Intervention de Michel Sapin

Réunion du 12 mars 2013 à 16h15
Commission des affaires sociales

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est important. Il démontre que la France peut, dans ce domaine difficile qu'est le marché du travail, se réformer par le dialogue.

L'accord du 11 janvier dernier a marqué l'aboutissement de l'une des plus ambitieuses séquences de négociation interprofessionnelle depuis plus de quarante ans. Il fera date, j'en suis certain, dans l'histoire du droit social français.

Après plusieurs décennies d'avancées – parfois positives, mais souvent très partielles –, d'échecs ou de renoncements, les principaux enjeux de notre marché du travail sont désormais pris à bras-le-corps pour fonder un nouvel équilibre, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n'est pas ce que les autres perdent, un équilibre qui ouvre un nouveau champ des possibles face aux grands défis du marché du travail : la lutte contre le chômage et la précarité, la création d'emplois.

Le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi se présente – et ce n'est pas là son moindre mérite – sous la forme d'un texte global, et non pas « à la carte », en abordant l'ensemble des sujets concernant le marché du travail et en ne laissant de côté aucun sujet difficile. Il aborde de front, dans leur totalité, les problèmes que notre société traîne depuis trop longtemps : la lutte contre la précarité du travail, la préférence qu'il faut rendre au contrat à durée indéterminée, les droits individuels et collectifs des salariés, l'anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l'emploi dans une conjoncture difficile, la nécessaire refonte des procédures de licenciements collectifs.

Le pacte de compétitivité a été la marque d'une ambition, de l'effort d'une société tout entière qui fait le choix de jeter toutes ses forces dans la création d'emplois.

Cela étant, plus de performance économique ne signifie pas moins de cohésion sociale : c'est au contraire plus de cohésion sociale, plus de capacité de dialogue, plus de possibilité de négocier. Tel est l'objet de ce texte sur la sécurisation de l'emploi : permettre une adaptation à la conjoncture économique, non en précarisant davantage, mais en augmentant les droits individuels et collectifs des salariés.

Ainsi, et contrairement à ce que j'entends dire parfois, ce texte n'est pas un échange entre la flexibilité pour les entreprises et la sécurité pour les salariés. Il apporte sécurité et visibilité à chacun. C'est en en ce sens qu'il est différent de ce que l'on a pu faire jusqu'à présent dans ce domaine. Il est une équation nouvelle de l'économique et du social.

La sécurisation de l'emploi va donner aux acteurs sociaux le pouvoir de négocier, à tous les niveaux, et de le faire sur de vrais enjeux. Le seul moyen de rendre les acteurs responsables, c'est de leur donner des responsabilités et des pouvoirs. Voilà le vrai changement, dont les partenaires sociaux – signataires comme non-signataires – sauront se saisir. Et ils auront raison de le faire.

Derrière l'accord, derrière la loi, il y a une méthode : celle du dialogue social à la française. Si chacun voit ce que signifie « dialogue social », les termes « à la française » méritent une explication.

Nous ne sommes pas un pays scandinave, ni même l'Allemagne où la cogestion se pratique presque indépendamment de la politique. Dans notre cas, c'est d'abord une impulsion politique qui a donné l'élan au dialogue social. Je veux bien sûr parler de la grande conférence sociale qui a su rassembler tous les acteurs et qui a permis de partager des constats et de fixer une feuille de route commune. Je veux aussi rappeler le cap fixé par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l'emploi ».

Il y a eu ensuite un document d'orientation du Gouvernement – rédigé par moi-même – pour cette négociation, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord, et l'État à mettre en oeuvre les changements législatifs et réglementaires qui en découleraient.

Est alors venu le temps du dialogue social : quatre mois de négociation intense pour parvenir à l'accord du 11 janvier 2013.

La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques : le Gouvernement pour écrire la loi, le Parlement pour la voter.

Respecter l'accord, c'était un engagement – et cela le reste – du Gouvernement. Cet engagement est aujourd'hui tenu, car il en va du respect des partenaires sociaux et du respect du dialogue social. Comment pourrais-je me présenter devant vous, en tant que ministre du dialogue social, avec un projet de loi qui déferait ou dénaturerait un accord valablement conclu avec les partenaires sociaux ? Ce serait déconsidérer et affaiblir des acteurs qui ont au contraire besoin d'être confortés. Ce serait condamner le dialogue social à une nouvelle période de glaciation.

