Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 12 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pascal Canfin, ministre délégué chargé du développement :

S'agissant de la responsabilité sociale des entreprises, vous avez raison de dire qu'elle constitue un axe déterminant. C'est la raison pour laquelle nous avons doté l'AFD d'une nouvelle doctrine en octobre dernier pour que tous les appels d'offre comportent des critères sociaux et environnementaux définis et contrôlés ; nous sommes en train de la mettre en place.

La question est de savoir si l'on doit continuer à faire du « moins-disant », en ayant en amont sélectionné les entreprises sur la base du respect de ces critères, ou si l'on passe au « mieux-disant », sachant que l'AFD cofinance la plupart de ses projets, ce qui suppose de faire partager notre point de vue par les autres partenaires. C'est ce que nous sommes en train de faire auprès de l'Union européenne et de la Banque mondiale – dont les règles sont en cours de révision –, mais cela prend du temps. Si les règles de l'AFD seront modifiées au milieu de cette année, elles n'entreront pleinement en vigueur que lorsque nos partenaires auront adopté la même position.

En ce qui concerne le rôle du Parlement, je vous invite à nous faire part de vos propositions – votre commission a un rôle particulier à jouer dans ce domaine – ; nous les prendrons en compte.

À travers le partenariat que constitue Globe international, que j'ai rencontré à Doha, vous pouvez identifier les obstacles au déploiement des énergies renouvelables. Dans les pays du Sud, on butte d'abord dans ce domaine sur des obstacles techniques et réglementaires – le fait par exemple que les sociétés d'électricité ne sont pas en mesure de gérer une source intermittente sur des réseaux extrêmement faibles ou saturés. Les analyser nécessite souvent une volonté politique locale en complément des financements internationaux. Nous avons suivi avec beaucoup d'attention le travail réalisé par la Norvège et le PNUD sur ce sujet : il donnera lieu à un rapport qui sera publié dans quelques semaines. La gouvernance d'une société d'électricité demande la plupart du temps des évolutions managériales, réglementaires ou législatives : les parlementaires des pays concernés ont donc un rôle primordial à jouer en la matière et votre action peut être utile à cet égard. Nous pourrions vous faire parvenir la liste des pays dans lesquels nous travaillons. Nous allons déployer par exemple dix assistants techniques sur une plateforme intitulée « Énergies durables pour tous », qui permettront de lever ces obstacles : nous pourrions indiquer dans leur feuille de route qu'ils auront à travailler avec les parlementaires ; Globe international serait une instance appropriée pour une telle coopération.

Concernant l'innovation, nous pensons que l'aide publique au développement doit s'inscrire dans une logique d'innovation d'ensemble – technologique ou non. Pour les Kenyans, le mobile banking – ou paiement mobile – est ce qui a le plus changé leur vie ces dernières années. De même, la microassurance permet, à côté du microcrédit, d'assurer contre les changements climatiques les petites organisations paysannes ou coopératives qui n'ont pas accès au marché international de l'assurance. C'est la raison pour laquelle j'avais fait de l'innovation l'un des cinq chantiers des Assises du développement et de la solidarité internationale.

Dans l'agenda climatique, nous pourrions gagner à identifier une quinzaine à une trentaine de technologies – ou d'objectifs impliquant des changements technologiques – constituant des passages obligés pour réussir les négociations et piloter ensuite notre aide publique au développement – qui contribue à financer ces technologies – par les résultats. La Fondation Bill & Melinda Gates a par exemple lancé un appel d'offre international auprès de centres de recherche pour trouver les toilettes du futur, conciliant les contraintes financières et écologiques pour les populations qui en manquent : si le prototype n'est pas encore déployable, compte tenu de son coût, de l'ordre de 1200 dollars, une réponse technique a pu être élaborée. Nous pourrions ainsi adopter une gouvernance des projets, non seulement par les moyens, mais aussi par les résultats et les objectifs.

