Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 5 février 2013 à 16h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche :

Merci Monsieur le Président et Monsieur le Premier vice-président. Comme Bruno Sido l'a dit, je connais en effet assez bien l'OPECST pour en avoir été membre durant cinq années. Au cours de cette période, j'ai notamment fait un rapport sur la biologie de synthèse qui a été une expérience particulièrement enrichissante.

Dans ce projet de loi, ma volonté est d'aller vers un large consensus. La méthode que nous avons adoptée est celle du dialogue. Le ministère que je dirige a la particularité de voir son budget être exécuté à environ 90 % par des opérateurs extérieurs.

Le second ministère en ce qui concerne la délégation de son budget à des opérateurs extérieurs est la culture, mais il ne délègue que 50 % de son budget.

La loi LRU a marqué la communauté académique ; il faut la réformer. Pourtant, il ne faut pas revenir sur la notion d'autonomie. Cette notion remonte à loin. Depuis la loi Faure de 1968, en passant par la loi Savary de 1984, les différentes lois sur l'enseignement supérieur et la recherche ont renforcé cette belle notion qu'est l'autonomie, il faut qu'elle soit totalement appropriée. Néanmoins, sa mise en oeuvre devait être revue car le dialogue et la confiance devait être rétablis.

Sans vouloir faire de polémique, je pense que le discours du Président Sarkozy de janvier 2008 a laissé chez les chercheurs un goût amer qui s'est traduit par des mouvements importants dans les universités.

Par le biais des Assises, nous avons voulu réengager le dialogue. Certains étaient sceptiques sur la méthode. Néanmoins, plusieurs dizaines de séminaires dans les territoires, l'implication des recteurs, des préfets, des équipes de recherches et de la communauté académique dans son ensemble ont fait la réussite de ces Assises. Elles ont été encadrées au niveau national par un Comité de pilotage indépendant qui a procédé à plus de 110 auditions.

Le Premier ministre a voulu accompagner tout cela d'un regard transverse. Ce fût, également, la mission de Jean-Yves Le Déaut, au titre de l'OPECST et du Parlement.

Il a donc reçu cette mission d'établir les bases du projet de loi ; il a finalement presque réalisé un livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche. Son rapport est la source d'une très grande richesse d'informations et d'analyses.

Le rapporteur national des Assises, Vincent Berger, a su faire une synthèse des 1 300 contributions que le comité de pilotage a reçues et de tout ce qui s'est dit sur le territoire.

De tout cela, je dois faire un projet de loi. La loi ne traitera pas tous les sujets abordés par les Assises et le rapport Le Déaut car la loi ne constitue pas toute la politique de l'enseignement supérieur et de la recherche. En effet, tout ne relève pas de la loi et, par ailleurs, le Président de la République a voulu un projet de loi sobre qui ne puisse pas être retoqué.

Pour la première fois, nous proposons un projet qui regroupe l'enseignement supérieur et la recherche.

Dans un monde en mutation, nous devons nous adapter. Il faut repenser l'économie de la connaissance qui est devenue extrêmement compétitive. Les pays émergents l'ont compris et se lancent massivement dans la compétition. Nous les avons rencontrés et ils veulent massivement investir. Pour eux, c'est un moyen de développement ; pour nous, c'est le levier du redressement de notre pays.

Nous ne sommes pas en avance. Ainsi, moins de 30 % d'une tranche d'âge atteint le niveau bac +3. Le Danemark est à 44 % et nos voisins proches autour de 40 %.

Nous avons une recherche de qualité qui reçoit de nombreuses récompenses et jouit d'une grande reconnaissance internationale. Cependant, deux points faibles ressortent, mis en avant notamment par le rapport de Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut intitulé « L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques » : la recherche technologique et le transfert de technologie.

Notre projet de loi veut remédier aux dysfonctionnements identifiés lors des Assises ; notamment améliorer la réussite des étudiants, sanctuariser la recherche fondamentale en revoyant les obligations de comptes-rendus intermédiaires, qui sont une vraie perte de temps, et qui ne sont pas vraiment adaptés à la notion même de recherche fondamentale.

Nous allons par ailleurs demander à l'ANR de laisser des temps de recherche plus longs qui s'inscrivent dans de grands projets européens à horizon 2020.