Pour moi, la démocratie sociale n'est pas un « tour de palabres » sans conséquence avant que ne commencent les « choses sérieuses », c'est-à-dire que le Gouvernement, les administrations et le Parlement proposent et décident d'un projet différent.

Vous êtes saisis du projet de loi. Pour avoir été parlementaire de longues années, je sais la difficulté de faire la loi, les questions que le législateur se pose face aux expressions parfois contradictoires des uns et des autres. Je sais aussi à quel point il est précieux de pouvoir s'appuyer sur le travail préalable des acteurs eux-mêmes.

Pour autant, le passage de l'accord au projet de loi, puis du projet de loi à la loi, demande aussi un travail. Une transposition n'est pas un recopiage, un parlement n'est pas une chambre d'enregistrement. De la même manière, je n'ai jamais été le scribe de je ne sais quel accord conclu dans mon dos.

Là où l'accord du 11 janvier laissait apparaître des ambiguïtés ou des zones d'incertitude, là où il était silencieux, des choix clairs ont dû être opérés. Ils ont été faits en toute transparence avec une seule grille d'analyse : celle de l'option la plus favorable pour répondre à l'ambition de sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels, et la plus conforme à l'intérêt général.

Je sais que vous vous efforcerez d'agir avec la même volonté de respecter l'accord et son équilibre. Dans quelques semaines, la loi aura donc inscrit l'accord dans notre ordre juridique, avec le poids des engagements qui sont nés des acteurs sociaux eux-mêmes.

À la force du dialogue s'ajoutera donc celle de la loi, son complément nécessaire. Nécessaire, car c'est la loi qui porte l'intérêt général ; nécessaire car la France est un pays qui s'est construit par le droit. Nous sommes ici au coeur de notre modèle social et politique français, avec une articulation utile entre le contrat et la loi, entre la démocratie sociale et la démocratie politique.

À cet égard, le projet de loi constitutionnelle sur la démocratie sociale qui sera soumis demain au Conseil des ministres marquera un pas décisif et complémentaire. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

J'en viens maintenant à la présentation générale du projet de loi lui-même. Il poursuit trois objectifs principaux : créer de nouveaux droits pour les salariés ; lutter contre la précarité ; agir en faveur de l'emploi par la négociation autour des mutations économiques.

D'abord, créer de nouveaux droits pour les salariés.

Les nouveaux droits créés par le projet de loi sont en premier lieu des droits individuels.

Le premier de ces droits, c'est le droit à la santé via la généralisation de la couverture complémentaire collective. Quel que soit le parti politique auquel nous appartenons, nous croyons tous à la protection sociale et à la nécessité d'une couverture maladie qui permette l'accès à la santé. Les situations de renoncement aux soins pour des raisons financières nous blessent donc tous dans nos convictions.

Aujourd'hui, 400 000 salariés se passent de complémentaire, 4 millions n'ont pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur.

Ces salariés, qui sont-ils ? Certainement pas des cadres ou des salariés de grandes entreprises, qui ont en général une complémentaire d'entreprise. Ce sont les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits emplois et périodes de chômage. C'est pour eux que nous voulons agir, et c'est pour eux que la couverture complémentaire obligatoire et la portabilité des droits à la complémentaire – c'est-à-dire la possibilité de conserver ses droits à une complémentaire pendant une période de chômage – ont un sens.

La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette complémentaire santé. Mais en tout état de cause, si aucun accord de branche ou aucun accord d'entreprise n'est trouvé sur le sujet, sa mise en place sera effective au 1er janvier 2016.

Le projet prévoit ensuite la création d'un compte personnel de formation, sur lequel Thierry Repentin vous en dira davantage. Ce dispositif constitue une réponse par le haut à la sécurisation des parcours professionnels et à la nécessaire évolution professionnelle des salariés français.

Le texte crée également un droit à la mobilité professionnelle sécurisée, pour permettre aux salariés de tenter une expérience dans une autre entreprise et de revenir ou de rester selon leur souhait.

Le projet de loi crée, en outre, de nouveaux droits collectifs pour les salariés.

C'est ainsi que demain, des salariés entreront dans les conseils d'administration des grandes entreprises et pèseront sur les décisions car ils auront un droit de vote, comme les autres membres. Environ 200 groupes, employant près de 4 millions de salariés en France, seront concernés.

