Intervention de Philippe Nauche

Réunion du 26 février 2013 à 18h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Nauche, rapporteur :

Le désengagement de nos forces d'Afghanistan dépasse la seule manoeuvre logistique.

Sur le plan opérationnel, nous avons tout d'abord relevé la qualité de l'entraînement des personnels. L'armée de terre a, en particulier, consacré des moyens importants aux six mois de mise en condition opérationnelle précédant le départ, avec, notamment, des mises en situation pratiques à Canjuers.

Sur le terrain, les équipements ont bénéficié de constantes améliorations grâce à la procédure d'adaptation réactive. La France y a consacré des ressources importantes : près de 200 millions d'euros par an à partir de 2009. Elles ont permis de faire face aux urgences : surblindage des véhicules logistiques, modernisation des véhicules de l'avant blindés, équipement en systèmes de liaison de données aux normes américaines, etc.

Sur le plan de l'organisation, les armées ont gagné en interopérabilité. Elles ont su agréger des forces disparates pour mener à bien la mission. Le format du groupement tactique interarmes de l'armée de terre a, quant à lui, fait la preuve de sa souplesse et nos capacités de communication et de coordination avec les alliés en sont sorties renforcées.

Surtout, nos travaux sur le terrain nous ont montré l'importance des moyens d'accompagnement des forces de combat : service de santé des armées (SSA), ACM, forces de gendarmerie.

Le SSA a mené et mène en Afghanistan une action méritoire. Pleinement intégré à la manoeuvre, il a su moderniser ses procédures. Le service assume également une part majeure de la contribution française à la coalition, en pilotant jusqu'en 2014 le principal hôpital de l'OTAN situé sur l'aéroport de Kaboul.

Face à des conflits asymétriques, les ACM sont aujourd'hui indispensables. Le théâtre afghan a permis une véritable modernisation de leur conduite, avec la création du groupement interarmées pour les ACM. Nous avons également relevé la contribution très utile des gendarmes qui sont certainement les plus qualifiés pour mener à bien la formation de forces de polices sur des théâtres difficiles. Leur statut militaire est un atout particulièrement précieux.

S'agissant de l'accompagnement des personnels, là encore, le théâtre afghan a permis une véritable modernisation du dispositif français. Les échos concernant le sas de décompression de Paphos sont très bons et nous proposons d'étendre ce type d'organisation à d'autres théâtres. Nous avons également étudié la prise en charge des blessés, la France en déplore plus de 1 000 pour cette OPEX, avec un éclairage particulier sur les blessures psychiques. Celles-ci ne sont évidemment pas nouvelles, mais l'engagement en Afghanistan paraît avoir favorisé leur prise en compte par les armées et le SSA.

Au-delà, nous préconisons d'intégrer le retour d'expérience afghan dans notre organisation à venir.

Cela suppose en premier lieu de tenir compte des faiblesses réelles dont notre dispositif a souffert. Nous avons notamment relevé la faiblesse de nos moyens de transport, avec une dépendance marquée et préoccupante de notre pays vis-à-vis des Antonov et Iliouchine russo-ukrainiens. En outre, la France souffre d'un déficit capacitaire en drones. Plus que tout autre, l'engagement afghan a mis en lumière le retard français dans ce domaine. Enfin, nous estimons que le partage du renseignement entre alliés demeure encore perfectible.

Nous avons également souligné la difficulté qu'il y a à exercer le contrôle parlementaire : il n'a pas été possible, par exemple, de se rendre en Surobi-Kapissa, alors que cela aurait eu un sens particulier à l'heure du retrait.

Enfin, s'agissant de l'organisation de nos moyens, il importe de conforter les capacités de lutte contre les guérillas ainsi que de reproduire l'approche interministérielle initiée pour le théâtre afghan, avec notamment la création d'une cellule de suivi interministérielle, par exemple pour le Sahel.

Après plus de onze années de présence en Afghanistan, d'importantes améliorations ont été constatées dans ce pays, concernant notamment le renforcement de l'État de droit, la scolarisation des enfants et le développement d'infrastructures essentielles pour le développement économique du pays. Néanmoins, certaines fragilités persistent et pourraient être aggravées demain avec le retrait des troupes de la coalition.

La situation sécuritaire est globalement satisfaisante, grâce au travail des forces de la FIAS et à la montée en puissance de l'ANA, ainsi que des forces de sécurité intérieure afghanes. Nous sommes plus particulièrement préoccupés par l'état de la gouvernance dans ce pays. Le pouvoir afghan tarde à mener les réformes d'envergure qui semblent pourtant indispensables à un réel développement du pays. Le niveau de corruption des élites en place est inquiétant, en atteste le scandale récent de la Kabul Bank où 930 millions d'euros se sont volatilisés. Pour l'avenir, l'enjeu principal est la modernisation du pays. Ce n'est pas là un problème d'ordre financier, l'aide internationale est d'ailleurs très importante ; mais c'est un véritable problème de méthode. Une part importante des efforts de la coalition dans les années à venir devra donc se concentrer sur l'amélioration de la gouvernance. La lutte contre les talibans doit désormais revenir aux seules forces militaires et de sécurité afghanes.

Malgré le retrait de nos troupes, la France continuera demain d'aider l'Afghanistan à parachever sa reconstruction. Dans un premier temps, solidaire de la coalition, la France continuera d'oeuvrer aux côtés de la FIAS, puis, au-delà de 2014, elle soutiendra directement l'Afghanistan dans le cadre du traité d'amitié franco-afghan.

Aux côtés de la FIAS pour la période 2012-2014, la France a accepté de rester ou de devenir nation-cadre sur plusieurs projets d'envergure. Elle assure désormais la gestion de l'aéroport international de Kaboul, de l'hôpital militaire basé sur cet aéroport, ainsi que du laboratoire européen anti engins explosifs improvisés. Elle continuera également de former des soldats afghans au sein du programme Épidote.

Par ailleurs, notre pays s'investit dans sa relation bilatérale avec l'Afghanistan. Le traité d'amitié franco-afghan, ratifié en août dernier, vise ainsi à développer une véritable coopération en matière de sécurité et de défense, mais aussi une coopération civile dans de nombreux secteurs tels que l'agriculture, l'éducation, la santé, l'archéologie et la culture.

En conclusion, nous aimerions aborder la question du soutien financier apporté aux forces de sécurité afghane par les pays membres de la coalition. Cette aide, qui devrait être versée jusqu'en 2017, s'élève actuellement à environ 3,38 milliards d'euros par an.

Depuis le sommet de Chicago, les Américains attendent de la France le versement de 10 % des 3,38 milliards d'euros. Notre pays n'a pas nécessairement vocation, en période budgétaire contrainte, à soutenir financièrement des forces armées et des forces de sécurité étrangères. Cette demande nous paraît d'autant plus étonnante que la France, via le traité d'amitié franco-afghan, continuera de soutenir par ses propres moyens l'Afghanistan. Par ailleurs, si une suite devait être donnée à cette demande, il faut noter que le montant en question annulerait en grande partie les économies réalisées du fait de notre retrait d'Afghanistan.

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