Intervention de Vincent Peillon

Séance en hémicycle du 11 mars 2013 à 16h00
Refondation de l'école de la république — Présentation

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

Madame la présidente, madame la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, madame la ministre déléguée chargée de la réussite éducative, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant vous, au nom du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le projet de loi d'orientation et de programmation portant refondation de l'école de la République.

Avant toute chose, permettez-moi de saluer Mme Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre plénipotentiaire de la République fédérale d'Allemagne, chargée des affaires culturelles dans le cadre du Traité de l'Élysée sur la coopération franco-allemande. Après l'avoir reçue ce matin, je veux la remercier chaleureusement d'avoir répondu favorablement à mon invitation à assister à l'ouverture de ce débat. C'est l'occasion pour moi de saluer la réussite d'un pays qui, après le choc provoqué par des résultats décevants au fameux test international PISA mené par l'OCDE, a réussi, au début de la décennie, à mettre en place des réformes ambitieuses qui lui ont permis d'améliorer les résultats de ses élèves. C'est ce que nous devons faire, c'est ce que nous allons faire.

Mesdames et messieurs les députés, à l'évidence, notre pays vit aujourd'hui des moments difficiles. Depuis plusieurs années, nous ne connaissons pratiquement plus la croissance – cela fait cinq ans que la croissance est à zéro –, notre endettement, qui pèse sur les épaules des plus jeunes et obère leur avenir, s'est accru dans des proportions que nous jugeons tous inacceptables, et le chômage n'a cessé de progresser – 25 % des jeunes sont aujourd'hui au chômage dans notre pays. Le redressement de la France doit être, pour nous tous, une volonté commune et sans faille.

Malheureusement, et contrairement à des discours tenus avec une certaine frivolité, nos difficultés ne sont pas seulement conjoncturelles. Elles ne sont pas non plus le seul effet mécanique de causes extérieures indépendantes de notre volonté – une forme moderne de la « providence » des marchés –, elles sont le résultat de nos choix, de nos faiblesses et souvent de nos manquements.

La France est touchée, beaucoup plus fortement que d'autres pays, y compris européens, par une crise de l'avenir. Cette crise, ce pessimisme collectif dans lesquels nous sommes plongés, cette incapacité de renouer avec l'optimisme et la confiance, est aussi, pour la France, une crise de son identité, une vive inquiétude quant à son destin, qui a d'ailleurs donné lieu, ces dernières années, à des débats dont nous nous serions bien passés. Certains se sont inquiétés, récemment, de voir les populismes renaître en Europe. Effectivement, nous n'en sommes pas préservés.

Parce que l'école est la France de demain, si nous voulons être en capacité de surmonter cette crise de l'avenir, il faut redonner à l'école de la République la priorité qui lui a fait tant défaut ces dernières années. Si l'on n'ignore pas ce bien commun qu'est l'histoire de notre République et si l'on se souvient que l'école et la France républicaine ont toujours, depuis la Révolution française, eu partie liée, alors c'est de l'école, de notre rapport au savoir, à la connaissance, à la transmission de valeurs, que nous devons attendre la capacité de surmonter cette crise d'avenir, cette crise d'identité.

Vous pouvez voir derrière moi, installée là par les républicains en 1879, une tapisserie inspirée du célèbre tableau L'École d'Athènes, de Raphaël. Nous nous inscrivons dans cette continuité. Nous avons remplacé Louis-Philippe par l'école d'Athènes, parce que la démocratie et la raison ont partie liée au sein même de cette assemblée. Lorsqu'on regarde l'histoire si tragique du xxe siècle, on se rend compte que, dans les moments les plus difficiles de cette histoire, de l'affaire Dreyfus au Conseil National de la Résistance, dont nous célébrerons les soixante-dix ans cette année, c'est toujours grâce à l'école, à une certaine exigence intellectuelle, morale et politique, que la France a été capable de donner son coeur et de construire son redressement.

Les mêmes défis sont devant nous depuis des années : le défi de la croissance, celui de la compétitivité, celui de l'emploi, celui de la cohésion sociale et territoriale de notre pays, et celui de la justice. Aucun de ces défis ne pourra être relevé avec succès si nous ne sommes pas capables de redonner à notre école la fierté et l'efficacité qui furent les siennes au cours de notre histoire, lorsqu'elle a assuré les plus belles réussites de notre nation.

C'est pourquoi notre projet est bien de refonder l'école de la République et de refonder la République par l'école. C'est pourquoi notre ambition collective doit être de passer un nouveau contrat entre l'école et la nation.

Mesdames et messieurs les députés, je veux tout d'abord vous dire que, contrairement à ce que j'entends, l'exercice auquel nous sommes collectivement conviés est d'abord un exercice d'humilité et de reconnaissance. L'histoire nous a appris que ceux qui prétendent construire à partir de rien, faire fi des enseignements du passé, que ce soit pour créer des sociétés nouvelles ou des hommes nouveaux, provoquent en réalité de grandes tragédies. Notre démarche, que nous assumons pleinement, consiste, à l'inverse, dans la connaissance de notre tradition, l'inscription dans cette tradition et la reconnaissance à son égard.

