Intervention de Bruno Léchevin

Réunion du 26 février 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bruno Léchevin :

En préambule et afin de permettre à chacun de mieux connaître mon parcours, de comprendre mon approche et de percevoir mes motivations, je vous propose de me présenter.

Je suis originaire de Sallaumines, dans le Pas-de-Calais, un département affecté par de nombreuses pertes d'emplois depuis plus de quarante ans, en raison de la disparition du bassin minier et de la désindustrialisation. Très tôt, je me suis engagé au sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), mouvement d'éducation populaire et de jeunesse. Grâce aux responsabilités qui m'ont été confiées, j'ai participé aux différents combats pour la défense de l'emploi dans un collectif régional qui rassemblait toutes les forces vives locales. C'est dans ce contexte que je me suis imprégné du sens de l'intérêt général et de sa défense. Dirigeant national puis président de la JOC de 1974 à 1978, j'ai ensuite intégré l'entreprise EDF-GDF distribution, où la quasi-totalité de mon parcours s'est effectuée comme dirigeant de la CFDT. La prise en compte du facteur social au sein des industries électriques et gazières et l'intérêt public ont guidé mon action durant toutes ces années.

Rappelons au passage que la CFDT a toujours assumé, dans le discours et dans les faits, un positionnement atypique, puisque, se démarquant d'une logique purement productiviste, elle s'est historiquement opposée au « tout nucléaire ». Je suis heureux de voir que l'histoire et les faits lui ont donné raison.

C'est en 2000, sur proposition du Premier ministre de l'époque, que j'ai été nommé commissaire de la Commission de régulation de l'énergie, où je suis resté huit ans. Alors que l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité et du gaz bouleverse la donne pour nos concitoyens, qui ont souvent du mal à se repérer dans cette nouvelle organisation, j'ai toujours soutenu la thèse selon laquelle les marchés doivent être au service du consommateur final. C'est à cette condition que les consommateurs retrouveront confiance, car il n'y a pas de marché sans confiance.

Certes, l'énergie est un bien économique et, à ce titre, elle obéit à des règles de marché, mais elle est aussi et surtout un bien essentiel qui doit être, dans une société moderne et solidaire, accessible à tous.

C'est animé de cette volonté de renforcer la protection du consommateur que j'ai assumé, à partir de 2008 et à l'issue de mon mandat de commissaire, la fonction de délégué général du Médiateur national de l'énergie, avec la préoccupation centrale de lutter contre la précarité énergétique. Certes, cette institution, qui venait juste d'être créée et que nous avons développée, a bousculé les entreprises dans leur approche du client, que ce soit en matière d'information ou de traitement des réclamations. Mais aujourd'hui, elle est installée dans le paysage énergétique français et reconnue pour son expertise et ses prises de position en faveur de l'intérêt général. Ces cinq années passionnantes nous ont permis de penser et de concevoir le Médiateur national de l'énergie comme une institution efficace au service du plus grand nombre.

Enfin, je souhaite en deux mots partager l'expérience qui est la mienne au travers de l'ONG dont j'ai été membre fondateur, il y a plus de vingt-cinq ans. Dénommée d'abord Codeve (pour « Coopération développement »), elle est devenue « Électriciens sans frontières », une organisation de solidarité internationale. Notre principe d'action, avant toute intervention, est d'identifier les besoins énergétiques à satisfaire en électricité – mais aussi en eau – et les techniques les plus efficaces pour y répondre. Il s'agit ensuite d'inventorier les ressources énergétiques, qui seront évidemment renouvelables chaque fois que c'est possible, et les moins polluantes, quand ça ne l'est pas.

Après cette présentation, qui caractérise un parcours atypique et des engagements successifs – mais dans une continuité au service de l'intérêt général –, venons-en à l'ADEME.

Un nouveau défi à relever : présider cette belle agence qui regroupe quelque mille hommes et femmes, répartis pour moitié sur ses sites nationaux (Angers, Paris et Valbonne) et pour moitié au sein de chaque région, à travers ses directions régionales.

Reconnue pour son expertise et son action territoriale, l'ADEME a joué un rôle majeur dans les principales évolutions environnementales de ces dernières années, en particulier celles liées au Grenelle. Elle dispose en 2013 d'un budget d'intervention de 607 millions d'euros, auquel s'ajoute le programme des investissements d'avenir, doté d'environ 2,5 milliards d'euros sur trois ans.

