À l'heure où nous prenons la parole devant vous, près de 65 % des opérations de retrait ont été effectuées en Afghanistan. Le 1er janvier dernier, ils n'étaient plus que 1 500 hommes sur place, contre 3 600 en juin 2012. Le désengagement s'est passé jusqu'à présent sans incident majeur et dans des délais extrêmement réduits. Cette manoeuvre est réussie.
Dans un premier temps, nous regarderons en arrière, pour décrire devant vous la décennie de présence française et analyser les différentes phases de notre intervention en Afghanistan. Nous nous attacherons ensuite à décrire la manoeuvre logistique puis nous essayerons de tirer un bilan de l'engagement de nos forces armées d'un théâtre d'opération structurant pour les armées. Pour terminer, nous tâcherons de dresser un tableau de la situation politique et sécuritaire en Afghanistan et nous nous questionnerons sur l'avenir de ce pays et sur les nouvelles formes d'engagement de la France dans cette partie du monde.
L'engagement français en Afghanistan a été avant tout politique. C'est par solidarité avec les États-Unis qu'à la suite du 11 septembre 2001 nous nous sommes engagés dans ce pays. Au sein de l'opération Liberté immuable, nous avons participé à la traque des mouvements terroristes, tandis qu'insérés dans la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), nous avons pris une part conséquente à la sécurisation du territoire afghan et à la reconstruction de son appareil sécuritaire.
Entre l'automne 2001 et aujourd'hui, les modalités d'engagement des forces françaises ont connu d'importantes évolutions. Dès 2002 notre pays s'est particulièrement investi dans la formation de l'armée nationale afghane (ANA), à travers deux dispositifs : le programme Épidote, qui a permis de former plus de 20 000 cadres de l'ANA, et les équipes de liaison et de tutorat opérationnel (ELTO), grâce auxquels nos troupes ont formé et accompagné des bataillons afghans sur le terrain, dans le cadre de manoeuvres coordonnées avec la coalition.
En 2008, la France a pris la relève de troupes italiennes dans le district difficile de la Surobi et a accepté de déployer des troupes de combat dans la province contiguë de la Kapissa. Ce faisant, la nature de son engagement se trouvait modifiée, notre armée se trouvant confrontée à une guérilla difficile.
L'embuscade d'Ouzbine, les 18 et 19 août 2008, l'a rappelé d'emblée. Elle avait suscité une forte mobilisation parlementaire, le président de notre commission conduisant sur place une délégation qui, de retour en France, avait formulé des propositions précises d'amélioration de notre dispositif.
Les quatre années d'engagement en Surobi-Kapissa ont mobilisé d'importants moyens. L'état-major des armées a globalement veillé à envoyer sur place les équipements les plus adaptés à disposition : drones tactiques, hélicoptères de combat, équipement du fantassin FÉLIN, etc.
Au-delà, les armées ont mobilisé l'ensemble des moyens disponibles pour réussir la mission.
Je pense tout d'abord au renseignement militaire, très actif sur le théâtre. La DPSD nous a notamment décrit son engagement – particulièrement efficace – face à la menace « green on blue », c'est-à-dire celle que font peser les soldats afghans retournant leurs armes contre leurs formateurs occidentaux. Pour preuve, en 2012 la coalition a comptabilisé 45 attaques de ce type, contre 20 en 2011. J'observe également la renaissance des actions civilo-militaires (les ACM), dont nos collègues Guy Chambefort et Philippe Folliot avaient traité voici deux ans. Plus ou moins tombées en désuétude, elles ont été fortement mises en avant sur ce théâtre bénéficiant d'une concentration de moyens en provenance de plusieurs ministères.