C'est une certaine idée de la France, s'inspirant non pas d'une conception ethnographique, mais d'une conception qui a su faire de la France, « soldat du droit et de la liberté », la nation des droits de l'homme, le seul catéchisme républicain, portant dans le monde une certaine idée de l'universalité du genre humain, que nous retrouvons en chacun de nos enfants, chacun de nos élèves, dans l'école de la République.

C'est une certaine idée de la France, et c'est une certaine idée de la République, qui fait de la liberté individuelle le fondement et le but imprescriptible de toute association politique, ne séparant jamais l'exigence intellectuelle, qui doit permettre à chacun de construire son jugement, de l'exigence morale, qui doit permettre de se donner à soi-même la règle et d'accéder à la démocratie politique, ce moment où le souverain se rassemble pour dépasser les intérêts particuliers et construire l'intérêt général. De tous les régimes politiques, la République est celui qui s'enorgueillit de s'appuyer sur la raison et sur les Lumières. C'est pourquoi la République, qui a besoin de républicains, a toujours confié à l'école la tâche essentielle de pérenniser son modèle démocratique et social.

C'est aussi, bien entendu, une certaine idée de l'école, qui doit produire un citoyen actif, éclairé, membre du souverain, une école qui doit aussi et surtout, aujourd'hui, produire un professionnel compétent, mais aussi permettre à chacun de conquérir la liberté de son jugement, de s'arracher à toutes les servitudes, de s'affranchir de toutes les oppressions, d'avoir accès au meilleur des oeuvres de la culture, quel que soit son milieu d'origine, une idée de l'école de la République qui fait vivre un idéal de dignité pour chaque personne, à égalité de droits et de devoirs.

Notre école, l'école de la République, porte une très grande tradition. Vouloir la refonder, c'est la connaître et c'est la reconnaître. En ce sens, c'est d'abord pour nous un exercice d'humilité. Nous devons de la reconnaissance, bien sûr, à toutes les grandes figures héroïques et célèbres de notre histoire – le long cortège des hommes fiers, comme disait Régis Debray – qui nous ont précédés dans notre histoire séculaire, mais aussi aux millions de héros anonymes et modestes qui ont su maintenir, à travers les vicissitudes souvent tragiques de notre histoire, à la fois l'inspiration, l'exigence et l'idéal.

En rendant cet hommage, je rends également hommage à l'ensemble des enseignants qui, au quotidien, depuis maintenant un siècle et demi, font vivre l'idéal de l'école républicaine, démocratique, laïque, et font en sorte que chaque enfant de France puisse avoir accès au meilleur de notre culture.

C'est à cette source-là qu'il nous faut puiser à nouveau, non pas pour nous complaire dans je ne sais quelle nostalgie, non pas pour répéter une histoire qui, nous le savons, ne se répète jamais à l'identique, mais pour être à la hauteur de notre tâche, dont l'école de la République a dit sans cesse qu'elle était une tâche infinie, parce qu'elle récuse à la fois le dogmatisme de ceux qui prétendent posséder la vérité, mais aussi le scepticisme de ceux qui renoncent à la chercher.

Cette tradition n'appartient à personne parce qu'elle appartient à tous, sur l'ensemble des bancs de cette assemblée. C'est pourquoi il me semble nécessaire d'être capable, autour de notre école, à la fois de nous dépasser – c'est bien l'idée de la refondation républicaine – et de nous rassembler. L'école peut, et elle doit, rassembler les Français. C'est son enseignement premier de respecter le point de vue de l'autre, de s'en enrichir et de construire, alors que l'erreur et le mensonge divisent, une vérité qui puisse rassembler toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté. Les professeurs de nos écoles enseignent aux enfants ces principes issus de la grande tradition de la psychologie française. Le petit enfant est d'abord égocentrique, il se croit le centre du monde – un peu comme le croyait le chien de M. Bergeret chez Anatole France. Tout le processus de développement de l'enfant est un processus de décentration. C'est d'ailleurs ce qui fait la vertu du débat démocratique.

Bien entendu, je n'ignore pas que ce n'est pas la même chose de supprimer 80 000 postes ou d'en créer 60 000, de supprimer la formation des professeurs ou de la rétablir (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC), de passer brutalement à la semaine de quatre jours ou de chercher à redonner du temps aux élèves pour apprendre. Mais, malgré cela, de la loi Jospin à la loi Fillon, il y a dans notre République une inspiration qui se poursuit et se reprend. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et chacun sait, moi le premier, que les difficultés de nos élèves ne datent pas seulement de ces dernières années – le grand historien Antoine Prost le rappelait récemment. C'est pourquoi, contrairement à d'autres, quand une orientation est bonne, j'ai la capacité de la saluer et de la poursuivre.

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