Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 12 février 2013 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Pierre Leleux, sénateur, co-rapporteur :

Tout en se réjouissant de la présente saisine, vos rapporteurs sont parfaitement conscients de la mission redoutable qui leur a été confiée, tant sont nombreux les rapports déjà intervenus sur la diffusion de la culture scientifique et technique (CST).

Pour autant, nous estimons que les enjeux de cette question n'ont jamais été aussi importants, du fait du contexte actuel de crise économique, qui implique un redressement de notre pays fondé sur la connaissance et l'innovation, dans un environnement hautement compétitif.

Par ailleurs, les projets de loi dont le Parlement sera prochainement appelé à débattre – refondation de l'école, acte III de la décentralisation et réforme de l'enseignement supérieur – entraîneront des modifications substantielles dans le jeu des acteurs de la culture scientifique et technique.

Dans la présente étude de faisabilité, nous avons examiné, dans un premier temps, les principes qui sous-tendent les enjeux de cette politique publique et les conditions dans lesquelles celle-ci est mise en oeuvre ; puis, dans un deuxième temps, nous avons tenté de voir pourquoi cette politique publique ne peut pas atteindre pleinement les objectifs qu'elle se fixe.

La difficulté première que nous avons constatée réside dans la multiplicité des définitions de la CST – selon les pays et à l'intérieur de ces derniers – même si, finalement, un socle commun de principes se dégage.

En France, le rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche publié au mois de février 2012 sur le bilan et les perspectives de la culture scientifique et technique, traduit bien la diversité des objectifs poursuivis au fil de l'évolution des tutelles ministérielles intervenant dans le domaine de la CST. L'Inspection générale estime que ces objectifs ne sont pas toujours clairement identifiés ni séparés les uns des autres. On relève notamment : la place centrale de l'égalité des chances, la lutte contre la désaffection à l'égard des études scientifiques ou encore l'alimentation du débat sur les relations entre science, technique et société.

Dans les autres pays, outre le fait que la notion française de CST n'a pas toujours d'équivalent, le contenu des politiques publiques correspondantes est l'objet de débats.

Au Royaume-Uni, le rapport Bodmer publié en 1985 au nom de la Royal Society, considérait qu'une meilleure « compréhension publique de la science » – c'est sous cette dénomination qu'est désigné l'équivalent anglais de la CST – permettrait d'accroître la richesse nationale en améliorant la qualité des décisions publiques et privées. Ce rapport a appelé les scientifiques à apprendre à communiquer avec le public.

En 2000, un rapport de la Chambre des Lords – intitulé Science et Société – a reproché à cette approche de la « compréhension publique de la science » d'imputer les difficultés existant entre la science et la société à l'ignorance du public, et d'assigner aux scientifiques la tâche de combler les lacunes de ce public supposé ignorant, en vue de faciliter l'acceptation sociale des avancées scientifiques et technologiques.

Le rapport de la Chambre des Lords a formulé les principes selon lesquels le dialogue entre la science et le public devrait s'établir pour permettre aux scientifiques de communiquer avec la société et l'opinion publique, en particulier à travers les médias.

L'Allemagne ne s'est penchée qu'en 1999 sur la notion de CST, en créant une institution fédérale chargée du dialogue entre la science et la société (Wissenschaft im Dialog-WiD), à travers le processus appelé PUSH (acronyme anglais pour désigner la « compréhension de la science et des humanités »). Il s'agit pour la société et la science de promouvoir une compréhension commune de leurs attentes et de leurs intérêts. Les scientifiques doivent gagner la confiance et la reconnaissance du public, ainsi qu'obtenir un soutien financier. Car cette compréhension de la science par le public doit permettre d'assurer un financement durable de la science et la compétitivité au plan international.

Le processus PUSH doit aussi contribuer à favoriser par le dialogue avec la société l'acceptation critique de la science et de la recherche.

Mais au-delà de ces particularités linguistiques et culturelles entourant la conception de la CST, il existe en réalité un socle d'objectifs communs.

Parmi ces objectifs, il y a d'abord le souhait de rapprocher les citoyens de la science. Il est en effet crucial de faciliter l'acceptation sociale des nouvelles technologies, surtout dans un pays qui, comme la France, a connu l'échec des débats publics sur les OGM et sur les nanotechnologies.