De par ses statuts, l'ADEME a pour mission de « susciter, animer, coordonner, faciliter et le cas échéant, réaliser toutes les opérations » dans les domaines de la gestion des déchets, de la préservation des sols, de l'efficacité énergétique, des énergies renouvelables, de la qualité de l'air et de la lutte contre le bruit. L'ADEME intervient donc sur toutes les thématiques environnementales, hors la gestion de l'eau et celle de la biodiversité.

Au-delà de la seule expertise, l'ADEME est une institution reconnue pour ses actions sur le terrain auprès des acteurs locaux, publics et privés, comme de nos concitoyens. La meilleure illustration en est donnée par les « Espaces info énergie » (EIE), qui dispensent des conseils personnalisés aux particuliers. Le réseau est cofinancé par les collectivités et l'ADEME. En un an, ses 405 conseillers ont donné une information personnalisée à plus de 150 000 personnes et en ont sensibilisé près d'un demi-million. L'efficacité de ces structures est démontrée, puisque 45 % des personnes ayant bénéficié d'un conseil personnalisé sont passées à l'acte et ont engagé plus de 327 millions d'euros de travaux en 2011. Ce réseau aura à coup sûr un rôle de premier plan à jouer dans la création du « guichet unique » annoncé par le Premier ministre ou dans celle du service public de la performance énergétique de l'habitat, prévue par la proposition de loi « Brottes », actuellement en cours de discussion au Parlement et dont l'objectif est d'accompagner les particuliers dans la rénovation de leur logement. Si le conseil objectif et gratuit dispensé par ces relais est un élément essentiel, qu'il serait d'ailleurs souhaitable de renforcer pour toucher beaucoup plus de personnes, il faudra également trouver les moyens d'étendre l'accompagnement en amont, – lors du démarchage auprès des habitants – et en aval, s'agissant du choix des entreprises et du suivi de la réalisation effective des travaux.

Je serai particulièrement attaché à ce que l'ADEME puisse s'organiser avec ses partenaires territoriaux dans le but de stimuler la demande des particuliers et de mettre cette demande en relation avec une offre de travaux et de financement – laquelle devra être structurée, coordonnée et fiabilisée.

Au-delà, l'ADEME soutient l'innovation technologique et l'expérimentation des solutions de demain, grâce notamment aux investissements d'avenir.

L'Agence gère en effet pour le compte de l'État 12 % du total du montant du grand emprunt, dans le cadre duquel 87 projets sont engagés à ce jour. Les principales filières bénéficiaires sont les énergies renouvelables, les véhicules routiers et la mobilité, et les réseaux électriques intelligents. Notons au passage que les aides distribuées ne sont pas majoritairement des subventions : deux tiers des 820 millions d'euros engagés jusqu'à présent – sur un coût total supérieur à 4 milliards d'euros – font l'objet de retours financiers vers l'État, sous forme soit d'avances remboursables, soit de prises de participation. À cette échelle, de telles modalités d'intervention de l'État dans le champ du développement durable et des écotechnologies représentent une innovation majeure.

Le programme des investissements d'avenir tout entier témoigne d'ailleurs sans conteste d'un changement d'échelle en matière de soutien à l'émergence de technologies et de produits relevant du développement durable : en associant son expertise technologique avec de nouvelles compétences en ingénierie financière, l'ADEME a su rapidement relever le défi que constitue la construction de l'industrie du futur, alliant compétitivité, emplois et préservation de l'environnement.

Parmi ses diverses missions, l'ADEME gère le fonds destiné aux déchets, mais aussi le « fonds chaleur » qui, en trois ans et pour un total de 900 millions d'euros, a aidé 2 400 installations à produire de la chaleur à partir de la biomasse, c'est-à-dire d'une source d'énergie renouvelable.

L'ADEME participe également à des innovations et à des expérimentations adaptées aux problématiques spécifiques d'un territoire. C'est le cas par exemple dans la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, qui compte 41 communes et 150 000 habitants, et où une part importante de la pollution de l'air provient de l'utilisation par les particuliers d'équipements de chauffage non performants. Pour accélérer la modernisation du parc d'appareils de chauffage individuels au bois, l'ADEME a lancé, avec le concours des collectivités de la vallée, du conseil général et du conseil régional, une opération pilote destinée à favoriser leur renouvellement.

