Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, l'histoire retiendra que le tout premier texte adopté par ce Parlement, dans cette mandature, portait sur la protection des femmes qui fournissent l'essentiel des bataillons des victimes du harcèlement sexuel.
Nous ne pouvons pas rester indifférents au symbole et celui-ci nous oblige à faire aussi bien, aussi vite, au cours des mois et des années à venir, pour continuer à lutter contre toutes les formes de violence qui sont faites aux femmes.
À mon tour, je dois vous dire mon plaisir de vous retrouver en cette fin de session parlementaire pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire que Mme la rapporteure nous a présentées.
Le Sénat, un peu plus tôt dans l'après-midi, a adopté ces conclusions à l'unanimité.
Le travail que nous sommes en train de conclure est à bien des égards exemplaire.
Il l'est d'abord parce qu'il manifeste brillamment la capacité de nos institutions à répondre à l'urgence. En moins de trois mois, nous aurons réussi à rétablir le délit de harcèlement sexuel, à sécuriser cette incrimination et à réaliser des avancées importantes.
Cette urgence, nous ne l'avions pas choisie. Durant tous nos débats, plusieurs d'entre vous ont fait part de leurs interrogations sur les conditions de cette abrogation, sur sa soudaineté, sur les risques de la question prioritaire de constitutionnalité. J'en retire quant à moi la nécessité d'une exigence renforcée dans notre travail, celui du Gouvernement comme celui du Parlement, et je salue l'initiative de la garde des sceaux concernant l'examen systématique des crimes et délits pour mesurer leur exposition à une QPC.
Je m'associe bien volontiers à ce travail pour ce qui concerne les violences faites aux femmes. Nous devons éviter que cette situation ne se reproduise parce qu'elle engendre, à titre individuel, des souffrances supplémentaires pour les personnes concernées et qu'elle détruit, à titre collectif, la confiance des citoyens en la loi.
Cette réponse en urgence était nécessaire. Nous ne pouvions laisser trop longtemps un vide dans notre droit concernant une situation dont les débats ont montré combien elle était fréquente et à quel point ses conséquences étaient graves, pour les victimes évidemment, mais aussi pour la société tout entière. La publication de la loi mettra fin à cette parenthèse que nous avons voulue la plus courte possible. Mais surtout, c'était une exigence morale. Il n'était pas possible de laisser perdurer cette situation d'impunité.
La loi, nous dit l'article 5 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. C'est précisément ce que nous avons fait.
En votant ce texte chacune à l'unanimité, les deux assemblées ont voulu adresser à la société un message fort auquel le Gouvernement dans son ensemble adhère. Ce message, c'est que le harcèlement sexuel est un fléau, qui tire ses racines d'une culture de la domination masculine et dont les manifestations trop souvent passées sous silence n'en restent pas moins intolérables.
Quelle que soit votre appartenance politique, vous avez dit au cours des débats que le harcèlement sexuel ne pouvait plus rester un bastion de la loi du silence. Cet engagement, vous l'avez manifesté par un principe d'interdiction générale du harcèlement sexuel, désormais inscrit dans le code du travail comme dans celui de la fonction publique.
La tolérance que certains pouvaient encore escompter n'est plus de mise. La loi que vous voterez réprimera ces actes pour ce qu'ils sont : des nuisances individuelles, mais aussi à l'encontre de la société, une société que nous voulons fondée sur la justice, sur le respect et sur l'égalité entre les sexes.
Ce message est donc un acte politique fort pour la société et d'abord pour les victimes, celles du passé et, hélas, celles à venir. Des victimes auxquelles vous avez facilité les demandes de réparation au civil avec l'introduction de l'article 7.
Ce message est tout aussi important pour les juridictions, qui seront, au-delà du texte de la loi, éclairées par des débats politiques qui auront été extrêmement convergents, il faut le saluer.
Exemplaire, ce texte l'est aussi par son mode d'élaboration, par la collaboration à laquelle il a donné lieu entre le Gouvernement et le Parlement. Je tiens à mon tour à vous remercier pour la qualité des débats. Ce n'était pas acquis par avance. Les délais contraints ne nous y aidaient pas. Mais les auditions réalisées au Sénat et les travaux de votre rapporteure, des groupes, des délégations aux droits des femmes des deux assemblées ou encore des commissions, bref ce travail considérable a fourni une somme d'informations qui ont indéniablement enrichi et amélioré le texte.
Christiane Taubira et moi l'avions dit en le présentant au conseil des ministres : nous savions qu'il était susceptible d'évoluer. Nous ne nous étions pas trompées.
Il y a eu quelques débats. On sait par exemple combien importe la précision de la loi pénale. Nous avons eu aussi des échanges sur les principes, je pense en particulier aux champs respectifs de la discrimination et des circonstances aggravantes ou encore à la prise en compte des personnes en situation de vulnérabilité économique et sociale. Mais ce qui est essentiel, c'est que le texte auquel est parvenue la commission mixte paritaire soit exemplaire dans les équilibres qu'il met en place.
Le premier équilibre s'exerce entre la précision juridique, la clarté du texte que nous demandait le Conseil constitutionnel, d'une part, et, d'autre part, la capacité à appréhender le maximum de situations – toutes ces situations dont témoignent les associations : celles des femmes vulnérables en raison de leur précarité, celles des femmes harcelées au quotidien, celles des victimes de formes sournoises de chantage sexuel en un seul acte, celles des abus d'autorité dans le cadre des relations de travail, qui se verront à l'avenir plus durement sanctionnés…
Je pense aussi à ces jeunes femmes à l'université ou dans le cadre sportif ou associatif, dont il a beaucoup été question ici. Le code pénal leur sera bien sûr pleinement applicable, mais nous sommes en outre en train de travailler, avec Geneviève Fioraso et Valérie Fourneyron, à des procédures disciplinaires. Il faut un travail réglementaire qui permette d'appréhender ces champs-là aussi dans la lutte contre le harcèlement.
