Intervention de Michel Sapin

Réunion du 12 mars 2013 à 16h15
Commission des affaires sociales

Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

J'ai peur de ne pouvoir répondre immédiatement à toutes les questions, car certaines exigent des réponses extrêmement précises.

De nombreux orateurs ont souligné l'avancée que constituent les droits rechargeables. Songeons que certains préféraient rester au chômage plutôt que de perdre leurs droits à indemnisation au profit d'un nouvel emploi à la durée incertaine. Les partenaires sociaux ont souhaité mettre un terme à ce phénomène. À cet égard, les droits rechargeables constituent bien une incitation au travail, et non l'inverse comme on a pu parfois l'entendre.

Bien sûr, une telle disposition a un coût. Mais le fait de rester au chômage pour profiter jusqu'au bout des droits à indemnisation en a un également. Je ne suis donc pas en mesure d'estimer l'impact financier de l'article 6 du projet de loi, ni même de déterminer si les coûts supplémentaires l'emporteront sur les économies réalisées. Il appartiendra de toute façon aux partenaires sociaux d'aborder cette question – qui relève de la pure gestion paritaire – lors de la négociation sur la nouvelle convention d'assurance chômage, qui devrait débuter en septembre. Mais il va sans dire que l'État s'en préoccupe également, d'autant que le déficit de l'assurance chômage est pris en compte dans le calcul du déficit public global de la France, que le respect des critères de Maastricht nous oblige à maîtriser. Il n'est donc pas interdit au Gouvernement d'aider les partenaires sociaux à prendre les bonnes décisions.

S'agissant de l'assurance complémentaire de santé, je sais que les députés sont sollicités par des organismes nombreux et variés qui, tous, veulent promouvoir une solution plutôt qu'une autre, sans que l'on puisse faire le moindre lien, bien sûr, entre leurs recommandations et les parts de marché qu'ils espèrent conquérir. À l'évidence, d'importants intérêts économiques sont en jeu, même pour les sociétés à but non lucratif que sont les mutuelles.

Comme toujours, dans ces cas-là, il convient de s'en tenir à un objectif, la défense de l'intérêt général. En l'occurrence, l'intérêt général est que les salariés soient tous concernés, qu'ils bénéficient tous d'une garantie et que cette garantie soit de qualité. Le panier minimal de soins sera fixé par décret. Bien entendu, les contrats conformes aux exigences propres aux contrats responsables et solidaires bénéficieront du régime fiscal et social correspondant. Dans le cas où ces exigences connaîtraient une évolution, le panier minimal évoluera également.

S'agissant des clauses de désignation, je vous invite à lire le paragraphe concerné dans l'accord du 11 janvier : une phrase dit : « blanc », une autre : « gris » et une dernière : « noir », si bien que chacun, adversaire comme partisan des clauses de désignation, pouvait y trouver ce qu'il cherchait. Il revenait donc au Gouvernement – et désormais au Parlement – de clarifier le dispositif.

Les clauses de désignation ne seront jamais obligatoires : un accord de branche déterminera le régime applicable. Dans certaines branches, la liberté de choisir l'assureur sera totale, ce qui permettra sans doute à de petites mutuelles de trouver leur place. Dans d'autres, une clause de désignation sera adoptée, de façon à ne retenir qu'un seul organisme. Mais dans ce cas, la désignation se fera sur appel d'offres et à partir d'un cahier des charges, afin de garantir la libre concurrence et la transparence du marché – ce qui, en soi, représente une nouveauté par rapport à la situation actuelle. Tel est l'engagement que j'ai pris à l'égard des partenaires sociaux, quoiqu'en disent les représentants du patronat.

La question du logement ne relève pas du pouvoir législatif. Sur ce point, je vous renvoie à l'article 10 de l'accord du 11 janvier. Plus généralement, de nombreuses dispositions de celui-ci doivent trouver une application grâce à des dispositions réglementaires ou conventionnelles.

La mobilité interne préoccupe de nombreux parlementaires, ce que je comprends parfaitement. Mais je rappelle qu'aucun changement, en la matière, ne pourra être appliqué sans un accord collectif signé par des organisations syndicales représentant plus de 30 % des salariés, et seulement si des organisations représentant plus de 50 % des salariés ne s'opposent pas à un tel accord. Il s'agit donc de garanties suffisamment solides pour éviter tout risque de dérive se traduisant par une évolution défavorable pour les salariés.

Le projet de loi fait explicitement référence à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, et donc à la jurisprudence extrêmement précise qui a été élaborée dans ce domaine. Celle-ci continuera donc à s'appliquer. À cet égard, et même si je peux comprendre les inquiétudes qui se sont exprimées, le contenu de l'article 10 ne correspond absolument pas à la description que certains en font. En aucun cas un salarié ne pourra être obligé d'accepter une mutation à 200 kilomètres de chez lui ! Les accords envisagés doivent permettre de tenir compte de certaines spécificités en termes d'organisation ou d'activité, mais ils ne visent pas à remettre en cause les droits individuels.

