Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, les chiffres que l'on nous assène sur l'école tombent comme des couperets sur l'éducation nationale, ce grand corps malade, bien que puissant ; fragile, bien que porté et soutenu par tous les Français ; anémié à certains égards, bien qu'animé par des talents multiples, des envies encore vivaces ; autocentré, bien qu'au contact de toutes les réalités, de tous les acteurs et de toutes les conditions.
Je ne reprendrai donc aucun de ces chiffres désormais bien connus, mais qui n'apprennent rien depuis trop longtemps, si ce n'est à ressasser des poncifs.
Je ne m'en servirai pas non plus pour désigner, au gré des besoins, quelques boucs émissaires aux affaires ces dernières années, ou pour m'inscrire dans des perspectives si éloignées qu'elles font disparaître dans les limbes toute idée de responsabilité.
« Il y a toujours une question scolaire. (...) C'est de savoir si notre démocratie réussira à faire, par l'éducation, la France de demain plus forte, plus grande, plus juste, plus humaine que ne fut celle d'hier. Ce n'est plus une question politique, c'est la première des questions sociales » : c'est Ferdinand Buisson qui soulève cette question en 1910.
Vous conviendrez avec moi de l'étrange et inquiétante modernité de ce propos, et j'espère que vous en déduirez, comme moi, la nécessité de la plus haute exigence en même temps que de la plus grande humilité, tout élan de vanité en ce domaine étant inéluctablement promis au miroir inversé de l'histoire.
L'école est d'abord une mission, avant d'être un projet politique, car c'est bien de cela dont on parle quand on évoque l'école de la République.
Toute école digne de ce nom est porteuse d'une mission : celle de transmettre les savoirs construits par les hommes précédents aux générations naissantes et de rendre celles-ci capables de continuer le travail. Elle assure la continuité de l'esprit, la permanence de la connaissance, la pérennité de l'histoire comme histoire commune du savoir et de la liberté. Son noyau fondamental est là : la liberté par le savoir, le savoir par la liberté. L'idée d'une refondation ne saurait se penser en dehors de cet équilibre.
Mais l'école de la République représente bien plus que cela. Mythe ou réalité, la force de notre pays repose sur une idée fondatrice, une espérance inspirée du rationalisme des Lumières, un élan collectif qui fait de la République une promesse à renouveler sans cesse : l'exigence permanente que la transmission du savoir intègre l'idée de liberté et d'égalité. L'école de la République a répondu à son propre appel parce qu'elle était sans doute une école républicaine.
Il existe une génétique française particulière, qui aboutit à ce que les maux qui affectent l'une atteignent l'autre. Au fond, cette école, qui est le creuset de tous les terreaux, des plus fertiles aux plus stériles, parfois aux plus dangereux, tous ces terreaux du futur, constitue le laboratoire des métamorphoses qui transforment profondément notre société.
Il est donc imprudent de répondre à la crise de l'école en ne portant pas son regard plus loin, notamment sur ce qui aujourd'hui traduit une certaine idée de l'individu et du collectif – tout spécialement lorsqu'on se pique de refonder l'école.
Je suis particulièrement frappé que le rapport annexé au projet de loi, dont je ne parviens toujours pas à saisir la nature juridique exacte – document longuement débattu en commission au même titre que les articles de loi et pourtant sans caractère normatif – fasse l'impasse sur ces transformations profondes : fragilisation des structures familiales et des relations intergénérationnelles, importance croissante des dispositifs périscolaires, règne du consumérisme, de l'hyper individualisme et du zapping en tous genres.
Vous le voyez, monsieur le ministre, d'emblée s'insinue un doute quant à la viabilité de votre démarche au regard de la mission fondamentale et première de l'école, de l'histoire de l'école de la République, de l'ambition refondatrice que vous affichez et du contexte dans laquelle vous la portez.
Par ailleurs, ce projet de loi pléthorique est en même temps volontairement indéfini et paradoxalement lacunaire, ce qui rend bien délicate la compréhension de votre dessein refondateur.