Ce texte durcit les sanctions donc, en restant cohérent avec l'échelle des peines. C'est un progrès. Il élargit la protection offerte aux stagiaires dans l'entreprise ou alors aux témoins, qui seront protégés autant que les victimes. Nous créons ainsi le cadre pour que les langues se délient, pour que personne n'ait peur de dénoncer les faits, qu'il soit victime ou témoin.
Au total, je pense que ce texte pourra mieux qu'avant répondre à la certitude de la sanction – ce à quoi aspirent les victimes, plus encore que l'ampleur de la peine. Aujourd'hui, elle ne fait plus défaut.
Le deuxième équilibre important, à mon sens, est celui trouvé entre la définition stricte des circonstances aggravantes et l'élargissement des cas dans lesquels les actes de discrimination pourront être réprimés.
C'est une évolution essentielle du texte que la reconnaissance désormais explicite des discriminations faites à raison de l'orientation ou de l'identité sexuelle. Je n'ignore pas les réserves qui ont été exprimées sur cette notion d'identité sexuelle, à laquelle certains préfèrent la notion d'identité de genre. Comme nous l'avons dit, la garde des sceaux et moi, l'identité de genre mérite un débat autrement important, qui embrasse le champ social, professionnel et juridique et auquel il faudra consacrer beaucoup de temps. Cette loi sur le harcèlement sexuel était une première étape dans la reconnaissance de la nécessité de lutter contre la transphobie, malheureusement encore monnaie courante dans notre société. Il faudra revenir sur ces sujets pour que tous les actes de discrimination à l'encontre de personnes transsexuelles ou transgenres soient sanctionnés comme il le faut.
Le troisième point d'équilibre se trouve entre les dispositions prises en matière de répression et tout l'arsenal mis en place en matière de prévention. Là encore, le travail parlementaire a apporté beaucoup d'améliorations. Comme cela a été dit, la loi pénale ne suffit pas : elle doit être accompagnée par des actions de sensibilisation, d'information, de prévention. Elle le sera.
Concernant la sensibilisation, comme je l'ai dit la semaine passée, nous mènerons à l'automne une campagne de sensibilisation qui traitera du harcèlement sexuel à proprement parler.
Je partage les remarques que j'ai entendues sur vos bancs : pour vaincre durablement le harcèlement sexuel, il faut agir beaucoup plus tôt, dès le stade de l'enfance, de l'éducation, de l'école – lutter contre les stéréotypes et représentations sexistes qui condamnent d'avance tous les efforts que nous pourrions faire par ailleurs et dont se nourrissent les violences envers les femmes. Nous avons, avec Vincent Peillon, commencé à travailler sur ce sujet. Je vous tiendrai informés des améliorations que nous apporterons.
Je sensibiliserai également les associations, qui jouent un rôle majeur, cela a été rappelé à de nombreuses reprises ici, pour qu'elles apportent toute l'information nécessaire aux femmes. Car toutes n'y ont pas accès si naturellement. Je pense au réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles ou au dispositif d'accueil téléphonique du 3919 sur les violences.
Enfin, plusieurs mesures sont prévues dans le texte pour mieux prévenir le harcèlement dans le monde du travail : affichage des articles du code pénal sur les lieux de travail, rôle d'alerte des délégués du personnel, rôle de conseil des services de santé au travail, obligation de planification de la prévention en matière de harcèlement sexuel. Ce sont des avancées importantes.
La publication de la loi sera l'occasion de renforcer dans la fonction publique ces actions de prévention et d'actualiser les circulaires pour appeler l'attention sur ce délit particulier. Nous y travaillerons avec Marylise Lebranchu.
J'ai évoqué le cas de l'université. Là encore, le travail sur les procédures disciplinaires s'accompagnera d'un travail de prévention, d'information et de sensibilisation.
Toujours en matière de prévention, il y a aussi des bonnes pratiques qu'il faut faire connaître et partager. Ce sera une des missions de cet Observatoire national sur les violences faites aux femmes que vous avez unanimement appelé de vos voeux et que ce gouvernement mettra en oeuvre très rapidement. Il nous permettra bien sûr de mieux appréhender, de mieux connaître les violences faites aux femmes, mais servira aussi de plateforme d'évaluation des politiques publiques.
Dernier point d'équilibre sur lequel je veux insister : le texte de la commission mixte paritaire retient toutes les avancées apportées par le Parlement concernant l'accompagnement des victimes.
Je pense à l'accompagnement par les associations, que le Sénat a élargi. Je pense aussi à cet article 7 introduit par votre assemblée et qui soulagera les victimes de harcèlement sexuel en permettant que la juridiction pénale demeure compétente pour statuer en matière civile lorsqu'elle aura été saisie avant l'extinction de l'action publique. C'est une disposition éminemment importante.
La garde des sceaux a prévu d'autres mesures qui témoignent de l'attention que les institutions de la République portent au sort des femmes dont les actions pénales ont été interrompues.
Au total, ce texte me paraît parfaitement équilibré. Il répond à une demande pressante, mais peut tenir dans la durée car il est réalisé en toute sécurité juridique, en ayant toujours pour objectif de protéger les victimes. Je vous remercie de votre contribution et j'espère vous retrouver dans le même état d'esprit pour les prochains textes relatifs aux droits des femmes (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP et sur divers bancs du groupe UMP.)