Le temps me manque pour évoquer d'autres activités qui pourtant le mériteraient, qu'elles concernent l'international, la communication ou l'urbanisme. L'essentiel me semble être de souligner combien la richesse des activités de l'ADEME et la diversité de ses partenaires témoignent de sa capacité d'évolution.

Ainsi, si l'ADEME a aujourd'hui plus de vingt ans, elle a su constamment s'adapter aux évolutions de la société et de ses rapports avec les problématiques énergétiques et environnementales, grâce à un modèle original auquel je suis particulièrement attaché et dont je souhaiterais évoquer ici quelques-unes des spécificités.

L'Agence dispose ainsi d'une expertise reconnue et indépendante au service de tous les types de décideurs, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités, des entreprises ou des particuliers.

Elle a également un caractère intégré et une grande capacité à agir sur les territoires. Grâce à la complémentarité entre directions centrales et directions régionales, l'ADEME assure un continuum depuis la recherche jusqu'à l'application de solutions, assurant ainsi la cohérence entre les politiques de l'État et celles qui sont menées par les collectivités territoriales.

C'est une agence spécialisée sur des enjeux interdépendants complexes : sa capacité à traiter de problématiques transversales liées au développement durable et au changement climatique lui permet d'avoir une vision d'ensemble sur des sujets interdépendants comme l'énergie, l'air ou les déchets.

Par ailleurs, quand elle contractualise avec les régions pour démultiplier les soutiens tout en les concentrant sur les priorités locales, ou quand elle consacre les investissements d'avenir à la préparation des forces industrielles du futur, l'ADEME agit préférentiellement sur un mode partenarial, d'autant qu'elle peut compter, dans ses négociations et ses évaluations, sur la neutralité que lui confère son statut d'établissement public.

Le large périmètre d'action de l'agence, qui va de l'amont – la recherche et le développement – à l'aval – l'accompagnement de la mise en oeuvre et de la généralisation des bonnes pratiques – fait de l'ADEME un modèle innovant et envié par ses homologues européens, dont les champs d'intervention sont souvent plus réduits.

J'aimerais maintenant en venir à mes priorités d'action pour cette institution et évoquer quelques sujets d'actualité.

Face au risque, universel, du changement climatique, la France doit montrer la voie de l'efficacité énergétique. Dans cette démarche, l'ADEME doit jouer, demain encore plus qu'aujourd'hui, un rôle de moteur.

Je sais combien l'ensemble des collaborateurs de l'ADEME sont compétents, mobilisés et investis. Fort de leur engagement, j'aurai à coeur de faire de l'Agence l'outil innovant, efficace et exemplaire qui nous permettra d'atteindre le mix énergétique transformé qu'appelle de ses voeux le Président de la République.

Les économies d'énergie doivent être notre objectif permanent. Mais de cela, ce ne sont pas les membres de votre commission qu'il faut convaincre. C'est à nous d'agir pour que cette ambition devienne une priorité objective, concrète et partagée.

À cet égard, le débat national de la transition énergétique représente pour l'ADEME une opportunité particulière de valoriser le remarquable travail d'expertise effectué sur ses scénarios 2030-2050, un exercice de prospective qui a mobilisé et rassemblé l'ensemble de ses experts.

Ce sera l'occasion pour l'Agence de porter un message fort en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments, qui doit être notre première priorité en matière d'économies d'énergie, et de soutenir, grâce à son expertise technique et financière, des propositions concrètes destinées à rendre effective la transition énergétique et écologique. Au-delà même du débat, l'ADEME devra se mobiliser en faveur de la mise en oeuvre de ces initiatives.

La réussite de cette politique passera par une implication forte des territoires de proximité, car c'est au niveau des territoires que se réalisent les projets concrets qui font la transition écologique. S'il revient à un État de définir les lignes directrices, l'échelon territorial est bien le plus propice à la mobilisation et à la mise en relation des acteurs locaux. Je suis conscient que l'équilibre entre ces deux niveaux est délicat à trouver. Mais le système s'est montré performant : les politiques de l'État sont déclinées au niveau des territoires, dont elles prennent en compte les spécificités tout en leur faisant bénéficier d'une expertise nationale, tandis que cette dernière s'enrichit elle-même des retours du terrain.