Demain également, les salariés seront mieux informés et consultés par la mise en place, d'une part, d'une nouvelle consultation sur les orientations stratégiques de l'entreprise, et, d'autre part, d'une base de données unique, actualisée en permanence, comportant toutes les informations et perspectives économiques et sociales de l'entreprise. Car sécuriser l'emploi, c'est construire des acteurs forts et informés pour pouvoir négocier.

Deuxième objectif du projet de loi : faire reculer la précarité.

Le projet de loi porte en effet sur la qualité de l'emploi et sur le recul de la précarité.

Agir contre la précarité, c'est d'abord encourager le recours au contrat à durée indéterminée (CDI) en augmentant, dès le 1er juillet prochain, les cotisations d'assurance chômage pesant sur les contrats courts – en dix ans, ceux de moins d'un mois ont augmenté de 120 % ! – et en diminuant les cotisations pesant sur les embauches de jeunes en CDI – les trois premiers mois pour les entreprises de plus cinquante salariés, et les quatre premiers mois pour celles de moins de cinquante salariés.

Agir contre la précarité, c'est également instaurer des droits rechargeables à l'assurance chômage, qui seront mis en place dans la nouvelle convention d'assurance chômage négociée cet automne. Pour les salariés aux parcours heurtés, ceux qui passent trop souvent par la « case » chômage, l'accord permettra une amélioration concrète et substantielle de leur prise en charge. Un salarié qui reprendra un emploi après une période de chômage conservera le reliquat de ses droits aux allocations chômage non utilisés pour les ajouter, en cas de nouvelle perte d'emploi, aux nouveaux droits acquis au titre de la période d'activité ouverte par cette reprise d'emploi. Face à la multiplication des contrats courts, il s'agit là d'un droit extrêmement important.

Agir contre la précarité, c'est enfin prendre des mesures relatives au temps partiel, notamment lorsqu'il est subi.

Le projet de loi constitue un pas en avant, puisqu'il fixe une durée minimale hebdomadaire de 24 heures. C'est une avancée importante car, aujourd'hui, l'accès aux droits sociaux obéit à des seuils. Les salariés qui ne réalisent que de petits temps partiels n'ont accès ni aux indemnités journalières en cas de maladie, ni à une couverture chômage en cas de rupture de contrat, ni à la formation professionnelle, sans compter que les périodes travaillées ne sont pas validées au titre de la retraite. Désormais, le « petit » temps partiel ne sera possible qu'à titre dérogatoire, à la demande motivée du salarié ou par accord de branche et si, et seulement si, l'organisation du travail est revue pour éviter les plages horaires dispersées – qui concernent en premier lieu les femmes – et faciliter la possibilité pour le salarié de cumuler plusieurs emplois.

De plus, une majoration de 10 % dès la première heure complémentaire viendra renforcer le pouvoir d'achat des salariés à temps partiel. Ainsi, la majorité des salariés à temps partiel verront leur situation s'améliorer, soit par une hausse des heures travaillées, soit par une meilleure répartition de celles-ci.

Le projet de loi améliore donc le sort des salariés précaires, qui sont aux marges de l'emploi le plus sécurisant. En ce sens, il est un indéniable progrès, en particulier pour les femmes car elles sont les premières concernées par le temps partiel subi.

Troisièmement, ce projet de loi est favorable à l'emploi.

Il vise en effet à agir pour l'emploi dans un contexte économique difficile.

Il le fait tout d'abord en procédant à une réforme et une refonte, attendue depuis de nombreuses années, du dispositif de chômage partiel. Demain, un dispositif unifié et simplifié, plus attractif pour les entreprises et pour les salariés, sera mis en place. Cela est essentiel pour maintenir l'emploi et conserver les compétences des entreprises qui connaissent un passage difficile. Il nous faut davantage mobiliser le chômage partiel, notamment dans les petites et moyennes entreprises (PME) et dans les services.

