Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 31 juillet 2012 à 16h30
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt :

J'aimerais, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, fixer le cadre dans lequel va s'inscrire notre politique agricole. La réforme de la PAC est en cours depuis plus d'un an et demi. Elle vise à modifier la distribution des aides – notamment dans le premier pilier avec un objectif, majeur, de convergence autour d'une aide de base –, à verdir les aides – c'est-à-dire à enclencher un processus de durabilité dans l'agriculture européenne – et à poser la question du maintien du couplage des aides, auquel nous sommes très attachés.

Nous serons très vigilants au sujet de l'élevage ; il s'agit d'un thème important du fait de la différence actuelle des prix relatifs entre l'élevage et les céréales, laquelle induit, chez certains agriculteurs de régions traditionnelles d'élevage, un changement de nature de production. Cette situation est porteuse de risques pour l'avenir de la polyculture dans notre pays qui est une source de valeur ajoutée et d'emploi. Dans cette négociation, la France s'est fixé un certain nombre de principes et d'objectifs à atteindre.

Le premier concerne la convergence des aides à l'échelle européenne. Un débat existe sur le rythme de la convergence à opérer entre les aides données aux anciens États membres de l'Union européenne et celles accordées aux nouveaux. Certains, au sein de l'UE, souhaiteraient accélérer ce mouvement, ce qui alourdirait le coût pour notre pays. Je serai, sur ce sujet, extrêmement ferme. La proposition de la Commission européenne fait payer cette convergence par l'Allemagne et la France : nous en resterons à cette démarche et non pas à celle qui induirait une contribution plus élevée de la France par rapport à l'Allemagne au motif que nous sommes un grand pays agricole disposant d'une vaste superficie utile.

Le deuxième point a trait au problème de convergence qui existe à l'intérieur de chaque pays et qui se pose de manière plus aiguë pour ceux qui sortent des références historiques. En France, nous gérions des droits à paiement unique, les DPU, alors que le nouveau système reposera sur une aide de base, couplée au verdissement. Ce changement est majeur car il entraîne, selon les propositions de la Commission européenne, des transferts de DPU qui peuvent être importants selon les régions et les productions. L'objectif est d'aboutir à une aide de base qui serait la même partout – y compris à l'échelle de l'Union européenne – et pour toutes les activités. Certains pays, comme l'Allemagne, ont réalisé la convergence et la régionalisation de leurs aides dès 2003. D'autres, comme le nôtre, doivent sortir du mécanisme des références historiques pour opérer cette convergence. Une discussion fondamentale doit donc avoir lieu avec nos partenaires européens car la France possède une diversité agricole – là réside sa force mais également une partie des difficultés qu'elle doit affronter – qui interdit le raisonnement fondé sur des taux moyens à appliquer à chacun. L'accepter remettrait en cause certaines productions et certains agriculteurs.

Depuis ma nomination, j'ai souvent eu l'occasion de dire à mes collègues européens que la France est constituée de quatre grands bassins agricoles : un grand Ouest de polyculture d'élevage et de production laitière ; un grand Massif central qui concentre l'activité allaitante – 45 % des vaches allaitantes en Europe vivent sur notre territoire, ce qui est un facteur de puissance mais qui constitue également une spécificité ; les grandes zones céréalières et un grand Bassin méditerranéen auquel s'ajoutent les moyennes et hautes montagnes, qui sont propres à notre pays et dont nous devons tenir compte.

Au sujet de la convergence, un arbitrage devra donc être rendu pour le territoire français. Au-delà des résultats que nous pourrons obtenir à l'issue de la négociation, ma préoccupation est de concilier l'exigence de la convergence et la redistribution des aides qu'elle induit avec le maintien de la diversité des productions, notamment celle, à laquelle je suis très attaché, de la polyculture d'élevage. Sur ce sujet, je reste particulièrement vigilant, car la proposition actuelle formulée par la Commission européenne entraînerait une diminution des aides, qui dépasserait cent euros par hectare pour la polyculture d'élevage et la production laitière.

