Intervention de Michel Sapin

Réunion du 12 mars 2013 à 16h15
Commission des affaires sociales

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Je remercie les différents intervenants des appréciations qu'ils ont portées sur ce projet de loi. La question de la place du dialogue social dans notre République est en train de mûrir et de prendre toute sa dimension. Nous ne l'avons certes pas inventé : certains ont fait allusion à des dispositions législatives dont nous avions soutenu l'adoption en leur temps, auxquelles la constitutionnalisation – qui sera proposée au Parlement – conférera encore davantage de force.

J'entends aujourd'hui la volonté des uns et des autres de respecter le dialogue social et l'équilibre de l'accord, en y apportant leur pierre. Le devoir des parlementaires est en effet d'examiner la loi, et de l'amender le cas échéant. Il me semble important de le redire, puisque l'on entend encore dire que le Parlement serait une chambre d'enregistrement. Les choses peuvent évidemment bouger, mais dans le respect d'un certain équilibre, et je remercie chacun de l'avoir reconnu.

Permettez-moi maintenant de vous apporter quelques éléments de réponse à ce stade du débat.

La généralisation de la couverture complémentaire santé est une innovation très importante, qui remet en cause des habitudes et des situations acquises, y compris du point de vue économique. Parce que certains ne bénéficient pas de ces situations acquises, il faut aujourd'hui élargir le cercle. Rappelons que 4 millions de salariés ne voient pas leur employeur participer au coût de cette couverture complémentaire, et que 400 000 ne bénéficient d'aucune protection – ce qui est indigne. Nous agirons dans le respect des équilibres économiques, mais ceux-ci devront tout de même évoluer.

Les partenaires sociaux avaient été d'une clarté quelque peu nébuleuse sur le sujet. En accord avec eux, j'ai voulu faire en sorte que cette clarté soit totale : le droit doit être le plus clair possible. Deux principes fondent donc nos propositions. Le premier est celui de la transparence, qui doit être absolue dans ce domaine, puisque ce sont les entreprises, voire les branches, qui se substitueront aux individus pour choisir l'organisme qui assurera cette couverture complémentaire santé. C'est ici l'auteur de la loi dite Sapin relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques qui vous parle… Ce seront des dispositions réglementaires. Nous pourrons néanmoins en parler, car nous avons commencé à travailler sur cette question de la transparence et du respect de la concurrence avec le ministère des affaires sociales et de la santé.

Il faut ensuite que la mutualisation soit possible, dans la mesure où les salariés de certaines entreprises présentent des risques plus importants que les autres. En l'absence de possibilité de mutualisation, les organismes rechercheront les « meilleurs » risques, et certaines entreprises – souvent les PME – devront payer plus cher pour garantir cette couverture complémentaire à leurs salariés.

Vous m'interrogez sur l'inscription de ce dispositif dans un processus plus global. Le Président de la République a en effet fixé un nouvel objectif : ouvrir à tous – salariés et non salariés – cette couverture complémentaire santé, afin que chaque Français puisse en bénéficier. Quoi qu'il en soit, c'est aujourd'hui un pas important qu'il est proposé de franchir. Le coût est loin d'en être négligeable pour les entreprises. Elles l'ont accepté en toute connaissance de cause, car elles savent combien cela est important, y compris pour le bien-être de leurs salariés au travail, et donc pour leur compétitivité.

M. Carpentier s'interroge sur le nombre de licenciements que ce projet de loi permettra d'éviter. Je ne peux répondre à cette question plus précisément qu'en évoquant, tel Fernand Raynaud, un « certain nombre » ou un « nombre certain ». Vous connaissez la situation : face à une difficulté conjoncturelle, les entreprises ont systématiquement recours au licenciement. Les médias se font certes l'écho de quelques cas particuliers dans lesquels un accord a pu être trouvé – de manière non encadrée – entre les salariés et la direction. Mais dans la plupart des cas, la variable d'ajustement reste le licenciement. Demain, elle ne le sera plus qu'en dernier ressort. Le texte permettra donc d'éviter des licenciements – donc des chômeurs supplémentaires.

