Intervention de Jean-Louis Roumegas

Séance en hémicycle du 26 février 2013 à 15h00
Débat sur la sécurité sanitaire du médicament

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas :

Madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chers collègues, l'exercice auquel nous sommes invités fait pleinement partie de la mission du législateur. Il s'agit en effet de s'assurer, d'une part, que les dispositions votées ont bien été mises en application, et d'autre part que les objectifs fixés ont été remplis. Dans ce domaine sensible, il s'agit également de s'assurer que l'évaluation – sous votre responsabilité, madame la ministre – marque une étape fondatrice vers la réconciliation entre les citoyens, les patients et les prescripteurs de médicaments.

Ainsi, c'est toute la chaîne de décision et d'expertise pour la mise sur le marché d'un médicament nouveau qui est concernée, et a fortiori l'examen des procédures de décision ayant conduit à l'autorisation de médicaments qui se révèlent inutiles, voire nocifs et dangereux. Ma collègue Véronique Massonneau s'est appliquée dans son intervention à souligner, au moyen d'exemples tirés de l'actualité récente, les suspicions persistantes qui pèsent sur l'indépendance de l'expertise et les conflits d'intérêts. Donnons-nous les moyens de tirer les leçons de ces scandales et évitons les erreurs. Nous devons à présent tourner clairement la page.

Madame la ministre, vous nous avez largement sensibilisés, à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, à la recherche de comptes à la fois équilibrés, justes et ne dénaturant pas l'esprit protecteur des fondateurs de la Sécurité sociale d'après-guerre. Nous y avons souscrit, tout en rappelant que les bons choix d'aujourd'hui feront les économies de demain. L'explosion des dépenses liée à la démarche du tout médicament ne vous a pas échappé.

La Haute autorité de santé a identifié en 2011 136 médicaments dont le service médical rendu – le SMR – est insuffisant. Les dépenses correspondantes explosent : en effet le coût estimé pour la collectivité est de 46,7 milliards d'euros.

Pour un médicament tel que le Mediator, la Sécurité Sociale a versé 800 millions d'euros au titre du remboursement des prescriptions, et déjà plus d'un milliard d'euros au titre de l'indemnisation des victimes. Tout cela sans garantie que les laboratoires Servier, responsables de cette grave indélicatesse, payent les réparations nécessaires !

Le 31 janvier dernier, une proposition de loi d'initiative écologiste pour l'indépendance de l'expertise et la protection des lanceurs d'alerte a été débattue ici même, et adoptée à une large majorité. Elle pourrait également jouer un rôle en la matière. Nous souhaitons qu'elle soit examinée au Sénat dans les meilleurs délais et avec votre soutien, madame la ministre, car elle permettra de réhabiliter réellement l'expertise indépendante sur notre territoire. Elle protégera également les lanceurs d'alerte qui sont trop souvent ostracisés, qu'ils soient usagers ou experts. Elle nous mettra enfin au diapason des recommandations internationales en matière de transparence, ce qui n'a que trop tardé !

De son côté, notre industrie pharmaceutique a largement bénéficié de l'aide publique, et de la prise en charge collective des soins. Faut-il encore lui laisser le droit de transformer les citoyens en cobayes, servant à tester les molécules nouvelles ? Faut-il encore se soumettre au chantage à l'emploi, alors que certains fleurons de notre industrie pharmaceutique, qui sont des grandes multinationales dopées aux aides publiques et qui bénéficient de nombreux crédits d'impôts, poussent le cynisme jusqu'à menacer de supprimer des emplois en les délocalisant, alors même qu'ils réalisent des bénéfices ?

Il y a lieu de redéfinir l'orientation de ces aides et de les conditionner plus strictement – Mme la ministre de la recherche serait, j'en suis sûr, sensible à une telle mise en cohérence. Il n'aura échappé à personne que Sanofi, par exemple, grand bénéficiaire des aides publiques, menace de supprimer plus d'un millier d'emplois à Toulouse et à Montpellier, notamment dans le domaine de la recherche médicale. Or ce groupe n'est pas déficitaire !

Nous attendions de la loi sur le médicament qu'elle crée un nouveau contrat avec les entreprises pharmaceutiques. Celles-ci sont trop souvent nourries à la mamelle de l'aide publique ; leurs intérêts sont trop souvent relayés par des experts sans scrupule ou en situation de conflit d'intérêts, bien implantés dans les lieux de décisions. Elles doivent rendre des comptes, et accepter en tant qu'acteurs et partenaires déclarés de l'action sanitaire de souscrire à une déontologie et une éthique irréprochables.

La santé a par trop été – et est encore – la variable d'ajustement d'une logique de développement économique avant tout financière. Dans cette logique, le système public de santé passe souvent au second plan. Cela met en danger notre système de protection sociale.

