Intervention de Patrick Calvar

Réunion du 26 février 2013 à 17h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Patrick Calvar :

La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est un service jeune, puisque né en 2008 de la fusion de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il s'agissait d'éviter des doublons : le ministère de l'intérieur comptait deux services de sécurité, ce qui pouvait entraîner des concurrences aux effets négatifs. Il fallait remettre de l'ordre, et aussi réaliser des économies d'échelle par la mutualisation des moyens et la rationalisation de l'emploi des ressources. Il convenait aussi d'éviter toute instrumentalisation par des services étrangers qui pouvaient être tentés de jouer un service contre l'autre. Enfin, la fusion, grâce à laquelle la France disposait d'un service unique du renseignement intérieur, permettait la création d'un pendant naturel à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Le point fort de l'ancienne DCRG était le maillage territorial ; celui de la DST, une forte centralisation au service d'une action dirigée vers la défense des intérêts fondamentaux de la nation.

Au moment de la fusion, priorité a été donnée à la prise en compte des critères sociaux, car on ne fait pas une réforme contre le personnel. Aussi, tous les fonctionnaires qui étaient affectés dans les deux anciennes directions ont été reclassés, et toutes les implantations conservées. Ce n'est qu'un an plus tard qu'a été appliquée la première réforme d'envergure ; elle s'est traduite par la fermeture d'une trentaine de sites.

La DCRI, seul service de sécurité intérieure français, a des missions spécialisées de renseignement, préventif et défensif. La première est le contre-espionnage et la contre-ingérence, pour protéger les intérêts fondamentaux du pays, ce que l'on oublie souvent : nous avons des missions de souveraineté, c'est-à-dire de protection de la nation. De nombreux services étrangers sont particulièrement actifs sur notre territoire, où ils se livrent à des activités qui nuisent considérablement à nos intérêts. Il convient de les combattre avec des armes spécifiques. Nous devons donc disposer de fonctionnaires spécialisés. Cette exigence commande que notre politique du personnel puisse évoluer.

La deuxième mission, essentielle, de la DCRI est la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes : terrorisme islamiste, terrorisme d'État et terrorisme domestique. Il s'agit pour notre service d'une priorité absolue, qui se traduit par une stratégie préventive visant à identifier les réseaux et à les neutraliser par la conjonction du renseignement et du judiciaire.

Une autre de nos missions est la contre-ingérence économique, qui vise à protéger nos savoir-faire, nos emplois et notre recherche. En ce domaine aussi, nous devons bénéficier de compétences et de modes opératoires particuliers pour avoir une efficacité réelle. Les attaques informatiques constituent à mon sens le danger le plus grave, et il ne fera que croître. Nous devons donc nous armer pour le combattre. Dans cette lutte, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a un rôle majeur, mais la DCRI est le seul service de renseignement de sécurité engagé dans ce domaine.

Nous avons aussi pour mission de lutter contre les proliférations. Il s'agit là d'empêcher certains États d'acquérir les matériels et les connaissances qui leur permettraient de fabriquer des engins nucléaires. Nous sommes chargés d'empêcher que des entreprises françaises n'exportent le matériel nécessaire à ces pays pour se doter de capacités nucléaires, balistiques ou chimiques. Nous entretenons à cette fin des relations très étroites avec le monde de l'industrie, et nous avons noué des coopérations internationales fortes.

Nous avons enfin mission de protéger l'État contre la subversion et les extrémismes politiques violents. Il convient, à ce sujet, de distinguer ce qui relève de nos activités et ce qui n'en relève pas : nous ne nous intéressons pas aux individus qui pourraient être tentés de porter atteinte à l'ordre public lors de manifestations démocratiques classiques mais aux groupes extrémistes dont l'objectif est de s'attaquer aux institutions républicaines.