En second lieu, la culture scientifique et technique est considérée partout – que ce soit dans les vieilles nations industrialisées ou dans les pays émergents – comme un vecteur de leur compétitivité. À cet égard, il est significatif que le rapport Gallois cite expressément la culture scientifique et technique comme l'un des moyens par lesquels la formation des individus pourra s'améliorer et s'adapter aux changements. Elle permettra aussi aux acteurs de retrouver le goût et l'optimisme de la science et de la technique.

Cette compétition entre les États – en particulier entre leurs systèmes éducatifs et universitaires – est renforcée par l'existence de différents classements, dont les plus célèbres sont l'enquête PISA (Programme for International Student Assessment) de l'OCDE et le classement de Shanghai, lesquels ne manquent pas de susciter diverses réactions, comme c'est le cas en Allemagne, où les résultats de l'enquête PISA ont entraîné un choc réformateur.

Comment, et par qui, les principes de la CST sont-ils mis en oeuvre concrètement ? Tant en France que chez nos voisins, on est frappé par la multitude des acteurs.

En France, les acteurs locaux se sont révélés très dynamiques, mettant en place des expériences originales, à commencer par les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI). Le premier d'entre eux a été créé à Grenoble en 1979, fruit de l'action concertée de la municipalité et de chercheurs. L'attribution depuis 2008 d'un label « Science, culture et innovation » a marqué la reconnaissance de l'État envers le rôle fructueux joué par les CCSTI. Délivré par le ministère de la Recherche pour une durée de quatre ans, ce label est un gage de qualité pour les structures qui animent les réseaux de culture scientifique, technique et industrielle de leur territoire, et assurent un rôle de médiateur dans le dialogue entre science et société.

Le dynamisme des acteurs locaux s'est également manifesté dans la régionalisation de certains dispositifs nationaux, comme la Fête de la science, ou encore les dispositifs d'égalité des chances, dont les collectivités territoriales sont devenues des partenaires indispensables.

Les institutions nationales sont de nature variée, comprenant, entre autres, les producteurs de connaissances, ainsi que les institutions intervenant en matière de réflexion publique sur la science. Cette distinction n'est toutefois pas étanche : ainsi, l'Académie des sciences, qui est productrice de connaissances, peut aussi, par certains de ses avis, alimenter la réflexion publique sur la science.

Enfin, en ce qui concerne les médias, certaines personnalités ont critiqué, lors de l'audition du comité de pilotage, la rumeur de disparition de l'émission C'est pas sorcier ou encore insisté sur la nécessité pour les pouvoirs publics d'appeler les médias à leur responsabilité dans la diffusion de la CST.

Il convient aussi de souligner le rôle des nouvelles technologies de l'information et de communication, en particulier le e-Learning qui, par exemple, permet à des étudiants français de se former dans les universités américaines sans quitter la France.

Au Royaume-Uni, le paysage institutionnel est également extrêmement dense, faisant coexister des autorités indépendantes comme les Research Councils – qui financent et coordonnent la recherche publique dans le domaine qui leur est propre – et des associations éducatives, telles que le réseau STEMNET (réseau de science, technologie, ingénierie et mathématique), qui s'appuie sur 27 000 volontaires, appelés ambassadeurs. Leur objectif est de sensibiliser les jeunes à la technologie, à l'ingénierie et aux mathématiques lors des débats publics impliquant ces matières, de manière à les inciter à s'orienter vers elles au moment de choisir leur carrière.

L'Allemagne a mis au point des expériences intéressantes comme les « Universités pour enfants », dont s'est inspiré le programme piloté par l'association « Les Petits Débrouillards-UniverCités ». Ce programme a été éligible aux investissements d'avenir.

Organisées chaque année pendant les vacances d'été ou durant un semestre en cours, les « Universités pour enfants » fonctionnent sur la base d'ateliers auxquels prend part le corps enseignant des universités. Ces ateliers ont pour but de communiquer le goût de la science à des enfants âgés de huit à douze ans, de façon simple, concrète et compréhensible. Organisées par 70 universités, les « Universités pour enfants » remportent un réel succès.

À travers des PCRD (programme cadre de recherche et de développement) – 6 et 7 – et le réseau de centres de science et de musée – Ecsite, l'Europe, quant à elle, apporte une contribution jugée importante par certaines des personnalités que nous avons entendues.

Malgré l'accroissement considérable de l'offre culturelle auquel concourent ces différents dispositifs, la culture scientifique et technique ne parvient toujours pas à être diffusée de façon optimale. Ce constat est source de quatre débats récurrents que nous abordons dans une seconde partie.

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