Nous avons aujourd'hui 4 000 chercheurs au sein de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) qui sont mobilisés pour le développement et la recherche au Sud : nous pourrions plus clairement leur indiquer ce qu'on leur demande de trouver – ce que nous avons d'ailleurs commencé à faire.

Quant à la taxe sur les transactions financières, je rappelle que la France a été le premier pays à l'instaurer au plan national et à affecter 10 % de son produit au développement. Cette année, cette part a été consacrée à l'accès à l'eau et à la santé, notamment au Sahel et, l'an prochain, elle le sera pour moitié au Fonds vert – sachant que nous attendions que les règles de celui-ci soient fixées pour le faire, ce qui a permis de peser davantage sur leur définition.

Vous avez un rôle à jouer dans la négociation européenne en la matière. L'étude de la Commission européenne a évalué le montant des recettes à 35 milliards d'euros, ce qui est considérable. Il serait paradoxal, alors que cette taxe a vocation à financer les biens publics mondiaux, dont le développement, la lutte contre le changement climatique, la pauvreté ou le Sida, qu'aucune recette ne soit affectée à ce qui l'a historiquement légitimée. Or certains pays comme l'Espagne, l'Italie ou l'Autriche sont assez réservés, voire hostiles, à ce qu'une partie de cette taxe européenne soit consacrée au développement. Le Président de la République a pourtant redit le 1er mars dernier qu'il souhaitait qu'une part significative de celle-ci le soit. J'ai essayé moi-même de convaincre différents partenaires de l'intérêt de cette mesure. Nous pourrions avoir dans ce domaine une action commune en raison de votre capacité à peser sur les décisions prises par les autres parlements européens. Si la France est pilote sur ce sujet, nous avons besoin d'alliés car nous ne sommes pas majoritaires.

Au sujet du Mali, la stratégie française repose sur trois piliers : le pilier militaire, le pilier politique – faire en sorte qu'il y ait un dialogue politique menant à des élections et à un gouvernement démocratique, ce qui est de la responsabilité des Maliens – et le pilier du développement. Mon objectif est de contribuer à gagner la paix, ce qui veut dire, par exemple, faire en sorte que les élections puissent se tenir, ce qui suppose que les 400 000 réfugiés et déplacés rentrent chez eux et que les conditions matérielles de ce retour soient réunies.

Je me concentre sur ce qui n'est ni l'humanitaire ni le développement stricto sensu, ce que l'on appelle la réhabilitation – que la plupart du temps on rate. En effet, nous savons mener des missions humanitaires – d'ailleurs les ONG nous disent qu'au Mali, la situation humanitaire est à peu près sous contrôle – de même que de grands projets de développement sur deux à trois ans, mais il faut réussir les « six mois » de reconstruction, ce qui veut dire par exemple rétablir l'eau à Tombouctou, l'électricité à Gao ou faire en sorte que le centre de santé de Kidal fonctionne à nouveau. Nous nous sommes mis d'accord sur une liste de priorités avec l'Union européenne et la Banque mondiale, après en avoir discuté avec le gouvernement malien, pour nous répartir le travail. Je rappelle qu'aujourd'hui, à Tombouctou et à Gao, les habitants vont chercher leur eau dans le fleuve Niger, ce qui présente des risques pour la santé. La responsabilité de la France – la mienne en particulier – a été de mettre tous les donateurs autour de la table pour gagner ces « six mois ». Nous organiserons d'ailleurs mi-mai à Bruxelles une grande conférence internationale des donateurs présidée par la France et l'Union européenne, en présence du Président de la République, afin de mobiliser le monde entier.

Les collectivités territoriales ont un rôle important à jouer à cet égard. Nous organiserons le 19 mars à Lyon une réunion ayant vocation à mobiliser les 100 collectivités locales ayant un partenariat avec le Mali pour définir le type de coopération que nous voulons, ses priorités et la répartition des rôles. Les élus locaux pourront écouter à cette occasion des représentants de la société civile, de l'État malien et des grandes organisations internationales, afin de mieux comprendre la situation sur place.