La différence entre la DCRI et d'autres services, c'est que nous avons une quasi-obligation de résultats. Si nous ne les obtenons pas, nous sommes immédiatement montrés du doigt, accusés d'incurie et vilipendés. Nous devons couvrir l'ensemble de nos missions sous la très forte pression de l'opinion publique.

J'y ai fait allusion : notre service a pour particularité d'avoir une compétence judiciaire en matière de terrorisme, d'espionnage, de compromissions et d'attaques informatiques. De cette compétence, nous retirons une grande force : à travers le monde, de nombreux services étrangers acceptent de nous parler parce que nous leur garantissons la confidentialité et le secret des sources. À partir des informations qui nous sont ainsi communiquées, nous pouvons engager des procédures judiciaires qui nous permettront, une fois les preuves réunies, de traduire en justice les auteurs des infractions. Quelques rares autres services européens – au Danemark, en Suède, en Irlande – ont la même compétence.

En matière de lutte contre le terrorisme, nous recevons des renseignements que nous travaillons et qui nous permettent de neutraliser des réseaux et d'empêcher ainsi la commission d'actes terroristes. Pour autant, nous ne sommes pas infaillibles ; nul, dans ce métier, ne peut se prévaloir d'une réussite à tout coup et parfois, les choses ne se passent pas aussi bien que nous aurions pu l'espérer. Mais, depuis 2008, date de la création de la DCRI, et uniquement pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous avons interpellé 272 personnes dont 121 ont été mises en examen, 76 écrouées et 45 placées sous contrôle judiciaire. Cela montre l'étendue du travail réalisé.

Nos activités ont une dimension internationale. Nous entretenons des relations avec 170 services dans le monde, car nous devons chercher le renseignement très en amont. Nous avons un rôle exclusivement défensif. Nous sommes présents dans neuf pays avec lesquels nous avons établi une coopération bilatérale. Par ailleurs, nous poursuivons des coopérations institutionnelles multilatérales au sein de différents clubs et nous participons aux synthèses sécuritaires de l'OTAN et de l'Union européenne. Nous y traitons de thèmes importants sur les plans institutionnel et opérationnel.

Je vous dirai quelques mots de l'organisation et des moyens de la DCRI. Nous avons 88 implantations territoriales. Nos directions zonales sont calquées sur les zones de défense. Nous avons des directions régionales, et nos implantations départementales sont fonction de l'actualité et de nos besoins ; ainsi, dans les Pyrénées-Atlantiques nous sommes installés à Bayonne et à Pau. Nous sommes évidemment présents dans les DOM-COM. Nos structures varient sensiblement selon nos missions et nos besoins.

Beaucoup a été dit sur nos effectifs. Avant la fusion, la DST comptait 1 773 agents et la DCRG, 3 364 fonctionnaires. Lors de la fusion, 3 301 fonctionnaires ont été affectés à la DCRI. Aujourd'hui, notre effectif dépasse légèrement 3 000 fonctionnaires. Le taux d'encadrement à la DCRI est relativement faible par rapport à celui d'autres services.

Nos crédits de fonctionnement s'élèvent à 36 millions d'euros par an, fonds spéciaux compris.

J'en viens aux défis que nous devons relever. Le premier tient au caractère trop policier de notre maison. Appartenir à la police nationale a pour avantage que nous exploitons les informations et les renseignements recueillis par les forces de police et de gendarmerie partout sur le territoire. Mais comment des fonctionnaires de police, dont ce n'est ni la vocation ni la formation, peuvent-ils traiter des questions économiques et financières ? Nous devons ouvrir notre service à d'autres spécialistes. L'enjeu, majeur, implique une révolution culturelle qui devra être nécessairement acceptée par le personnel et négociée avec les syndicats. Nous devons en finir avec un fonctionnement corporatiste ; si nous ne le faisons pas, nous n'atteindrons pas les objectifs qui nous ont été fixés. La DCRI a besoin d'un personnel qualifié qu'elle doit fidéliser, de techniciens rompus aux règles strictes de confidentialité que requièrent les habilitations. L'évolution devra se faire progressivement ; elle est indispensable.

