Intervention de Jean-François Ripoche

Réunion du 21 février 2013 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-François Ripoche, ingénieur en chef de l'armement :

L'intitulé complet de ma fonction est le suivant : « architecte du système de forces ‘commandement et maîtrise de l'information' ». Je suis chargé, conjointement avec l'État-major des armées, de préparer les programmes du futur pour les aspects liés à l'équipement, en matière notamment de recherche et de technologie, incluant les études amont. Il s'agit donc de l'amont des programmes d'armement.

Après les interventions que nous avons entendues, il ne fait aucun doute qu'un risque existe. Les deux précédents exposés, qui ont évoqué la fiabilité et la sécurité dans toute la filière de production des équipements, ont fait apparaître qu'il existait un champ de solutions concrètes, mais que des points clés devaient être surveillés – nous disposons de chiffreurs du meilleur niveau, mais cela ne suffit pas.

Pour ce qui est du gain, l'interconnexion des systèmes de défense est aujourd'hui un fait et une nécessité qui répond à des impératifs militaires. Il nous faut mieux connaître l'environnement dans le cadre des opérations – position des amis, des ennemis et des neutres, géographie, géolocalisation, météo… Les opérations peuvent être menées très vite, comme l'illustre la réactivité qu'il a fallu avoir pour l'opération Serval. Nos systèmes d'armes doivent être aussi efficaces que possible, face par exemple à la loi du nombre ou dans un cadre asymétrique, et leurs effets doivent être totalement maîtrisés, en termes de précision des cibles et d'effets collatéraux. Pour améliorer le temps de traitement des cibles par exemple, il faut accélérer le cycle du renseignement – orientation des capteurs pour savoir où regarder à grandes mailles, détection de points d'intérêt, analyse et action. Devant un ennemi furtif et très mobile, qui se déplace en pick-up et peut se cacher dans des grottes, il faut aller très vite et la réduction du délai séparant la constatation d'un indice d'activité et le traitement de la cible passe nécessairement par l'interconnexion.

Nous adoptons donc une posture de gestion du risque et une approche globale. Dans le monde de la défense, la notion de « systèmes d'information » ne se limite pas aux systèmes d'information opérationnelle informatiques à base de support tels que les messageries, mais elle englobe aussi les systèmes d'armes et les systèmes industriels qui peuvent se trouver dans leur environnement. Dans cette approche globale, les moyens de défense en complément des moyens de protection sont très importants. La maîtrise nationale de certains éléments clés du système est primordiale. Elle doit être étendue, au-delà des composants, à des briques logicielles ou à des plateformes de ce domaine. Il est également primordial de connaître l'état de la menace cybernétique.

J'en viens à l'arbitrage entre gain et risque. Pour des raisons budgétaires, mais aussi de performance, les systèmes militaires recourent dans une large mesure à des équipements civils ou dérivés du monde civil, comme l'automate de propulsion pour les navires et les chaînes de mobilité des blindés, dérivées du monde du camion, sans parler des systèmes d'information dans l'acception traditionnelle du terme.

La dualité est une opportunité, car le monde civil développe lui aussi de nombreuses protections qui peuvent nous servir, comme la biométrie permettant l'authentification des accès, les pare-feu sur les réseaux ou certaines messageries de niveau sensible.

En revanche, le monde civil s'est peu penché sur les hauts niveaux de sécurité, qui représentent un marché très étroit dans lequel la rentabilisation des efforts de recherche et de développement n'est pas assurée.

L'une des voies à suivre pourrait consister à utiliser ou encourager des initiatives européennes. Certains microprocesseurs, par exemple, pourraient être développés dans des filières européennes là où il n'existe que des filières asiatiques ou américaines.

Dans ses travaux axés sur la préparation de l'avenir, la DGA s'attache à mettre au point des architectures systèmes résilientes et prenant en compte à la fois les capacités de protection que nous pouvons intégrer et les vulnérabilités existantes. Ces architectures systèmes ne peuvent pas être universelles et doivent être adaptées à chaque cas et à chaque classe de cas : on ne protège pas un système d'information comme un système d'armes ou un système industriel – à quoi bon avoir un excellent chiffreur si la porte du local électrique est ouverte ?

Ces systèmes ne doivent pas seulement être protégés : il faut les rendre défendables, ce qui suppose de savoir comment ils sont construits et d'être capables d'analyser les flux de données. Il faut aussi les rendre résilients, ce qui pourrait passer par une forme de convergence entre la sûreté de fonctionnement et la sécurité assez prometteuse. Si une telle démarche avait été adoptée dès le début face à Stuxnet, peut-être y aurait-il eu la mise en place à la fois des dispositifs de protection et des dispositifs empêchant l'instrument de se mettre dans un mode de défaillance. Ces deux approches couplées sont potentiellement très intéressantes.

Le monde de la défense se caractérise par une grande hétérogénéité de ses systèmes d'armes. Un Rafale va durer plus de quarante ans, et l'on voit bien la différence entre l'informatique d'il y a quarante ans et celle d'aujourd'hui. Les nouveaux systèmes que nous développons tiennent compte dès le départ de l'impératif de sécurité informatique. Pour les systèmes existants, nous faisons au mieux, en évitant les maillons faibles. De simples mesures organisationnelles peuvent permettre d'atteindre à coûts mieux maîtrisés l'objectif d'une meilleure sécurité informatique.

Enfin, la question de l'interopérabilité avec nos alliés est très importante. Face à la multitude de systèmes en usage dans les différents pays et au sein de l'OTAN, seules les démarches pragmatiques ont un avenir. L'Afghan Mission Network, en Afghanistan, avait ainsi assez bien réussi à cantonner les problèmes de sécurité de l'information à certaines interfaces, avec des passerelles d'accès à des réseaux, l'OTAN défendant ses réseaux pendant que les nations défendaient les leurs.

Nous vivons dans un monde interconnecté, y compris pour la défense, avec un risque que nous nous efforçons de gérer au mieux. Cela nécessite un effort sur le plan des ressources humaines comme sur le plan financier. Le budget affecté aux études amont réalisées par la DGA devrait doubler en 2013 par rapport à 2012. La sélection des sujets que nous traitons se fait en étroite collaboration, voire en cofinancement, avec l'ANSSI, afin que l'ensemble de la communauté nationale puisse bénéficier de ces travaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion