Intervention de Pascal Lamy

Réunion du 27 février 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce :

Ce sont les membres de l'OMC, les mêmes qui sont au FMI, qui ont fixé le ticket d'entrée de la Chine à l'OMC. Il était d'ailleurs beaucoup plus cher que celui d'autres pays en développement. Quant à savoir si le renminbi est surévalué ou sous-évalué, l'observation sur vingt ans du taux de change effectif réel, celui qui compte pour l'échange international, montre que le renminbi s'est apprécié.

Le mandat de Doha ne faisait pas référence aux conventions internationales, ne serait-ce que parce que l'OMC les applique toutes, en vertu de la convention de Vienne sur les traités, selon laquelle un État est lié par tout traité auquel il souscrit. Les organisations, qui sont créées par ces États, le sont donc de la même manière. De ce point de vue, il n'y a pas de problème institutionnel ou juridique.

Les normes privées constituent un sujet gigantesque. Revêtant à nouveau mon costume de producteur kenyan de haricots, je peux vous dire que, si Carrefour, Walmart ou Tesco décident d'avoir une norme de résidus de pesticides supérieure à celle du codex alimentarius, je n'aurai pas d'autre choix que de m'aligner sur cette norme. C'est un problème que les pays en développement posent à l'OMC, de même que les producteurs mondialisés. Ces derniers, qui travaillent en économie d'échelle, ont beaucoup à perdre à devoir respecter des normes variables. Ils font donc pression pour obtenir des normes publiques qui, faute de consensus suffisant aujourd'hui, ne peuvent être fixées. Toutefois, ces gens ayant généralement quelque influence sur leurs gouvernements, il ne faut pas désespérer. Si j'étais moi-même représentant d'un pays en développement, je plaiderais pour des normes publiques encadrant ces normes privées. D'ailleurs, à l'OMC, il y a, de ce point de vue, une différence entre l'accord sur les barrières technico-commerciales et l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires : dans l'un des deux, on considère que les États sont responsables des normes privées qui sont appliquées chez eux, pas dans l'autre. Encore une fois, tout cela n'est pas totalement cohérent.

Le tourisme est, sans aucun doute, un grand secteur de l'économie mondiale qui connaît une expansion extrêmement rapide. L'année dernière, les touristes chinois ont dépensé 85 milliards de dollars, et on peut penser que les deux ou trois milliards de représentants des classes moyennes en potentiel dans les pays en développement bénéficieront aussi à ce secteur.

S'agissant de la TVA sociale, comme la taxe carbone, tout dépend de la façon de faire. Du point de vue de la réglementation de l'OMC, certaines versions sont tout à fait acceptables, d'autres le sont moins.

L'ouverture des échanges au bénéfice du développement fait partie des objectifs du Millénaire. Il est d'ailleurs de ceux qui ont plutôt donné satisfaction, étant entendu que, dans l'ensemble, le score n'est pas mauvais, même si certains objectifs n'ont pas été atteints. Je ne prétends pas du tout que l'ouverture des échanges est la panacée. Évidemment que non ! C'est une condition parmi d'autres. Les faits sont là : les pays qui se sont le mieux et le plus développés depuis cinquante ans sont ceux qui ont ouvert les échanges plus que les autres ; inversement, les pays qui se sont le moins développés sont ceux qui les ont le moins ouvert. Cela ne veut pas dire que l'ouverture seule est la perfection ; il reste un immense espace pour les politiques nationales et pour la microéconomie, car les mailles du filet global sont encore très lâches. Néanmoins, cette option de base de davantage d'ouverture des échanges peut être considérée globalement comme la bonne. C'est ce que l'histoire économique des cinquante dernières années nous enseigne. Cette ouverture ne se déroule évidemment pas encore dans des conditions de concurrence pures et parfaites. Il y a encore beaucoup à faire, et c'est pourquoi il faut porter notre attention sur ce qu'il reste à faire, pas sur un retour en arrière.

La notion de BRICS a été inventée par un employé de Goldman Sachs, qui a fait, ce jour-là, une belle opération de marketing en faisant connaître la banque. Les sommets entre le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Inde et la Russie ont contribué à lui donner du corps politiquement, même si, jusqu'à présent, elle n'a pas produit de réforme fondamentale du système international. D'ailleurs, après les BRICS, voici maintenant les MINT, Mexique-Indonésie-Nigeria-Turquie, qui méritent tout autant de figurer parmi les pays émergents. D'un certain point de vue, ils sont, comme les autres animaux souverains de cette planète : dans certains domaines, leurs intérêts sont alignés, dans d'autres, ils ne le sont pas. Jusqu'à présent, en tout cas, ils n'ont pas réussi à constituer une force politique homogène, par exemple à la table du G 20 où ils sont tous représentés.

L'Algérie négocie son accession à l'OMC depuis 1987. Pour mémoire, la Chine l'a négociée pendant quinze ans et la Russie pendant dix-huit ans. L'Algérie détient maintenant le record. Combien d'années encore ? Je n'ai pas la réponse parce qu'il reste énormément de problèmes à régler.

L'accord sur les marchés publics n'est pas le seul juridiquement contraignant, tous les accords à l'OMC le sont. L'accès des non-Européens au marché européen est régulé en partie par cet accord, les Européens étant allés plus loin unilatéralement dans l'ouverture de leurs marchés publics à des entreprises non européennes. L'accord sur les marchés publics à l'OMC est un accord fermé, c'est-à-dire conclu entre certains de ses membres, par lequel les États-Unis, le Canada, l'Europe et le Japon ont accepté, sur une base de réciprocité stricte, d'ouvrir leurs marchés publics les uns aux autres. Certains États européens sont même allés plus loin, d'où les discussions maintenant à Bruxelles pour revenir à la base de réciprocité de l'accord.

La Chine a pris l'engagement de négocier son accession à l'accord sur les marchés publics, donc d'ouvrir un jour ses marchés publics. Elle n'a pas dit quand. La négociation est en cours. La Chine est le seul pays en développement significatif qui négocie aujourd'hui les termes de son accession. L'enjeu est colossal : 15 % des marchés publics chinois, c'est 150 milliards de dollars par an ! Pour l'instant, la négociation n'est pas terminée. Si, en qualité de directeur général de l'OMC, je dois rester neutre dans mes déclarations publiques, je peux dire ici que je ne serais pas choqué si les Américains, les Européens et les Japonais mettaient un peu plus de vigueur dans cette négociation.

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