Pour ce qui est des contractuels, parce que nous sommes soumis aux règles de la police nationale, nous ne pouvons, à la différence de la DGSE, recruter qui nous voudrions faute de pouvoir verser les salaires attendus. Mais comment parer les cyber-attaques si nous n'avons pas dans nos rangs les ingénieurs qui nous permettraient de comprendre et d'anticiper les manoeuvres ?

L'autre défi que nous devrons surmonter est l'insécurité juridique dans laquelle nous nous trouvons. En premier lieu, l'époque est à la médiatisation universelle. En démocratie, la transparence est normale, mais qu'elle ait pour effet d'exposer publiquement certains de nos modes opératoires n'est pas sans conséquences, négatives, notamment sur l'évolution de nos relations avec les gens qui acceptent de travailler pour nous.

Un autre défi tient à ce que nous avons affaire à de nouveaux adversaires aux méthodes très inventives, alors que nous en sommes restés à des moyens d'action presque archaïques. Les écoutes téléphoniques n'ont plus aucun intérêt sinon pour localiser celui qui parle, car tout le monde se méfie. D'ailleurs, tout passe désormais par l'Internet ; mais de quels moyens de surveillance de l'Internet disposons-nous ? Un cadre judiciaire permet, fort heureusement, d'importants moyens d'investigation par le piégeage informatique, le piégeage audio à domicile et le piégeage de véhicules, mais aucune de ces techniques n'est autorisée en renseignement. Pourtant, on nous demande de déterminer la dangerosité d'un individu puis de déclencher une action judiciaire pour le neutraliser ; comment sommes-nous censés procéder ?

D'autres grandes démocraties ont tranché : les Britanniques et les Américains ont doté leurs services de renseignements de ces moyens. Bien entendu, l'exercice doit être strictement encadré. Il faut définir les domaines dans lesquels nous pouvons agir ; délivrer des autorisations a priori de manière que personne, dans un service, ne puisse décider seul de ce qu'il peut faire ; définir aussi un contrôle a posteriori pour vérifier si l'action menée a été légitime et conduite dans le cadre légal. Ne pas prévoir un cadre de ce type, c'est se priver de capacités importantes, risquer des dérapages et accepter que la légitimité des services soit systématiquement mise en cause. C'est le point clé de ce que doit être l'évolution d'un service de sécurité intérieure qui ne peut ignorer la contrainte légale dans laquelle il est tenu d'agir.

À la demande du ministre, pour donner suite aux conclusions tirées de l'affaire Merah, nous avons entrepris une réforme. Elle tend d'une part à rapprocher nos services de Paris et de province en créant une structure dédiée, d'autre part, à installer une inspection interne qui a pour tâche d'auditer le service et de se pencher sur les questions de doctrine, de méthode et de sécurité du service lui-même.

Nous faisons aussi en sorte de nous rapprocher de la sous-direction de l'information générale (SDIG). En effet, il y a une nécessité absolue de complémentarité entre nos services. C'est en ce sens que le ministre a tranché, et cela s'est traduit par la création de structures communes, qui nous permettent d'échanger dans le respect des missions de chaque service.

En conclusion, la France a besoin d'un service de sécurité efficace ; elle doit pour cela en définir clairement les missions, les moyens et le contrôle. Nous y sommes prêts, et nous avons tout à gagner au renforcement de la légitimité de notre action. Nous travaillons pour le bien de tous, mais nous devons savoir exactement ce que nous pouvons faire et de quelle manière. J'ai servi très longtemps à la DST, j'ai fait un passage aux Renseignements généraux, j'ai été directeur du renseignement à la DGSE et je dirige maintenant la DCRI. Cette expérience protéiforme me permet de penser que des décisions doivent être prises.

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