Malgré le caractère perlé de ce texte aux contours improbables et au contenu parfois brumeux, telle une série de coquilles vides enfilées sur un collier, je crois pouvoir identifier deux priorités : l'une de cycle, l'école primaire, l'autre de méthode, la pédagogie. Je vous accorde bien volontiers que l'une et l'autre ne manquent pas de pertinence.
Voilà donc a priori les bases de la refondation. Nous nous en faisons une tout autre idée pour ce qui nous concerne, et mon excellent collègue Philippe Gomes aura l'occasion de vous l'expliquer dans quelques minutes dans le cadre de cette discussion générale.
Pour ce qui concerne l'école primaire, vous avez raison de considérer que la force d'un pays ne se résume pas à une petite élite ultra-formée, et que la puissance d'une chaîne dépend de son maillon le plus faible, c'est-à-dire aujourd'hui la jeunesse. Vous avez raison parce que l'avenir d'un individu se construit ou s'hypothèque dès le plus jeune âge, et le décrochage s'enclenche souvent dès l'école primaire, pour se révéler ensuite au collège.
Mais de bonnes intentions ne suffisent pas. Encore faut-il savoir à quoi elles correspondent, comment les organiser et comment les articuler. À cet égard, je regrette que vous ayez passé sous silence le triptyque qui prévalait jusque-là pour le primaire : il contenait tout d'abord des contenus d'enseignements fondamentaux clairement identifiés, puis un dispositif d'aide individualisée systématique pour tout élève en difficulté, et enfin un dispositif d'évaluation.
De ces trois piliers, vous ne dites rien dans ce projet de loi, pourtant fort bavard sur les belles et grandes déclarations d'intentions et de bons sentiments, que vous avez toutefois eu la sagesse d'alléger un peu en supprimant l'article 3.
Nous sommes plus inquiets encore d'apprendre que, tout en augmentant le nombre de professeurs des écoles, vous réduisez leur temps de service de 27 à 26 heures par semaine, ce qui aura inéluctablement des conséquences sur le suivi personnalisé.
Concernant l'évaluation, dont un rapport très récent de l'Inspection générale de l'éducation nationale nous révèle des résultats encourageants en fin de CE1 et de CM1, vous avez décidé de la cloîtrer derrière les murs de chaque établissement. Autrement dit, ce qui devait représenter pour l'école primaire un grand soir républicain ressemble plutôt à un leurre.
Quant au fait que cette réforme serait la première à se fonder sur la seule exigence du projet pédagogique, je crains là encore que les mots n'aillent très au-delà des engagements concrets inscrits dans le projet de loi.
Je ne citerai que deux exemples. Tout d'abord, l'absence totale de référence à ce que l'on attend d'un enfant en termes de savoirs dès l'école primaire : rien de précis, là même où vous semblez polariser l'essentiel de vos efforts. Ensuite, la disparition de facto du socle, que vous ornez de culture, mais que vous dépouillez de son contenu.
Ce projet de loi dégrade en effet le contenu du socle en le renvoyant à la compétence complémentaire, ce qui revient par là même à déposséder le Parlement d'un sujet profondément et intimement attaché à l'idée d'école républicaine, qui vous tient apparemment tant à coeur. Et je ne parlerai pas du baccalauréat, dont on ne connaît toujours pas au fond la véritable vocation, ni les missions pédagogiques réelles.
Nous sommes donc à peu près sûrs que ce projet de loi ne porte pas une refondation de l'école, parce qu'il ne suffit pas d'afficher une volonté très largement partagée, si l'on n'a pas l'idée, la volonté ou le courage du « comment », notamment en parlant clairement des savoirs et des pédagogies à diffuser et à mettre en oeuvre.
Pour autant, nous ne mésestimons pas certaines améliorations introduites par ce texte, et nous contribuerons à l'amélioration du projet qui nous est présenté, si bien entendu il nous est donné l'occasion de le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)