avancées, d'importantes lacunes demeurent.

Si plusieurs textes d'application ont été pris concernant les déclarations publiques d'intérêts de tout intervenant siégeant dans les commissions et conseils tenus par des organismes publics ayant un rapport avec le domaine de la santé, Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire, faisait justement remarquer, dans un récent entretien, qu'il manque encore à notre pays l'équivalent du Sunshine Act, ce décret qui, aux États-Unis, oblige les firmes pharmaceutiques à dévoiler au public l'argent qu'elles versent aux médecins ou aux centres hospitaliers.

Par ailleurs, on s'aperçoit que l'Agence nationale de sécurité du médicament n'est pas assez armée pour combattre les laboratoires pharmaceutiques. Il lui faut davantage de moyens financiers et juridiques.

Au lendemain de la suspension de la pilule Diane 35, vous avez annoncé, madame la ministre, vouloir la mise en place d'un dispositif de surveillance des médicaments « plus efficace ». Estimant que « la situation actuelle n'est pas satisfaisante », vous avez indiqué vouloir « réfléchir à la manière dont on peut mettre en place un dispositif de vigilance qui soit plus efficace ».

Dans le même temps, l'Agence européenne du médicament a fait savoir qu'elle allait procéder à un réexamen du dossier Diane 35 et de ses génériques, passage obligatoire après la décision française de suspendre les ventes de ce médicament commercialisé par les laboratoires Bayer. Quelle que soit l'issue de ce réexamen, les décès imputables à la pilule Diane 35 nous confirment malheureusement l'incapacité de notre système de pharmacovigilance à assurer une visibilité précise du risque médicamenteux.

Si la situation n'est pas forcément plus reluisante chez nos voisins, il reste que les insuffisances de la politique du médicament en France et en Europe sont à l'origine non seulement de drames, mais également d'un regain de défiance de nos concitoyens à l'égard des produits de santé et, plus grave encore, de notre système de santé.

Selon nous, il importe en priorité de réformer en profondeur notre système de pharmacovigilance et de tendre, par exemple, à la réalisation de l'objectif de notification de tous les effets indésirables graves qui peuvent être diagnostiqués, en facilitant la remontée d'informations ou en allégeant les procédures administratives qui sont un frein à l'implication des professionnels de santé.

Il nous semble non moins nécessaire de s'assurer d'une meilleure indemnisation des victimes. Nous ne pouvons demeurer dans un système de responsabilité sans faute qui permet aux entreprises pharmaceutiques d'externaliser le risque auprès de la sécurité sociale. Nous trouverions plus juste, juridiquement et moralement, que les laboratoires contribuent au financement d'un fonds de gestion mutualisé du risque médicamenteux.

En amont, il convient bien évidemment de mieux prévenir ce risque, de mieux protéger les patients. Cela suppose, comme nous l'avons dit, de doter l'agence française des moyens matériels et financiers nécessaires à une expertise réellement indépendante. Ainsi que le dénonçait la Cour des comptes en 2011, il n'est pas acceptable que les évaluations préalables à la commercialisation d'un médicament s'appuient sur des études laissées à l'initiative du fabricant et dont le cadre n'est pas défini de manière rigoureuse et homogène.

Il nous semble non moins indispensable de prendre un arsenal de mesures de nature à permettre de lutter efficacement contre les conflits d'intérêts et contre certaines pratiques commerciales des laboratoires ; je pense aux visiteurs médicaux ou à la pratique des petits cadeaux, en apparence inoffensifs, mais en réalité très efficaces en termes de persuasion.

L'intérêt commercial passe encore trop souvent dans notre pays devant la santé publique. Les médicaments sont aujourd'hui « encapsulés », si je puis dire, dans une logique financière dangereuse, redoutable même, tant pour les patients que pour les comptes de la sécurité sociale. L'affaire du Mediator a mis en évidence les conflits d'intérêts entre des acteurs de la prévention et des industriels. Nous croyons donc nécessaire la création d'un corps d'experts indépendants formés à l'École des hautes études en santé publique, qui serait chargé de toutes les expertises réalisées dans le domaine de la santé et de la sécurité sanitaire. La création de ce corps était une des mesures de bon sens préconisées par un rapport d'information sénatorial.

Enfin, nous défendons la création d'un pôle public du médicament qui interviendrait sur la recherche, la production et la distribution des médicaments. La création d'un tel pôle pourrait constituer une base saine et solide pour la conduite future des politiques de santé publique. En effet, les médicaments ne sont pas des marchandises comme les autres. Le pilotage de la politique ne peut être seulement dicté par ou dans l'intérêt des grands groupes industriels du secteur, car on risque d'abandonner des produits efficaces, au motif qu'ils sont jugés peu rentables, ou, inversement, de mettre sur le marché des molécules nouvelles dont le principal objectif n'est pas toujours de guérir le patient, mais de soigner le taux de profit de ceux qui le produisent.

Madame la ministre, vous pouvez compter sur notre détermination à oeuvrer avec vous à l'élaboration, que nous espérons prochaine, d'une réforme d'ampleur. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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