Il aura également un effet sur la création d'emplois. Bien sûr, il ne saurait créer en lui-même de l'emploi, mais il doit permettre d'en finir, pour reprendre une expression du Président de la République, avec une forme de peur de l'embauche. Beaucoup d'entreprises diffèrent en effet le moment où elles vont embaucher – ou ont recours à des contrats précaires – lorsque la croissance repart. Notre dispositif permettra de faire sauter ce verrou, et donc d'agir aussi vite et aussi fort que les autres en période de reprise, contrairement à l'habitude qui est la nôtre en France, que ce soit en termes d'investissement – avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) – ou en termes d'embauches – avec la loi sur la sécurisation de l'emploi. C'est sans doute l'un des éléments les plus décisifs. Nous ne sommes pas là dans le domaine des mathématiques, mais dans celui de la confiance et des mécanismes qui permettent aux acteurs sociaux de se comporter différemment de ce qu'ils faisaient jusqu'à présent.

J'en viens aux questions du rapporteur. Le texte comporte des dispositions qui faciliteront le chômage partiel. Les partenaires sociaux ont d'ailleurs déjà entamé les discussions dans ce domaine. Rappelons que cette question du chômage ne ressort pas du domaine législatif, mais du domaine conventionnel. J'insiste sur ce point, madame Massonneau, car vous vous êtes interrogée sur le point de savoir si l'augmentation des cotisations chômage sur les CDD était suffisante pour être dissuasive – question qui a sans doute longuement occupé les partenaires sociaux. Or le texte ne fixe pas de taux de cotisation : il se borne à ouvrir aux partenaires sociaux la possibilité juridique de différencier ces taux selon les types de contrats. Le taux des cotisations sera donc fixé par les partenaires sociaux eux-mêmes.

Le dispositif du chômage partiel est donc refondu. Il est complémentaire de celui des accords de maintien dans l'emploi, qui constituent un autre outil nouveau et important pour les entreprises. Une entreprise peut ainsi recourir au chômage partiel, puis subir une nouvelle dégradation conjoncturelle qui la conduit à négocier un accord de maintien dans l'emploi. De même, une entreprise qui a conclu un tel accord et se trouve confrontée à des difficultés plus importantes peut préférer recourir au chômage partiel plutôt que de dénoncer cet accord et de licencier. Les deux dispositifs peuvent donc se cumuler.

Venons-en aux questions humaines. Plusieurs d'entre vous se demandent – à juste titre – si l'administration a les moyens d'assumer les pouvoirs nouveaux qui lui sont confiés par le texte. Par ailleurs, l'équilibre entre l'ordre administratif et l'ordre judiciaire se trouve modifié pour le traitement des éventuels contentieux.

Le juge administratif d'aujourd'hui n'est plus celui que certains ont connu il y a quelques années. Il juge bien plus rapidement que naguère, puisque les délais devant la juridiction administrative sont de l'ordre de trois mois. Nous avons en outre prévu des procédures particulières, en fixant des délais de même nature que ceux qui existent dans le domaine du droit des étrangers, à savoir des délais impératifs. Nous avons également engagé un travail avec le Conseil d'État et l'ensemble des juridictions administratives, afin que les procédures et les moyens mis en place permettent de traiter immédiatement les contentieux qui surviendront dans ce domaine. L'objectif du texte est de faire en sorte que les recours contentieux, qui encore une fois sont légitimes, soient traités dans les délais les plus brefs possible, ce qui est capital pour les entreprises comme pour les salariés. Je n'ai donc aucune inquiétude sur ce point. Le juge judiciaire reste bien sûr compétent pour tous les licenciements individuels, y compris lorsqu'ils surviennent dans un cadre collectif.

J'en viens aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Le retour de l'État et celui de l'administration comme un élément qui sécurise l'ensemble de la procédure est sans doute l'aspect le plus révolutionnaire de ce texte. Aujourd'hui, l'entreprise décide seule avant de voir éventuellement contester sa décision devant le juge. La procédure peut prendre des années : dans le cas de LU, elle a duré dix ans. Ce n'est bon ni pour les entreprises, ni pour les salariés. Désormais, l'administration interviendra très en amont, non pour se substituer au juge, mais pour permettre qu'un équilibre soit trouvé le plus tôt possible. Les DIRECCTE auront les moyens de mettre en oeuvre les nouveaux pouvoirs qui leur sont confiés conformément au souhait de tous les partenaires sociaux, y compris les représentants du patronat. En effet, elles examinent déjà la quasi-totalité des 1 000 plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) mis en oeuvre chaque année, sur lesquels elles formulent des observations. La nouveauté réside dans le pouvoir d'homologation qui leur est donné. Cela nécessitera sans doute des formations complémentaires et des moyens supplémentaires, mais la charge de travail ne devrait pas être modifiée : seule la nature de ce travail change.

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