La réussite des étudiants sera au centre du projet, notamment en direction de ceux qui échouent le plus en premier cycle : les lauréats d'un baccalauréat professionnel ou technologique (ils représentent désormais la majorité des bacheliers). Naturellement, ces bacheliers devraient se diriger vers les BTS et IUT. En conséquence d'une évolution malheureuse, ils se dirigent par défaut vers l'université alors qu'ils ont sept fois plus de « chances » d'y échouer.

C'est la traduction d'un problème d'orientation qu'on n'a pas voulu ou pu affronter. Les IUT sont devenus des filières très sélectives vues par les étudiants comme une voie d'accès à des études plus longues, et non plus comme des filières courtes à vocation professionnelle.

Les étudiants que j'ai pu rencontrer m'ont notamment dit qu'ils vont dans ces filières car ils sont plus encadrés – c'est plus rassurant à la fois pour eux et leurs parents – mais aussi car les formations et leurs intitulés y sont plus lisibles.

Je souhaite engager une réforme forte pour les bacheliers technologiques et professionnels. Nous devons faire évoluer les filières d'origine des étudiants en IUT et BTS. 10 à 15 % devront être titulaires d'un baccalauréat professionnel ou technologique. Il s'agit là d'une évolution forte mais qui n'est pas à même de dénaturer ou « casser » la qualité de ces formations.

Le premier cycle universitaire est devenu un parcours assez erratique pour une importante part des étudiants. Il dure souvent quatre ou cinq ans. Or, ceci pénalise essentiellement les plus modestes. La réouverture des possibilités au profit des bacheliers professionnels et technologiques vise à répondre à ce problème. Mais nous avons aussi engagé un travail plus large avec Vincent Peillon sur ce que nous appelons le Bac-3 - Bac+3. Ce que nous visons, c'est que les élèves de lycée bénéficient tous d'une présentation de l'université et de ses méthodes pédagogiques par des maîtres de conférences et des professeurs d'université. Cette nouvelle pratique doit aussi permettre de faire intervenir des professionnels non académiques pour mieux présenter le monde professionnel.

Pour le premier cycle universitaire, nous souhaitons mettre en place une spécialisation plus progressive, non pas pour casser les disciplines mais pour favoriser les passerelles et ainsi améliorer la réussite des étudiants.

L'intégration des ESPE (Écoles Supérieures du Professorat et de l'Enseignement) doit aussi être l'occasion d'introduire des innovations pédagogiques, notamment en ce qui concerne le numérique. Mais je tiens à souligner que ce dernier ne devra pas être intégré comme un simple gadget. Les étudiants sont désormais ce que l'on appelle des « digital natives ». En cours, ils vérifient directement en ligne, en temps réel, si ce qui est dit par le professeur est juste. Quand, dans leur rapport, MM. Le Déaut et Birraux ont évalué la perception du risque suivant l'âge, ils ont constaté que les jeunes considèrent comme le risque le plus important celui de voir leur ordinateur piraté. Dans le dialogue que l'on a avec eux, en cours, leur relation au numérique change profondément le lien entre enseignants et étudiants ; cela écrase la hiérarchie. On ne peut plus enseigner de la même façon, il y a des choses à apprendre de ce côté. Il faut revoir notre façon d'apprendre et de dialoguer.

De la même façon, je veux multiplier l'alternance par deux. En Allemagne, plus de 40 % des jeunes sont formés ainsi. En France, ils sont 8 % et seulement 4 % dans les universités. Quand on observe cela de plus près, ce sont surtout les universités des villes nouvelles (Marne-la-vallée...) qui portent l'alternance dans le supérieur ; le poids académique y est sûrement moins fort car elles doivent se tourner vers leur environnement immédiat.

Il nous faut aussi améliorer la visibilité de notre offre de formation. Si on compte uniquement les spécialités de masters, sans compter les masters des écoles, elles sont plus de 7 800 aujourd'hui : est-ce bien sérieux ? Qui peut s'y retrouver ? Personne, ni les étudiants, ni leurs familles, et surtout pas, encore une fois, les plus modestes. Les employeurs n'arrivent plus à identifier les formations et les compétences acquises : comment voulez-vous qu'ils recrutent des jeunes diplômés de l'université ? Ces spécialités, 5 800 pour les masters, seront supprimées. Ça ne veut pas dire que l'on va appauvrir l'offre, car les masters pourront toujours se différencier les uns des autres, mais on rendra ainsi cette formation lisible par tous. Il en est de même pour les licences où l'on dénombre environ 3 300 intitulés. On va diviser ce chiffre par dix. Un certain nombre de ces formations sont le fruit de négociations avec les acteurs économiques locaux qui, par conséquent, les connaissent, notamment parmi les filières dites professionnelles. Nous n'y toucherons pas, car ce travail de simplification se fera toujours en dialogue, jamais de façon péremptoire. Ce sera fait en un an ou deux en appréciant l'offre à la hauteur de la qualité des enseignements dispensés.