Nous souhaitons qu'une partie substantielle de l'aide passe par ces collectivités, dont le rôle est en effet de plus en plus marqué. Cela nous paraît correspondre à une logique de décentralisation, qui constitue une part de la solution politique dans ce pays. De plus, cette approche donne lieu à des circuits financiers plus directs et mieux contrôlés.

Vous avez cité, monsieur Falorni, le rapport Laignel : je rappelle que 5 000 collectivités locales ont des actions de coopération décentralisée. Plusieurs mesures ont été retenues dans ce domaine : la sanctuarisation des crédits budgétaires pour la coopération décentralisée – ce qui n'était pas évident –, la transformation du concept de coopération décentralisée en un dispositif davantage lié à l'action extérieure des collectivités, ainsi que, après une étude d'impact, l'extension de la loi Oudin-Santini à la gestion des déchets.

En ce qui concerne les négociations climatiques, je souhaite vous faire part de premiers éléments – je vous répondrai après mon audition personnellement sur les points que je n'aurais pas eu le temps d'aborder.

Nous souhaitons écrire un nouvel agenda nous permettant de lever les obstacles actuels, de manière à réussir à Paris là où toutes les autres conférences ont échoué auparavant.

On observe un petit changement aux États-Unis : les discussions entre Laurent Fabius et John Kerry le laissent penser. Mais sur la question, par exemple, d'un accord légalement contraignant tel que nous l'entendons en Europe, la position américaine reste inchangée. Ce pays reste attaché à une approche « bottom-up » – reposant sur des engagements nationaux – en invoquant l'absence de majorité politique pour ratifier ce type d'accord. Or cette approche a montré ses limites : elle est très en deçà de ce qu'il faudrait opérer pour limiter une augmentation de la température à deux degrés. Nous devons trouver un compromis entre ces deux conceptions : la pure approche inverse – « top-down » – se heurterait très vite à un refus, non seulement des États-Unis, mais aussi de la Chine ou du Brésil.

À la mi-avril, un forum des économies majeures se tiendra sur ce sujet : il permettra de voir si les États-Unis entrouvrent de nouvelles portes.

Quant à nos alliés, ils sont de trois ordres. En premier lieu, les pays riches, contributeurs financiers, qui auront à prendre des engagements fermes – nous travaillons par exemple avec les Norvégiens sur les questions énergétiques ou avec les Britanniques sur l'agenda du financement et les marchés de carbone. La France est à cet égard passée dans le camp des États européens qui soutiennent des règles plus ambitieuses – par exemple autoriser la Commission européenne à modifier le nombre de quotas en circulation pour augmenter le prix du carbone. Deuxième catégorie d'alliés : les progressistes au sein du G77 et des pays émergents, comme le Mexique, l'Indonésie ou l'Afrique du Sud, avec lesquels nous devons construire des agendas communs – l'agenda technologique ou celui du financement par exemple. Enfin, les pays les plus vulnérables, avec lesquels nous devons également élaborer un agenda commun et à qui nous devons aussi proposer quelque chose d'acceptable, de plus ambitieux que ce qui leur a été proposé à Copenhague, notamment en matière de financement.

Cela implique une diplomatie active de la part de la France. C'est la raison pour laquelle nous avons un nouvel ambassadeur sur le climat, que les services des ministères de l'écologie et des affaires étrangères travaillent ensemble, ou que nous avons envisagé d'organiser une session entière consacrée à la négociation climatique lors de la prochaine journée des ambassadeurs, de façon à ce que ceux-ci soient sensibilisés à cette priorité.

Mais nous avons aussi besoin de vos initiatives ainsi que des collectivités locales. Nous réfléchissons à cet égard à la forme que pourrait prendre l'association de celles-ci à la négociation de 2015 – cela correspond à une grande revendication des réseaux internationaux des collectivités. Vous pourriez également participer à ce travail.

(Applaudissements sur divers bancs)

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