Les affections de longue durée touchent plus de 8 millions de personnes en France, soit environ 14 % de la population française. Elles représentent plus de 60 % des remboursements de l'assurance maladie, et une part comparable des dépenses d'hospitalisation. Ces ALD relèvent des maladies dites de civilisation ; elles sont dues à nos comportements alimentaires, à nos conditions de vie, à la dégradation de l'environnement et à l'exposition aux polluants, comme les perturbateurs endocriniens ou d'autres produits de l'industrie chimique.

Elles constituent un marché lucratif pour les adeptes du « tout médicament ». Préserver sa santé et son autonomie est une gageure, car la prévention et l'éducation et la santé sont trop souvent considérées comme accessoires. Selon ces logiques prédatrices, ces logiques de profit, une personne en bonne santé ne rapporte rien. Pourtant, le fait que les citoyens soient en bonne santé est le signe d'une société équilibrée. Il faut rejeter l'attitude fataliste dans laquelle nous pousse l'économie selon la vision actuelle.

Les pressions mises en oeuvre par les partisans du « tout médicament » ont été chiffrées par un rapport de l'IGAS de 2007 : 3 milliards d'euros ont ainsi été consacrés à la publicité dont 75 % pour la visite médicale auprès des médecins prescripteurs. Un rapport au Parlement était attendu avant le 1er janvier 2013 sur cette question : nous n'avons reçu, à ce jour, aucune information.

Cela est d'autant plus inquiétant que la stratégie financière des entreprises pharmaceutiques semble exercer une influence néfaste sur l'approvisionnement des milieux hospitaliers. Certains des orateurs qui sont exprimés précédemment l'ont dit. Depuis plusieurs mois, on nous signale des ruptures de stock de médicaments pourtant sensibles : anesthésiques, anticancéreux, antirétroviraux, antiallergiques. Comment sanctionner les marchands de médicaments en gros qui ne respectent pas les obligations de stock et de livraison ? Comment garantir par ailleurs que les médicaments, qui sont de plus en plus fabriqués dans des pays émergents, répondent à des critères minimums de qualité ? La globalisation du marché du médicament pose des problèmes de traçabilité, de contrôle et de sécurité.

Face au « tout médicament » et aux charges que cela entraîne, il apparaît de plus en plus urgent d'engager une politique volontariste en matière de prévention. Nous le répétons : nous voulons une politique ambitieuse d'éducation à la santé. Cela signifie qu'il faut éduquer les personnes pour qu'elles prennent conscience des comportements néfastes pour leur santé, et pour qu'elles construisent elles-mêmes leur propre itinéraire de santé. On laisse trop souvent entendre que les institutions et les milieux médicaux savent seuls ce qui est bon pour la santé, face à des citoyens réputés passifs et ignorants. C'est cette idée-là qu'il faut combattre, par une éducation à la santé permettant à chacun d'être responsable de son parcours de santé.

Pour avancer sur ce chantier, nous pouvons nous appuyer sur la compétence d'un réseau d'experts en pédagogie de la santé. Ce réseau existe : ce sont les comités régionaux d'éducation pour la santé, aidés par des comités départementaux, qui sont organisés au niveau national en une fédération. Il faut nous désintoxiquer du réflexe conditionné du « tout médicament ». Une politique de prévention fondée sur l'accès à une alimentation saine et respectueuse de l'environnement, la revalorisation des circuits courts de production et de transformation, la pratique d'activités sportives sont autant de ressources pour limiter les pathologies et favoriser le bien-être sans recourir aux médicaments.

Quand examinerons-nous le texte déposé au Sénat en faveur de la revalorisation de l'herboristerie et des préparations naturelles, qui sont menacées ? Bien loin de l'automédication, qui est parfois dangereuse, pourquoi nous priver de ces savoirs ancestraux, précieux, et bon marché, qui ont longtemps contribué à une réelle prévention ? Le libre choix thérapeutique devrait être réaffirmé et soutenu. J'espère que nous aurons aussi l'occasion d'en débattre au moment de l'examen de la future loi de santé publique.

En 2011, suite au scandale du Mediator, le ministre de la santé Xavier Bertrand a réagi rapidement, et fortement, en faisant adopter une loi. Mais la succession de nouveaux scandales minimise la portée réelle de ce texte : nous ne pouvons que le regretter. À force de repousser au lendemain des choix pourtant essentiels à la sécurité de nos populations, les plaintes se multiplient devant les juridictions pénales. Là encore, les perspectives sont inquiétantes. Le pôle de santé publique du tribunal de Paris, actif sur les questions de réparations et de recherche des responsabilités, va perdre sa principale animatrice, Mme Bertella-Geffroy. À l'heure qu'il est, nous ne savons toujours pas si elle sera remplacée ou maintenue dans ses fonctions. En tout état de cause, nous réaffirmons que cet outil d'instruction est absolument indispensable. Nous attendons de connaître votre position sur ce point, madame la ministre.

La loi Bertrand, votée en urgence en décembre 2011, n'a donc pas levé pas tous les doutes. Les crises se sont multipliées. La nouvelle majorité parlementaire et le Gouvernement doivent se ressaisir de cette question rapidement et fermement. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

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