Parallèlement, la France a initié en 2009 un programme de formation de la police nationale afghane (ANP) par des gendarmes européens et notamment français. Nos 200 gendarmes se sont investis sur le terrain, à travers des opérations de formation et de tutorat d'unités, mais également dans deux écoles. L'une, dans le Wardak, est placée sous direction française. Nous avons pu la visiter et avons constaté le grand mérite des personnels. Son transfert définitif aux Afghans est prévu pour le printemps. Le travail de formation des gendarmes est d'autant plus important que nous avons constaté, à Kaboul, le bilan critiquable du programme de formation de l'ANP par l'Union européenne appelé EUPOL. Pour un coût élevé, de 61 millions d'euros par an, il ne semble pas obtenir de résultats satisfaisants : absence d'évaluation, manque de suivi des personnels formés, impossibilité de se rendre sur le terrain. Le contraste avec le Wardak était saisissant.
En bilan, l'Afghanistan compte certainement parmi les principales OPEX des dernières décennies. Nous avons calculé que près de 60 000 de nos soldats y auront été affectés – 88 d'entre eux y laissant la vie – et que, sur la seule période 2002-2012, le surcoût cumulé de l'opération militaire avoisine les 3 milliards d'euros.
Ces moyens ont été utilement mobilisés : à court et moyen termes par des actions de sécurisation, à plus long terme par la formation de l'ANA et de l'ANP.
Au lendemain de son élection, le Président de la République François Hollande a accéléré le retrait de nos troupes, qui avait déjà été avancé par son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Le 31 juillet 2012 débutaient ainsi les opérations de retrait avec le transfert aux autorités afghanes de la base avancée de Surobi. Les dernières troupes « combattantes » ont effectivement quitté l'Afghanistan le 17 décembre dernier.
Les voies terrestres au sud via le Pakistan et au nord via l'Ouzbékistan et le Kazakhstan étant à ce jour impraticables, les opérations de retrait ont emprunté deux voies pour quitter le territoire afghan.
L'une exclusivement aérienne de Kaboul à Paris qui représentait en décembre dernier environ 10 % des opérations de retrait réalisées, en recourant notamment à des Antonov 124 et des Iliouchine, pour un coût estimé à environ 40 000 euros par unité à transporter (UAT). L'autre est pour partie aérienne jusqu'aux Émirats arabes unis, puis maritime jusqu'en France. Elle représentait en décembre dernier près de 80 % des opérations de retrait réalisées, pour un coût estimé à environ 30 000 euros par UAT.
Dans un contexte général de retour des forces de la coalition, le retrait anticipé de nos troupes nous a permis d'éviter l'engorgement des voies de transit, qui devraient être saturées dans le courant de l'année 2013. Toutefois, nous nous interrogeons sur le manque de célérité des autorités françaises à négocier en amont avec les pays limitrophes l'utilisation des voies terrestres. Il apparaît en effet que les discussions avec les gouvernements ouzbek et kazakh ont débuté bien trop tardivement – au moment de la confirmation du retrait des forces « combattantes » – pour obtenir un accord de passage sur leurs territoires respectifs.
Au final, cette manoeuvre est une manoeuvre réussie mais elle représente aussi une opération coûteuse puisque le coût pour une UAT était estimé à 4 000 euros pour la voie sud et à environ 7 000 euros pour les différentes voies nord. Pour mémoire, le vol aérien direct coûte environ 40 000 euros par UAT et la voie multimodale via les Émirats arabes unis environ 30 000 euros par UAT. L'impossibilité d'emprunter les voies terrestres se solde au final par une dépense supplémentaire de plusieurs dizaines de millions d'euros pour le budget de l'État.
Au-delà de la question des opérations de retrait de nos soldats et de nos équipements, s'est posée celle du sort des personnels afghans, notamment des interprètes, qui, depuis le début de l'intervention, oeuvrent à nos côtés pour faciliter la tâche de nos militaires auprès des populations. Depuis 2001, les forces françaises ont fait appel à environ 800 personnels civils de recrutement local (PCRL). À la demande des plus hautes autorités de l'État, un travail a été conduit sous l'égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) par le préfet Philippe de Lagune : prime de licenciement, prime de relocalisation et, pour les plus exposées, octroi d'un visa et d'une aide à la réinstallation en France. À ce jour, 70 PCRL et leurs familles, soit 166 personnes au total devraient être accueillies en France.