Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, triste coïncidence, ce projet de loi concernant la transition énergétique intervient le 11 mars, c'est-à-dire deux ans jour pour jour après le début de la catastrophe de Fukushima. Je dis : après le début de la catastrophe de Fukushima, parce que cette catastrophe est loin d'être terminée aujourd'hui.
Je voudrais ce soir, au moment où nous abordons ce débat, avoir une pensée pour les habitants de Fukushima. J'y suis allé il y a un an ; je garde en mémoire le regard de ces parents angoissés par la situation de leurs enfants, par la présence de ce poison invisible partout, dans l'eau, dans l'air, dans la nourriture, dans les sols, angoissés pour l'avenir de leurs enfants, s'inquiétant de leur capacité à avoir des enfants plus tard, angoissés de savoir que leurs enfants, tous les jours, vont à l'école avec un dosimètre. Il y a désormais au Japon un territoire grand comme la Belgique qui est inhabitable.
J'invite tous ceux qui pensent que le nucléaire peut être une énergie sûre et qui l'ont réaffirmé encore aujourd'hui, à rencontrer la population à Fukushima, pour se rendre compte de ce que sont les conséquence d'un accident nucléaire majeur. Après, nous rediscuterons de la possibilité ou non de maîtriser le risque nucléaire. Je le dis aussi parce que je pense qu'à ce jour, la France n'a pas encore pris la mesure de ce que sont l'accident de Fukushima et ses conséquences. C'est ce que disent aussi bien l'Autorité de sûreté nucléaire que l'Institut de radioprotection : il nous faudra longtemps avant de prendre la mesure de ce qu'il s'est passé.
Prenons un peu la mesure de ce que disent les experts de la question.
L'ancien directeur de l'agence belge de sûreté nucléaire, M. de Roovere, à Noël dernier : « Nous devons nous demander si le risque nucléaire est encore acceptable. En toute honnêteté, si je considère ce risque, je choisirais d'autres formes d'énergie. »
Naoto Kan, ancien Premier ministre japonais, en poste lors de l'accident de Fukushima : : « Ayant traversé le désastre nucléaire du 11 mars, j'ai changé ma manière de voir les choses. J'en suis arrivé à la déduction que le moyen le plus sûr de construire une société ne doit pas inclure de sites de production nucléaire, et cette option est parfaitement réalisable. »
Je citerai également M. Repussard, responsable de l'IRSN, en avril 2011 : « Sur le parc mondial, 14 000 années-réacteur sont déjà passées, et les statistiques montrent qu'on est à vingt fois plus d'accidents qu'attendu selon les études probabilistes… Le nucléaire fait jeu égal avec l'industrie chimique. C'est insuffisant. On peut donc se poser la question : l'homme est-il en mesure de maîtriser cette technologie ? Y a-t-il une barrière ? Ce serait une conclusion inquiétante, car cela signifierait qu'avec 1 000 réacteurs installés, un accident nucléaire grave se produirait en moyenne tous les dix ans, ce qui n'est pas supportable ».
André-Claude Lacoste, ancien président de l'Autorité de sûreté nucléaire française, au lendemain de Fukushima, déclarait : « Personne ne pourra jamais garantir qu'il n'y aura pas d'accident nucléaire en France ».
Cela a d'ailleurs amené M. Repussard, responsable de l'IRSN, à expliquer il y a quelques jours, dans Le Monde, que nous devrions changer de paradigme en matière de sûreté nucléaire en France. Changer de paradigme : cela en dit long sur l'ampleur des enseignements que nous devrions tirer de cette catastrophe. De notre point de vue, changer de paradigme en matière de sûreté nucléaire, c'est s'engager vers la sortie du nucléaire.