Demain, par les accords de maintien de l'emploi, employeurs et salariés auront la possibilité de s'adapter à la crise, et de le faire non plus en sacrifiant des emplois, qui constituent systématiquement aujourd'hui la variable d'ajustement de tout choc conjoncturel. Ainsi, un accord de maintien de l'emploi pourra être trouvé dans l'entreprise pour faire varier le temps de travail ou la rémunération, mais avec de nombreuses garanties. D'abord, la difficulté conjoncturelle de l'entreprise devra être avérée, vérifiée par les syndicats et un expert qu'ils pourront désigner. Ensuite, l'accord devra être signé par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés, et sa durée ne pourra pas dépasser deux ans. En outre, les plus bas salaires ne pourront pas être concernés. L'entreprise ne pourra pas licencier pendant la durée de l'accord. De plus, une clause de retour à meilleure fortune devra être prévue pour les salariés en cas d'amélioration de la situation de l'entreprise. Par ailleurs, les dirigeants et les actionnaires devront participer aux efforts demandés aux salariés. Enfin, tout salarié qui refusera l'application de cet accord bénéficiera de l'accompagnement spécifique lié à un licenciement économique.

À l'évidence, ce n'est pas de gaieté de coeur qu'un salarié accepte de voir baisser son salaire ou modifier ses horaires de travail. Mais j'ai la conviction que les salariés ne sont ni des otages, ni des pantins manipulés, ni des victimes : ils sont les premiers défenseurs de leur outil de production, et ils sont prêts à des efforts si, et seulement si, ils participent à la décision et voient leurs droits protégés. Ce sera le cas au regard des conditions posées pour la conclusion de l'accord et pour le suivi de sa mise en oeuvre.

De la même manière, la loi réforme profondément les procédures de licenciements collectifs, sujet éminemment difficile et douloureux. Ils ne seront désormais possibles qu'avec l'accord des organisations syndicales – accord majoritaire – ou, à défaut, de l'administration – homologation du plan de sauvegarde de l'emploi. Ces modalités permettront d'agir pour limiter le nombre de licenciements, d'améliorer le contenu des plans de sauvegarde de l'emploi et, par conséquent, de sécuriser les procédures et les délais correspondants pour les entreprises comme pour les salariés. Car il n'y a rien à gagner dans les batailles judiciaires infinies.

Cela étant, je ne condamne pas ce qui se passe aujourd'hui : l'utilisation, parfaitement légitime, des procédures judiciaires est malheureusement le seul moyen de se défendre pour les organisations syndicales et les salariés, et chacun a droit à un juge. Dorénavant, cela se fera en sécurisant les procédures et en avançant le plus possible les décisions.

La loi inversera une donnée : à la réparation a posteriori par le juge, elle substituera l'intervention a priori par l'accord ou l'homologation, sans priver qui que ce soit du recours au juge. Le projet de loi crée par ailleurs une obligation de recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture de site, en assurant l'information des représentants des salariés sur cette recherche et en leur donnant les moyens d'évaluer – y compris par la nomination d'un expert – les propositions de reprise.

En sécurisant ainsi les procédures et en les encadrant dans le temps, l'accord répond à une préoccupation des entreprises, sans pour autant restreindre les droits des salariés. Au contraire, il réforme en profondeur le droit applicable en donnant plus de pouvoir aux représentants des salariés et aux services de l'État.

Vous le voyez, nous n'avons évité aucun sujet, nous n'en avons renvoyé aucun à plus tard. Nous avons au contraire réussi à unir des dispositions en faveur de l'emploi et du renforcement des droits collectifs des salariés, de nouveaux outils pour sauver immédiatement des emplois et un cadre plus favorable à la création d'emplois de qualité dans les mois et les années à venir.

Comme l'accord du 11 janvier, ce projet de loi croit au dialogue social, à l'autonomie et à la responsabilité des acteurs, à la mobilité, à la formation tout au long de la vie, à l'adaptation négociée, à la capacité de se mettre d'accord pour sauver son entreprise tout en bénéficiant de droits sanctuarisés – car tout n'est pas négociable.

Ce projet porte l'idée que la France peut tourner le dos à sa funeste préférence pour le licenciement, que le CDI est préférable au contrat à durée déterminée (CDD), et l'information des salariés en amont à une opposition stérile entre stratégies d'évitement du dialogue social d'une part, et manoeuvres de retardement de l'autre.

Sur tous les sujets délicats qu'il traite, il se veut donc ambitieux et équilibré, susceptible de faire bouger les lignes et de contribuer à la grande bataille pour l'emploi que nous avons engagée.

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