Intervention de Philippe Folliot

Réunion du 24 juillet 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot, rapporteur pour avis :

Voici plusieurs années que je suis tout particulièrement notre engagement militaire en Afghanistan. Je me suis rendu plusieurs fois sur ce théâtre entre 2008 et 2011, à la suite de l'embuscade d'Ouzbine, pour partager le quotidien du 8e RPIMa de Castres, ou encore dans le cadre d'une mission d'information sur les actions civilo-militaires pour le compte de la Commission.

C'est donc avec un intérêt tout particulier que j'ai travaillé sur ce projet de traité d'amitié et de coopération entre notre pays et la République islamique d'Afghanistan, adopté par le Sénat la semaine dernière. La commission des affaires étrangères est saisie pour examiner le projet sur le fond et notre Commission s'est saisie pour avis : elle va essentiellement examiner son contenu du point de vue des forces armées. Je me suis efforcé de rassembler le plus grand nombre possible d'éléments sur la question dans un laps de temps extrêmement court, à savoir deux semaines. Je regrette que l'Assemblée nationale dispose de si peu de temps pour travailler sur un sujet aussi crucial, alors même que, du côté afghan, les plus optimistes tablent sur une autorisation parlementaire au mieux pour la fin de l'année. J'ai néanmoins pu rencontrer le CEMA, le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) ainsi que le directeur central du service de santé des armées (DCSSA).

Comme vous le savez, notre pays est engagé sur le théâtre afghan depuis 2001. Nous participons à deux opérations internationales : l'opération Liberté immuable et la force internationale d'assistance et de sécurité, la FIAS, qui est sous commandement de l'OTAN. Nous avons déployé des forces afin d'accompagner la reconstruction du pays et de ses forces de sécurité.

Outre l'envoi de ses forces spéciales, la France a pris une part active à la formation de l'armée nationale afghane (ANA) dans le cadre des fameuses équipes de liaison et de tutorat opérationnel (ELTO), les modules de formation initiés par l'OTAN. Nous avons formé à ce jour 25 000 soldats afghans. La France contribue ainsi fortement à l'objectif commun des autorités afghanes et de l'OTAN d'en former 150 000. De son côté, le dispositif ÉPIDOTE nous permet de former directement les élites militaires afghanes.

Ce travail a fait la preuve de son efficacité. On doit regretter cependant qu'il ait fallu attendre le début de cette année seulement pour que les troupes formées par les Français soient affectées dans leur zone de responsabilité. Les perspectives d'évolution des forces de sécurité afghanes, ANA et polices, sont inquiétantes. En particulier, j'ai relevé que la coalition s'efforçait d'atteindre l'objectif de disposer de 350 000 personnels en uniforme à la fin de cette année, tout en planifiant une décroissance de ces mêmes effectifs pour atteindre 228 000 en 2015. Cela me semble extrêmement préoccupant, car nous ne savons pas ce que deviendront les 120 000 personnels mis de côté. Nous devrons suivre la question avec la plus grande attention.

En dehors des actions de formation, la France est également présente au combat. En 2008, le Président Sarkozy a décidé de nous engager davantage dans les missions de combat menées par la coalition. Au sommet de Bucarest, la France a ainsi annoncé prendre la responsabilité du district de la Kapisa, à l'est de Kaboul. Il s'agit d'une région clé, qui verrouille l'accès à la capitale. Elle est l'objet d'une activité intense de l'insurrection. Parallèlement, notre pays recevait également la responsabilité de la Surobi, une vallée difficile contiguë à la Kapisa, mais relevant d'une autre zone de commandement. C'est dans cette vallée que dix soldats, dont huit du 8e RPIMa de Castres, ville et régiment si chers à mon coeur, étaient tombés dans une embuscade.

De ce point de vue, on peut considérer que l'engagement de notre pays en Afghanistan a connu un véritable tournant en 2008. Notre commission s'est adaptée à la nouvelle donne. Au lendemain de l'embuscade d'Ouzbine, une délégation de notre commission s'est rendue sur place et a formulé un certain nombre de recommandations portant notamment sur l'équipement et l'aéromobilité. Elles ont été rapidement mises en oeuvre par le Gouvernement. Un mois plus tard, une mission d'information sur notre engagement dans ce pays a été confiée à nos collègues MM. François Lamy et Pierre Lellouche. Leurs travaux ont conduit à la création d'une cellule de coordination interministérielle dite cellule Afpak, au regroupement de nos forces sous une seule chaîne de commandement, ainsi qu'au renforcement du volet civil de notre investissement. Plus récemment, j'ai conduit avec notre collègue Guy Chambefort une mission sur les actions civilo-militaires qui faisait la part belle au théâtre afghan et formulait des propositions de nature à les rendre plus efficaces et à clarifier leur financement.

