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M. Pascal Lamy arrive au terme de son second et dernier mandat de directeur général de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Sa brillante carrière nationale et européenne est connue de tous : conseiller technique au cabinet de Jacques Delors, alors ministre de l'économie et des finances, il fut également son directeur de cabinet à la tête de la Commission européenne mais aussi directeur adjoint de cabinet de Pierre Mauroy lorsque ce dernier fut Premier ministre. Il a également collaboré avec Romano Prodi. Ayant été réélu à l'unanimité à la tête de l'OMC en 2009, il fait donc consensus en son sein.
L'OMC concentre cependant de nombreuses critiques, qui visent en réalité la mondialisation – comme si nous n'y étions pas partie prenante ! –, le principe même de libéralisation des échanges commerciaux et, par conséquent, le fait qu'une organisation internationale y soit dédiée et que les États aient accepté de lui céder des prérogatives pour le règlement des litiges alors qu'ils ne sont pas prêts à en faire autant en matière de droits fondamentaux, de normes sociales minimales ou de préservation de l'environnement. Au-delà de ces débats de principe, on peut légitimement s'interroger quant à l'action concrète de l'OMC dans le contexte de blocage des négociations commerciales multilatérales qui est le nôtre. Cette situation a d'ailleurs conduit les États à conclure une multitude d'accords bilatéraux et à mettre en place des organisations régionales. Comment l'OMC perçoit-elle ces évolutions ?
J'interrogerai surtout l'ancien commissaire européen chargé du commerce qu'est Pascal Lamy sur le processus actuel de négociation de libre-échange entre l'Union européenne et les grandes puissances commerciales. Les effets sur l'industrie automobile de l'accord conclu avec la Corée, en vigueur depuis juillet 2011, donnent lieu à des appréciations contradictoires et les négociations en cours avec le Canada, les États-Unis et le Japon suscitent aujourd'hui les mêmes interrogations. Dès lors, le fonctionnement actuel de l'Union européenne – en particulier la compétence accordée à la Commission européenne en matière de négociation commerciale, les États et le Parlement européen n'exerçant qu'un contrôle réduit sur celle-ci – permet-il d'aboutir à des accords équilibrés prenant en compte tous les intérêts légitimes ? L'Europe est-elle suffisamment exigeante en matière de réciprocité des concessions, notamment dans le domaine de l'accès aux marchés publics ?
Quant à l'élargissement de l'OMC à un très grand nombre de pays, s'il relève d'une logique inhérente à toute organisation internationale, il suscite lui aussi des interrogations. Ainsi l'intégration de la Chine à l'OMC en 2001 lui a-t-elle permis d'accroître considérablement ses exportations et ses excédents. Elle a également su utiliser les mécanismes de l'OMC pour obtenir le règlement en sa faveur de litiges avec les États-Unis sur certains produits de l'agriculture et de la pêche. Observe-t-on pour autant de réels progrès dans l'accès aux marchés chinois ? A-t-il été mis fin à certaines pratiques administratives et judiciaires très contestables ? La question se pose également à l'égard d'autres pays émergents tels que la Russie, entrée à l'OMC l'an dernier. L'organisation que vous dirigez dispose-t-elle de moyens suffisants pour imposer une application effective de ses règles à tous ses membres, même lorsque leur système politique, administratif et judiciaire manque d'impartialité ou de transparence ?
Enfin, l'application des règles de l'OMC et de la libéralisation des échanges aux pays les plus pauvres – c'est-à-dire aux pays africains – est critiquée : elle a en effet entraîné la remise en cause d'avantages préférentiels accordés aux pays d'Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) par les pays européens entretenant avec eux des liens historiques. Quelles initiatives avez-vous prises lors du cycle de Doha afin d'éviter que ces pays ne soient laminés par le système commercial international ?