J'en viens aux accords de maintien de l'emploi, que chacun est libre de comparer aux accords compétitivité-emploi, en dépit des nombreuses différences que j'ai déjà eu l'occasion de relever – il suffit de songer aux obligations imposées aux actionnaires. Ainsi, les accords devront obligatoirement prévoir une clause de meilleure fortune, en détaillant les critères d'appréciation et en précisant les conséquences qu'une amélioration de la conjoncture doit entraîner pour les salariés. Pour comprendre comment un tel système fonctionne, il faut se tourner vers l'Allemagne : en acceptant d'abord une réduction de leur salaire, puis en bénéficiant de l'application d'une clause de retour à meilleure fortune, les salariés de Volkswagen ont finalement gagné plus, sur une période de cinq ans, que s'ils n'avaient pas accepté de signer un accord d'entreprise. S'ils avaient exigé de conserver leur salaire initial, l'entreprise aurait connu en outre des difficultés économiques, ou, plus probablement, aurait licencié.

Certains voient comme un recul la réduction du délai de prescription en matière de contentieux relatif au salaire. Mais il ne faut pas en faire un chiffon rouge, dans la mesure où le nombre de recours exercés après trois ans est extrêmement faible – je vous communiquerai les chiffres exacts. Les partenaires sociaux ont voulu privilégier la sécurité juridique, mais je ne pense pas, de toute façon, que leur choix n'aboutisse à léser les salariés. En tout état de cause, ce point fait partie de ceux qui concourent à l'équilibre de l'accord interprofessionnel.

Quant à la barémisation des indemnités, elle n'a pas vocation à s'imposer au juge. Ce dernier conservera une liberté totale d'appréciation en ce domaine. En adoptant cette disposition, l'intention des partenaires sociaux – y compris de certaines organisations non-signataires – était de valoriser la procédure de conciliation prud'homale, aujourd'hui peu utilisée, alors qu'elle est plus simple et permet de clore les contentieux plus rapidement. Au bout du compte, le salarié comme l'entreprise en ressortent gagnants. En cas d'échec de la conciliation, il restera possible de recourir au juge, sans que ce dernier ne se voie appliquer aucun cadre contraignant.

En cas de fermeture d'un établissement, les dispositions contenues dans le projet de loi ne concernent que les conséquences internes à l'entreprise. Celle-ci est obligée de rechercher un repreneur et d'informer le comité d'entreprise, tandis que ce dernier a la possibilité de faire appel à un expert pour étudier les éventuelles offres de reprise, sur lesquelles il peut donner son avis. Mais il revient aux parlementaires de dire ce qui se passe quand l'entreprise n'effectue aucune recherche, ou quand elle refuse une offre que les représentants du personnel ont jugée valable. S'agissant des conséquences externes à l'entreprise, et en particulier de l'éventuel recours à un juge, les partenaires sociaux ne se sont en effet pas prononcés. Ils ne seraient de toute façon pas parvenus à un accord, et c'est pourquoi le document d'orientation suggérait de laisser au Gouvernement et au Parlement le soin de décider sur ce point.

Je ne reviendrai pas sur la question des moyens dont disposeront les DIRECCTE, mais j'insiste sur le fait qu'elles consacrent déjà beaucoup de temps aux plans de sauvegarde de l'emploi. Certes, le projet de loi aura pour effet d'augmenter leur charge de travail, mais il leur octroie surtout des pouvoirs et des responsabilités supplémentaires, qui donneront plus de sens à leur travail. Je leur transmettrai un certain nombre d'orientations afin qu'elles puissent mener à bien les travaux d'homologation dans les meilleures conditions possibles.

L'homologation ne se réduit pas à un coup de tampon, elle est le fruit d'une discussion. Alors qu'un juge se prononcerait uniquement sur la validité ou l'absence de validité d'un document, l'administration indiquera à quelles conditions celui-ci pourra être homologué. Et elle le fera en évaluant objectivement la situation de l'entreprise et le contenu de ses propositions.

Pour finir, je n'ai aucune stratégie parlementaire. Il appartient à chacun, dans cette assemblée, de se prononcer en toute responsabilité. Ma seule ligne de conduite tient au respect de l'équilibre de l'accord interprofessionnel et à la loyauté dont nous devons faire preuve à l'égard de ceux qui l'ont conclu. Dès lors que chacun s'est prononcé en faveur du dialogue social, il paraît difficile, en effet, de remettre en cause les éléments constitutifs de l'accord. Pour le reste, je m'en remets à ma boussole, l'intérêt général.

Dès lors, chacun jugera, qu'il se trouve dans la majorité ou dans l'opposition. Je ne cherche pas à tout prix à ce que tout le monde vote en faveur de ce texte, mais je suis convaincu qu'il est bon pour la France.

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