La prochaine édition de la conférence environnementale annuelle traitera notamment la question des déchets, et il est crucial que l'ADEME se mobilise pour aider le ministère à la préparer. Je sais que le chantier est déjà bien avancé. Ce sera également l'occasion pour l'Agence d'approfondir sa réflexion sur les ressources, sur l'économie circulaire, sur les façons d'améliorer l'efficacité du recyclage pour fournir à nos industries des matières premières de recyclage compétitives.

Enfin, il nous faut préparer cette perspective dans un contexte budgétaire que vous savez nécessairement contraint. Face à la réduction des dépenses publiques, l'ADEME devra poursuivre ses efforts afin d'optimiser l'usage des crédits qui lui sont confiés.

Au cours de ces vingt dernières années, la politique environnementale française s'est renforcée, tant dans le domaine des déchets que dans celui de la maîtrise des consommations d'énergie, ou encore en matière d'aménagement ou de production agricole. Des textes sont venus affirmer la nécessité de réduire les flux : flux d'énergie, de matière, d'espace consommés ; flux de CO2 rejeté ou de déchets à traiter. De nombreux territoires et de multiples acteurs se sont emparés du sujet et montent en compétence pour développer des politiques locales : les agglomérations et territoires de projet avec les plans climat-énergie territoriaux, les programmes de prévention, les régions avec l'appui aux nouvelles filières d'énergie et de recyclage.

Depuis plus de vingt ans, l'ADEME a initié, stimulé, accompagné ce mouvement, en développant de nouvelles activités et de nouveaux modes d'action pour lesquels elle fait figure de précurseur. L'exemple le plus récent est celui des investissements d'avenir, qui lui ont permis d'acquérir de nouvelles compétences : je souhaite que nous puissions capitaliser ces compétences et poursuivre notre soutien à l'innovation au-delà du programme en cours, malgré la nécessaire adaptation des aides publiques au contexte budgétaire de notre pays.

Je voudrais conclure en rappelant ma conviction qu'il est nécessaire de s'engager dans la voie de la transition énergétique et écologique. En ces temps difficiles, on pourrait être tenté de répondre par des schémas et des réponses classiques à la crise économique et à la dégradation des conditions sociales de nos concitoyens. Or l'urgence écologique et sociale – plus encore que les règles communautaires ou les obligations que nous avons vis-à-vis des générations futures – doit nous inciter, tout au contraire, à faire preuve d'innovation, d'audace, de courage, mais aussi d'enthousiasme ; à prendre à bras-le-corps les problématiques énergétiques et environnementales ; à faire de la maîtrise de l'énergie un des leviers essentiels de la sortie de crise dans notre pays.

Ce n'est pas devant vous qu'il est nécessaire d'insister sur le fait qu'en 2012, le déficit du commerce extérieur de la France pour l'énergie a été de 69 milliards d'euros, et qu'il contribue pour une très grande part à celui de la balance commerciale, qui atteint 67 milliards d'euros. La réduction de cette dépendance est un enjeu majeur pour notre économie et notre modèle social, ce qui rend incontournable une transition énergétique fondée sur l'efficacité et la sobriété. Quel que soit le scénario d'évolution du mix énergétique, notre défi essentiel, c'est d'économiser l'énergie. La sobriété énergétique est en effet bonne pour la compétitivité de nos entreprises, et donc pour l'emploi et l'économie. Elle est également bonne pour les ménages, car elle permettra à tous de faire face à la hausse inéluctable des coûts unitaires, et aux plus vulnérables de sortir de la précarité énergétique.

Le chantier qui s'ouvre devant nous, celui d'une société sobre et économe en ressources, mais aussi industrielle et créatrice d'activités et d'emplois, est vaste. Mais je crois dans les capacités de l'ADEME pour contribuer à le réaliser.

Il sera de notre responsabilité d'élaborer les outils et les moyens d'action nécessaires et d'appeler, dans les entreprises, les collectivités ou le grand public, à une massification des changements de comportements et des investissements.

L'ADEME sera un acteur majeur de la transition énergétique et écologique engagée par le Gouvernement et prochainement débattue au Parlement. Elle est attendue, et je sais d'ores et déjà qu'elle a la capacité d'être à la hauteur des enjeux.

Le challenge est passionnant et je serais fier que me soit confiée la présidence de ce bel établissement.

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