Intervention de Benoît Thieulin

Réunion du 26 février 2013 à 18h00
Commission des affaires économiques

Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique :

Je vous remercie de nous recevoir quelques semaines après notre installation.

Je voudrais d'abord évoquer les raisons qui ont motivé la création d'un nouveau Conseil national du numérique, un « CNN 2.0 » en quelque sorte.

La création du premier CNN par le gouvernement précédent était bienvenue, compte tenu de la complexité de ce domaine du « numérique », voire de son caractère abscons. En la matière, en effet, les enjeux ne sont pas seulement technologiques : ils sont aussi, massivement, économiques, l'onde de choc de la révolution du numérique n'épargnant aucun secteur d'activité, et cela se double d'enjeux juridiques, eux aussi très complexes.

La fécondité de la révolution numérique résulte d'une alchimie étonnante entre des domaines et des acteurs très différents, voire opposés. En effet, s'il est vrai que l'Internet a été à l'origine financé par des crédits provenant du budget américain de la défense, le concept a été développé par des étudiants et par des universitaires hostiles à la guerre au Vietnam. Puis cette innovation s'est étendue en suscitant une osmose surprenante entre secteur marchand et secteur non marchand, entre grands groupes et petites unités, entre universitaires et milieux d'affaires, etc. Or, en France, beaucoup de ces professionnels du numérique ne s'étaient pas sentis suffisamment représentés, ni même écoutés, dans les débats qui ont porté sur le sujet depuis une quinzaine d'années, et ce bien qu'il y ait désormais peu de domaines qui échappent complètement à cette problématique. Le fait que le nouveau CNN soit composé de membres choisis en raison de leurs compétences dans le domaine du numérique est, j'en suis convaincu, de nature à changer la donne : c'est ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, que le professeur Bernard Stiegler et moi-même avons été consultés par le rapporteur du projet de loi sur la refondation de l'école.

En un mot, il manquait une instance de dialogue entre cet univers très protéiforme et les pouvoirs publics et les décideurs. Le premier CNN avait certes déjà pour finalité d'être un truchement entre ces deux mondes et j'en avais donc, avec d'autres, approuvé le principe. Je salue aussi le travail accompli sous la direction de Gilles Babinet et de Patrick Bertrand, qui se sont succédé à sa tête et qui ont eu le souci de nous transmettre leur expérience lors de l'installation du nouveau conseil. Il reste que ce Conseil national, première version, ne reflétait pas suffisamment la diversité du secteur, ce qui ne pouvait que le handicaper dans sa mission d'éclairer le Gouvernement et, surtout, d'assurer la pédagogie du numérique, rôle clé à mes yeux. En effet, les geeks ne peuvent pas se contenter de se plaindre de n'être pas suffisamment entendus sans faire eux-mêmes l'effort d'être compris, et c'est pourquoi la capacité à établir un langage commun avec les parties prenantes de ces débats me semble une composante absolument essentielle de la mission du CNN.

Parler de conseil « pléthorique » me paraît quelque peu exagéré, monsieur le président. Mon expérience de démocratie participative me convainc qu'il n'est pas complètement impossible de faire réfléchir trente personnes ensemble !

La composition de ce conseil respecte strictement la parité, non seulement entre sexes, mais aussi entre générations – on y compte autant de moins de 45 ans que de plus de 45 ans – et, en outre, se caractérise par une grande diversité des appartenances professionnelles : certains travaillent dans de grands groupes de télécommunications, d'autres dans le secteur non marchand, notamment associatif ; d'autres encore sont chercheurs, universitaires, entrepreneurs, créateurs de start-up, etc. Nos premières discussions, qui se sont révélées plutôt passionnantes, me donnent à penser que cette diversité de parcours et d'expériences garantit un équilibre fécond.

S'agissant de l'organisation de nos travaux, il m'a semblé important d'arrêter un rythme qui permette une participation assidue de tous. En effet, les trente membres de ce « machin » comme vous dites – puisse-t-il connaître la même croissance que ce machin qu'étaient les Nations unies selon de Gaulle ! – étant bénévoles, ils ont besoin d'un cadre de travail régulier qui leur permette de concilier leur contribution avec leur activité professionnelle. C'est pourquoi nous avons prévu une réunion hebdomadaire du bureau et une réunion plénière mensuelle, au cours de laquelle les groupes de travail créés en fonction des saisines soumettront leurs propositions à la délibération du Conseil.

Les trois sujets dont Fleur Pellerin nous a d'ores et déjà saisis illustrent la variété de nos possibilités de saisine : pour avis, pour concertation ou pour recommandation. S'agissant de la neutralité du net, c'est un avis que nous devons rendre, assez rapidement mais en répondant à une question précise. S'agissant de la fiscalité du numérique, nous devons organiser une concertation : notre mission est de consulter les nombreuses parties prenantes sur les différentes pistes ouvertes dans leur rapport par Nicolas Colin et Pierre Collin – que nous avons déjà entendus. Il est probable que cette concertation se déroulera en deux temps, une première étape devant être consacrée aux questions qui doivent être traitées en urgence, à temps pour être prises en compte dans le projet de loi de finances pour 2014.

Enfin, la question de l'inclusion numérique, ou e-inclusion, fait l'objet d'une saisine pour recommandation. Qu'on parle d'inclusion, et non plus de lutte contre la fracture numérique, signifie qu'on ne se focalise plus sur la question de l'équipement, sur le hardware : une grande partie de la population étant désormais connectée, l'objectif est de permettre aux usagers de tirer tout le profit de cet acquis – par exemple de permettre aux entreprises de l'utiliser pour accroître leur productivité. Cette partie de nos travaux aura donc un caractère plus prospectif : nous comptons notamment inventer une nouvelle mission pour les nombreux établissements numériques, la question de leur utilité se posant maintenant que les outils informatiques sont largement diffusés.

Pour assurer au mieux ces trois missions, nous aimerions inventer des modalités d'organisation originales. Nous avons ainsi l'ambition de donner à nos avis un caractère opérationnel tout en mettant en lumière le contexte dans lequel nous sommes amenés à les rendre. Par exemple, sur la question de la neutralité du net déjà largement traitée par ailleurs, notre travail sera surtout un travail de synthèse et de cartographie des acteurs et des parties prenantes. Il s'agira de dessiner l'écosystème au sein duquel ce problème se pose.

Notre mission de concertation également doit être pour nous l'occasion d'innover, en développant un genre d'auditions qui nous soit propre, loin des auditions classiques qui se résument trop souvent à recueillir des points de vue que l'on connaît déjà. Nous voudrions définir d'autres modalités d'organisation des débats pour revivifier ce genre de consultation. Nous comptons par exemple lancer des appels à contributions, en direction des publics qui se sentent concernés, en recourant aux outils numériques que j'ai pu pratiquer dans une vie précédente.

En tout état de cause, étant donné la modicité de notre budget, nous devrons faire preuve de beaucoup d'ingéniosité dans l'organisation de nos travaux mais voilà comment nous espérons être utiles – nous pourrions d'ailleurs l'être aussi en étant saisis en amont des textes sur lesquels vous êtes appelés à délibérer !

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