Nous avons donc besoin d'élaborer une position qui nous permette de préserver notre diversité agricole. Si je ne suis pas opposé au principe de convergence des aides, cette dernière ne doit pas être totale. L'idée d'un taux de base unique pour les aides risquerait de conduire à une spécialisation des productions à l'échelle de l'Union européenne, qui verrait la France développer très fortement sa production céréalière au détriment des productions animales, qui pourraient disparaître. Une telle évolution reposerait sur une mauvaise orientation – et il me semble que cette opinion peut être partagée par chacun d'entre nous – car les protéines végétales sont transformées au cours des processus de production animale et cette opération constitue un fort vivier d'emploi. L'Allemagne ayant réalisé la convergence, elle ne joue pas un rôle actif dans ces débats ; sa seule préoccupation réside dans le plafonnement des aides. En revanche, un compromis doit être trouvé avec les pays qui, comme le nôtre, sortent du système des références historiques. Cet accord doit, à mon sens, reposer sur l'exclusion d'une convergence absolue en cinq ans et sur le souci de protéger l'élevage et les petites structures agricoles.

Un troisième élément de cadrage pour la négociation de la réforme de la PAC a trait au budget européen. Le Gouvernement précédent évoquait la possibilité de diminuer la contribution de la France à ce budget, tout en souhaitant maintenir le niveau des engagements en matière agricole. Soyez sûrs d'une chose, mesdames et messieurs les députés, une baisse du budget de l'Union européenne entraînerait – même les professionnels du secteur agricole en sont conscients – un tassement des deux grandes politiques publiques européennes : la PAC et la cohésion. Il faut donc se battre sur le contenu du projet européen et sur le montant du budget de l'Union européenne pour pouvoir défendre les crédits dévolus à la politique agricole.

Quatrième thème, celui du verdissement pour lequel le Grenelle de l'environnement a fixé des objectifs normés. En matière d'agriculture biologique, par exemple, le but était d'atteindre une part de 12 % de la surface agricole utile d'ici un à deux ans et 20 % en 2020 ; or, la proportion actuelle s'élève à 3,5 %. En ce qui concerne les phytosanitaires, un effort significatif a été consenti pour les molécules les plus dangereuses dont l'utilisation a diminué de 87 % ; en revanche, le volume global de l'usage des phytosanitaires a augmenté alors qu'il devait baisser de 50 %. La méthode employée ne fut donc pas la bonne.

Ce qui est fondamental en la matière, c'est de savoir comment on aborde la question environnementale. Soit l'on cherche à corriger les effets négatifs des modèles en place en fixant des normes, et l'on s'aperçoit à quel point il est difficile d'obtenir des résultats probants. Soit l'on réfléchit à l'élaboration de nouveaux modèles qui assureraient la conciliation des performances économiques et écologiques. Cette dernière solution a ma préférence. Une récente visite dans l'Orne m'a apporté la preuve que de tels modèles peuvent être développés.

S'agissant des rotations de culture et des couvertures de sol, des capacités immenses de production de protéines végétales peuvent être exploitées sans le moindre financement européen. La dernière exploitation laitière que nous avons visitée produit plus de 10 000 litres de lait par vache avec une autonomie de 85 % ainsi que ses propres protéines végétales, des oléagineux et des céréales, en plus du maïs et de l'herbe. Cette voie est la meilleure car la politique qui consiste à fixer des normes par exploitation a échoué et fait dorénavant l'objet de fortes réticences dans le milieu agricole du fait de sa complexité. Les groupements d'intérêts économiques et environnementaux doivent permettre de créer une dynamique plus collective. Ces choix feront l'objet d'un débat qui aura lieu au second semestre 2013 à l'occasion de la discussion d'un texte de loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt, l'objectif étant de clore la négociation sur la réforme de la PAC au cours du premier semestre de l'année prochaine.

Nous devons, enfin, faire avancer la question de la régulation de la contractualisation laitière et à l'échelle de la PAC ainsi que nous pencher sur les catastrophes naturelles, comme la sécheresse aux États-Unis et en Russie, qui ont des conséquences sur le prix des végétaux et donc sur le coût des aliments utilisés pour l'élevage, ce qui nécessite une répartition de cette charge supplémentaire sur l'ensemble des maillons de la filière.

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