Parallèlement à cela, la France a initié un programme de formation de l'ANCOP (Afghan National Civilian Order Police), qui pourrait s'apparenter à terme à une force de gendarmerie mobile afghane. C'est la force de gendarmerie européenne et notamment les gendarmes français qui sont en charge de ce programme. Au contraire du programme européen de formation de la police afghane, EUPOL, le travail mené par nos gendarmes à Mazar-e-Sharif puis aujourd'hui dans le Wardak fonctionne particulièrement bien. Les gendarmes se louent de l'excellente collaboration avec l'armée française qui assure leur soutien.

Ces efforts ont donné de bons résultats : formation de 25 000 soldats et de 8 000 policiers, sécurisation de l'accès à Kaboul, développement humain. Mais elles ont également eu un coût : 87 soldats y sont morts et plus de 700 ont été grièvement blessés, sans compter, sur le plan budgétaire, plusieurs milliards d'euros de surcoût OPEX.

C'est dans ce contexte que le nouveau Président de la république a décidé d'accélérer le retrait de nos troupes. Les forces combattantes auront quitté le territoire afghan en 2012 et les autres seront de retour en France d'ici fin 2014. Bien que j'aie désapprouvé cette décision, elle a été validée par le suffrage universel et le retrait est aujourd'hui en marche. Le traité dont nous devons aujourd'hui autoriser la ratification accompagne le nouveau partenariat que nous devons maintenant construire.

Les questions de défense et de sécurité n'occupent qu'une partie du texte, plus précisément son article 3. Le traité organise trois commissions mixtes, permettant une concertation régulière à haut niveau dans ces deux domaines.

Le traité préconise la mise en place de coopérants auprès des autorités afghanes, par exemple un coopérant gendarmerie sera placé auprès du général commandant l'ANCOP, afin d'organiser le conseil, la formation ainsi que les échanges d'informations entre les deux institutions, des efforts de formation en Afghanistan et en France notamment au sein de l'école de guerre, de l'école supérieure d'état-major et la remise à niveau d'unités formées par la mission ÉPIDOTE, un partenariat renforcé dans les domaines de sécurité suivants : lutte contre les stupéfiants, soutien dans le domaine de la police judiciaire, appui au développement de la sécurité civile, le fonctionnement de l'hôpital de KAIA, jusqu'en 2014 au moins, date de la fin de la mission de la FIAS, et la contribution au laboratoire européen de lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI).

Ces préconisations correspondent à travail déjà engagé et planifié jusqu'en 2016. La France a déjà augmenté le nombre de ses officiers de liaisons et coopérants sur place. Le retrait des forces de gendarmerie et l'afghanisation du centre de formation du Wardak permettront néanmoins le maintien de quelques coopérants aux côtés de l'ANCOP.

En vérité, l'enjeu réside non pas dans la liste des actions qui seront mises en place, mais bien dans le financement des mesures d'accompagnement du retrait, dont le coût est estimé à 88 millions d'euros d'ici à 2016.

Globalement, toutes les actions pourront être financées en interministériel par le BOP OPEX jusqu'au retrait définitif de nos troupes, c'est-à-dire 2014. La difficulté apparaît pour la période 2014-2016. Mes interlocuteurs m'ont tous indiqué que des actions de coopération seraient maintenues, mais demeurent dans l'incertitude quant à leur financement. Il s'agira alors de mesure de coopération, complétant les autres domaines mis en avant par le traité : agriculture, éducation, archéologie, etc. L'ensemble relèvera de l'action extérieure de l'État et devra donc être financé par le ministère des affaires étrangères ainsi que par l'agence française de développement.

Autre point d'inquiétude : le financement de l'ANA. Les États-Unis considèrent que les membres de la coalition devront les aider à continuer à financer les soldes des soldats au cours de la décennie. Ils estiment le coût actuel à 4,1 milliards de dollars par an et souhaitent que la France prenne en charge 10 %, au moins entre 2015 et 2017, ce qui représenterait une somme cumulée de plus d'un milliard d'euros. Cela n'est pas acceptable. Dans la conjoncture difficile que nous connaissons, la France a déjà fait beaucoup pour la coalition et le redressement de l'Afghanistan. Elle ne saurait, en plus, se substituer à des bailleurs tels que l'Union européenne ou les pays non engagés militairement comme par exemple le Japon, ou les pays du Golfe, dont c'est davantage la vocation et qui, eux, n'ont pas payé le prix du sang.

Nous devrons, au sein de cette commission, nous montrer particulièrement vigilants sur ce point. Au moment où nous préparons une forte baisse des crédits de défense, il serait difficilement compréhensible que nous financions chaque année l'armée afghane pour l'équivalent d'un programme d'armement.

Il n'en reste pas moins que ce traité permet de faire évoluer les relations franco-afghanes, en prenant acte du retrait de nos forces et en passant d'une aide essentiellement militaire à une coopération à dominante civile. Le processus est difficile et demande une volonté politique forte. Je crois qu'il nous faut encourager cette démarche et je formule donc un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi.

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