Nous voulons avancer sur la reconnaissance des doctorats. Le constat est simple, les entreprises et l'administration ne reconnaissent pas assez les doctorats. Il s'agit d'un combat de longue haleine pour que la haute administration publique reconnaisse cette formation. Les qualités acquises par les doctorants sont pourtant des qualités dont on a besoin, surtout dans des domaines monopolisés par certaines formations, les doctorants se caractérisant souvent par beaucoup de créativité et de transversalité.

Le deuxième grand point de ce projet sera le décloisonnement du paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Si nous voulons assumer la vocation à l'universalité de notre enseignement supérieur et de notre recherche, il faut être plus clair et plus visible à l'international. Cependant, nous sommes face à une accumulation de strates dans lesquelles il est difficile de se retrouver.

Nous voulons donc abattre les barrières entre ces strates mais également entre entreprises et recherche, entre classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et université. L'inscription à l'université sera donc obligatoire en CPGE. Les accusations du risque de destruction du système sont infondées. Nous voulons rapprocher sans uniformiser, nous voulons aussi protéger ceux qui réussissent le moins. Les frais ne seront que de 180 euros pour les non-boursiers, et nuls pour les boursiers.

Nous voulons également décloisonner à l'intérieur même des universités. Il faut les ouvrir aux personnalités extérieures et instaurer la parité. Seulement 8 % des présidents d'université sont des femmes, alors que l'université est la structure qui produit le plus d'études sur la parité. Les personnalités extérieures doivent être des administrateurs à part entière, et devront ainsi participer à l'élection du président. Ils viendront d'organismes de recherche associés, des collectivités locales et du milieu socio-économique, et leurs nominations devront donc être incontestables.

Nous voulons également regrouper, sur la base du volontariat, la multitude des acteurs de l'enseignement supérieur sur un même site sans remettre en cause les statuts particuliers des uns et des autres. Nous voulons laisser de l'autonomie sur ces sujets. Peu importe le moyen : regroupement, fédération, confédération, rattachement… du moment que la structure globale devienne claire et visible.

Le dernier grand point sera la recherche. Elle souffre aussi de la complexité des structures. Elle souffre également d'un manque de lisibilité. Par exemple, le Grenelle de l'environnement a fait émerger 19 pistes de recherche ! Ce n'est pas réaliste pour un pays de la taille de la France.

La recherche française doit devenir plus européenne. Au cours des dernières années, on a vu une baisse de 5 % des lauréats européens ; elle est certainement imputable à la concurrence des appels à projets nationaux.

Nous allons introduire un agenda stratégique de la recherche qui associera l'OPECST très en amont. Cet agenda permettra à la recherche française d'être plus lisible par le grand public. Cet agenda s'appuiera sur les alliances et un conseil stratégique associé au Premier ministre. Ce conseil viendra en remplacement d'au moins deux conseils. L'OPECST viendra, comme je l'ai dit, en amont mais aussi en aval ; il permettra ainsi au Parlement d'assurer sa mission de contrôle.

Nous allons pousser la recherche stratégique avec les instituts Carnot et les CEA tech.

La résorption de la précarité est aussi un point important pour l'avenir de la recherche publique française. Cela ne se fera pas par la loi, car ce problème ne relève pas de son domaine. Néanmoins, le travail est déjà engagé avec 8 000 titularisations programmées pour les années à venir. Nous devons aussi mener une action de fond pour éviter de renouveler cette situation. On doit ainsi limiter à 30 % la quantité de CDD dans les appels d'offre de l'ANR.

Enfin, j'ai été heureuse de lire dans le rapport Gallois qu'il faut sanctuariser l'enseignement supérieur et la recherche et d'entendre le Président de la République, hier, dire qu'il s'engage à sanctuariser le budget durant le quinquennat sur une base sincère et lisible.

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