Intervention de Philippe Duron

Réunion du 31 juillet 2012 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron :

Monsieur le président, mes chers collègues, c'est un honneur pour moi d'être pressenti à la présidence de l'AFITF et de me trouver devant votre commission pour cette audition qui s'inscrit dans le droit fil de la révision constitutionnelle de 2008. En effet, l'AFITF fait partie des établissements publics de l'État pour lesquels la nomination des dirigeants requiert l'approbation des assemblées parlementaires avant d'être décrétée en Conseil des ministres.

Si le Président de la République a proposé ma candidature, c'est d'abord parce que je suis parlementaire, comme avant moi les deux précédents présidents – MM. Gérard Longuet et Dominique Perben. Mais cette qualité ne saurait suffire, et bien d'autres auraient mérité d'être distingués.

Comme député, je porte une attention particulière aux questions de transports et de mobilité. Alors que j'étais rapporteur pour l'Assemblée nationale de la loi d'orientation du 25 juin 1999 pour l'aménagement et le développement durable du territoire, j'avais mesuré le retard de notre pays en matière d'infrastructures de transports, retard que l'on ne saurait combler simplement en reconnaissant un droit à la mobilité pour tous ou en militant pour le report modal.

Le sénateur Jacques Oudin et moi avons créé l'association TDIE – Transport Développement Intermodalité Environnement – qui milite en faveur d'infrastructures financées, programmées, acceptables pour nos concitoyens et compatibles avec les exigences du développement durable. Nous étions animés de la conviction qu'il n'y aurait pas de politique des transports sans un financement pérenne, régulier et sanctuarisé. C'est pourquoi nous avons plaidé pour l'affectation d'une recette dédiée à une structure spécifique chargée de la bonne allocation des ressources.

Le Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) de décembre 2003, qui a dressé la liste des infrastructures nécessaires au pays à l'horizon 2020, a prévu la création d'une agence – l'AFITF – assise sur la recette robuste et croissante que sont les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA). Cette structure a donné sa crédibilité à ce qui aurait pu demeurer un catalogue prospectif. Le décret de création a été publié en décembre 2004, et c'est à cette occasion que j'ai été nommé au conseil d'administration de l'AFITF. J'y siège sans interruption depuis cette date.

Au sein de l'agence, l'expérience des élus locaux est précieuse. Présider la région Basse-Normandie, entre 2004 et 2008, m'a familiarisé avec les questions ferroviaires. Aujourd'hui président de l'agglomération caennaise, je travaille régulièrement sur les questions de transport en commun en site propre (TCSP). Dans les collectivités territoriales, chacun est conscient de la nécessité de doter le pays d'infrastructures de transport adaptées et efficaces, qui concourent à l'accessibilité et à la compétitivité des territoires. Si certains experts estiment que la France dispose de réseaux denses, de qualité et suffisants, les élus de terrain que nous sommes savons que beaucoup reste faire pour donner à chacun une solution de mobilité équitable : c'est aussi vrai dans les territoires densément peuplés, telle l'Ile-de-France, que dans les régions périphériques et les territoires ruraux.

La société prend conscience de l'impact des externalités liées au transport : le bruit, les pollutions diverses parmi lesquelles les gaz à effet de serre, l'accidentologie ou encore le coût de la congestion. Ce constat nous amène à refonder les politiques menées depuis plusieurs décennies. Le puissant écho suscité par le Grenelle de l'environnement a convaincu le pays de l'importance des enjeux. Toutefois, le contexte économique, financier et budgétaire nous oblige à mettre en cohérence les objectifs et les contraintes. C'est ce à quoi nous invitent le ministre délégué aux transports, quand il affirme devant cette commission qu'il faut « mettre de l'ordre dans le schéma national des infrastructures de transport (SNIT) », et le rapport récent du Cercle des transports intitulé Transports et dette publique.

L'AFITF constitue un outil et une garantie ; elle est au service de cette ambition politique de notre temps. C'est aussi une agora propice à l'échange d'expertises, qui doit permettre de mieux prendre en compte les contraintes engendrées par la crise. Gage de la continuité des investissements dans les infrastructures de transport, elle a ainsi mis fin aux à-coups qui caractérisaient l'engagement des crédits d'équipement. L'expérience accumulée dans la sélection des projets me semble plus que jamais indispensable dans le contexte de resserrement budgétaire. Enfin, l'AFITF est le lieu unifié de programmation de l'effort national : à une époque où les grandes infrastructures appellent des financements croisés et une participation importante des collectivités territoriales, elle offre un forum de négociation et de codécision entre l'État central et les élus locaux – issus de conseils généraux, régionaux ou d'agglomération.

Entre sa création fin 2004 et la clôture de l'exercice 2011, l'Agence a rempli la mission qui lui a été confiée. Elle a octroyé 27,7 milliards d'euros d'autorisations d'engagement ; elle a versé 13,5 milliards de crédits de paiement aux maîtres d'ouvrage. Elle a aussi joué pleinement son rôle en faveur du report modal : il avait été prévu, en effet, que les ressources venant de la route seraient redistribuées à 70 % aux autres modes de transport. Sur 27,7 milliards engagés, 6 sont ainsi destinés aux infrastructures routières et plus de 20 aux autres équipements. L'AFITF a donc permis une mise en oeuvre des politiques publiques proposées par les gouvernements et votées par les majorités parlementaires qui se sont succédé depuis sa création.

Si l'Agence offre une garantie de bonne fin pour les projets engagés par l'État et dont le financement lui incombe, elle n'est pas exempte de tout reproche. La Cour des comptes en a exposé pléthore, allant même jusqu'à recommander sa suppression. Si certaines critiques sont fondées, je crois qu'il faut en pondérer la portée. Depuis sa création, l'AFITF a évolué dans ses missions comme dans ses moyens. Elle s'est vu confier le financement de politiques qui n'avaient pas été prévues lors du CIADT de 2003 : le financement des contrats de plan et de projet, celui des programmes de développement et de modernisation des itinéraires routiers (PDMI), la mise en oeuvre des décisions du Grenelle de l'environnement. Ses ressources ont également connu des modifications : la privatisation des SEMCA par le Gouvernement de M. de Villepin, qui a privé l'agence d'une ressource dynamique et de long terme, ne fut pas la mesure la plus opportune – même si le ministre de l'équipement de l'époque, Dominique Perben, avait obtenu 4 milliards d'euros sur les recettes de privatisation. La création de l'écotaxe, plus connue sous le nom de taxe kilométrique sur les poids lourds, a subi des retards qui ont entraîné le versement d'une subvention budgétaire.

Quant à écrire, dans son audit de juillet 2012, que l'AFITF « souscrit des engagements massifs, sans aucun contrôle dans la sélection des investissements et en dehors de la discipline budgétaire », c'est aller trop loin. L'Agence agit sous une tutelle étroite du Gouvernement et de l'administration. Chaque grand projet financé découle directement de la loi de programmation du Grenelle de l'environnement du 3 août 2009, que l'Assemblée nationale a voté à la quasi-unanimité. Et le conseil d'administration veille à obtenir, du maître d'ouvrage ou de l'administration, les indicateurs de rentabilité de chaque projet.

En ce qui concerne les « restes à payer », ils ont pâti, en 2011 et 2012, du lancement de chantiers importants dont le coût s'étalera dans le temps : deux lignes à grande vitesse – Sud-Europe Atlantique et Bretagne-Pays de la Loire – ainsi que le contournement de Nîmes-Montpellier. En outre, ils ont été amplifiés par la nécessité d'engager d'avance l'ensemble des frais de collecte de l'écotaxe poids lourds sur une douzaine d'années, alors que cette recette nouvelle de l'Agence reste à percevoir. Vous l'aurez compris, je ne fais pas mienne la recommandation de la Cour des comptes de réserver à l'AFITF un sort funeste.

L'Agence peut et doit faire l'objet d'améliorations. Sur ce point, les ministres des transports successifs n'ont pas tiré tout le parti possible du rapport Gressier. Si vous m'accordez votre confiance, je soumettrai au Gouvernement des propositions pour renforcer de la gouvernance de l'Agence : il faut faire entrer ès qualités au conseil d'administration un représentant de l'Association des régions de France (ARF) et de l'Assemblée des départements de France (ADF), qui sont des financeurs importants. Je souhaite aussi davantage de transparence pour le Parlement et de l'opinion publique. Enfin, il conviendra d'améliorer l'expertise financière et technique de l'Agence, et de s'assurer de ressources nouvelles pour ne plus dépendre de subventions budgétaires.

Soyez assurés, mesdames et messieurs les députés, que je suis un défenseur de l'AFITF. Je suis convaincu de la nécessité de poursuivre, de manière intelligente et ambitieuse, une politique de transport et de mobilité au service du pays, de nos territoires et de nos concitoyens.

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