Intervention de Joseph Thouvenel

Réunion du 13 mars 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC :

La pluralité syndicale est aussi normale que la pluralité politique ; il ne faut donc pas s'étonner des divergences d'analyse entre les différents syndicats. Durant les dernières décennies, la CGT a rarement signé un texte majeur, bien qu'elle en ait souvent revendiqué la paternité et qu'elle l'ait défendu corps et âme par la suite. Il en va ainsi des comités d'entreprise – lieu de concertation entre le patronat et les représentants des salariés –, qui n'existeraient pas si on l'avait suivie.

Nos divergences renvoient aux différentes formes de syndicalisme : loin de l'opposition systématique, la CFTC défend un syndicalisme d'engagement. Hommes et femmes, dans toute leur complexité, les patrons ou les ouvriers ne sont pas uniformément bons ou mauvais. La pâte humaine est plus complexe, et s'il se trouve toujours des personnes pour essayer de contourner les textes, l'on ne saurait s'y arrêter, sous peine de voir la société se figer, se scléroser et mourir. Nous faisons donc le pari d'avancer avec tous les gens de bonne volonté ; les autres ont le droit de faire d'autres choix.

Cette négociation a pourtant montré que malgré nos différences, le camp syndical était plus uni que son homologue patronal, dont nous avons observé les conflits. Le rapport de forces n'épouse pas le clivage entre les syndicats d'un côté et le patronat de l'autre ; la réalité est plus complexe.

Nos efforts nous ont permis d'aboutir à un accord. Pourtant, sur certains points – comme les droits rechargeables –, celui-ci entraîne d'autres négociations ; à nous de le porter et de le faire vivre. Parmi les points auxquels nous étions opposés figure le titre V qui porte sur la rationalisation des procédures de contentieux judiciaires. Mais le patronat y tenait absolument, notamment les petites entreprises regroupées au sein de l'UPA – dont la signature de l'accord prouve d'ailleurs que les très petites entreprises (TPE) et les PME y trouvent leur compte. Certes, on peut regretter que le délai de prescription pour les réclamations liées au contrat de travail, auparavant de cinq ans, ait été diminué. Pourtant, ayant obtenu par ailleurs des avancées substantielles, nous devions faire une concession, afin d'arriver à faire vivre un accord qui servira à tout le monde. La réaction positive des agences de notation atteste qu'il est bon pour notre pays, et donc également pour les entreprises et pour les salariés.

S'agissant du choix entre l'accord majoritaire et l'homologation dans la procédure de licenciement, nous penchions pour la première solution, qui constitue un engagement. Certes, il est plus difficile de signer un accord dans un contexte morose que dans une conjoncture favorable ; mais nous devons assumer notre rôle quel que soit le moment. Le patronat a avancé – non sans raison – que dans certains cas, les salariés ne voudront rien céder. Pourtant, l'homologation n'équivaut-elle pas à l'autorisation administrative de licenciement ? Il est, à cet égard, étonnant que ceux qui réclament le retour à cette autorisation n'y voient pas une avancée : l'homologation redonne une place aux pouvoirs publics, et puisque les licenciements sont en partie supportés par la communauté nationale, il est logique que ses représentants aient un droit de regard sur la procédure, afin d'éviter les excès et les abus. Il est enfin normal que l'administration puisse examiner la réalité du motif économique, et il serait faux de l'imaginer en monstre souhaitant la mort des entreprises. Le dispositif final me semble donc assez équilibré.

Les moyens humains de la DIRECCTE doivent être renforcés, sous peine de la voir privilégier quelques dossiers essentiels, laissant de côté d'autres tâches. Il faudrait assurer à ses personnels une solide formation économique et pratique, afin qu'ils disposent d'une connaissance fine de la vie de l'entreprise. C'est là qu'il faut chercher les réponses à vos questions : certes, certains patrons feront tout pour ne pas respecter l'esprit et la lettre du texte ; mais des centaines de milliers d'autres feront les choses correctement. Ayant commencé à travailler à l'âge de 16 ans et demi, j'ai connu des patrons exécrables comme excellents ; les enfermer dans une case idéologique constituerait une erreur profonde. Faisons confiance à la pâte humaine !

La mobilité représente un point essentiel et difficile de l'accord. J'ai travaillé pendant un temps dans une entreprise qui fabriquait des cartes perforées ; le jour où celles-ci n'existaient plus, tous les salariés auraient pu se retrouver au chômage, sans autres compétences. La mobilité professionnelle consiste à prendre le problème en amont, en formant les salariés pour leur permettre d'évoluer vers d'autres activités, sauvant ainsi leurs emplois. La mobilité géographique peut se révéler nécessaire, mais l'approche doit être équilibrée : transférer des salariés d'un site à un autre, distant de trois kilomètres, ne paraît pas outrancier ; les déplacer de Strasbourg à Marseille l'est beaucoup plus. Mais l'on ne peut pas entrer dans ces détails dans un accord interprofessionnel national ; c'est pourquoi celui-ci est rédigé de façon à laisser aux équipes de terrain la capacité d'apprécier ce qui est juste et raisonnable.

La taxation des contrats courts concerne les contrats de confort et non ceux de bon sens comme les remplacements pour congés maternité ou congés d'absence pour maladie, ou encore les vendanges. Ne seront taxés que des CDD abusifs où un poste fixe voit se succéder des salariés en contrat court, comme souvent à La Poste. Nous souhaitons renchérir le coût du travail pour ce type de CDD, afin de permettre à davantage de salariés de bénéficier d'un CDI qui constitue une sécurisation importante dans la mesure où il permet, par exemple, de bénéficier plus facilement d'un crédit ou de louer un appartement. L'accord prévoit également de baisser le coût du travail en cas d'embauche d'un jeune de moins de 26 ans en CDI. Il n'y a pas là d'incohérence, car le but n'est pas de renchérir le coût du travail, mais de diminuer la précarité. On peut donc très bien augmenter le coût des contrats courts pour les rendre moins attractifs, tout en diminuant celui des CDI. S'il existe un volant incompressible de précarité utile à la société comme aux personnes qui en font le choix, le volume actuel relève clairement d'un excès.

L'intérim – qui fait actuellement l'objet d'une négociation – n'a pas été traité dans l'accord, suivant le souhait de la partie patronale. L'intérim représente pourtant un surcoût, ce qui devrait inciter les chefs d'entreprise à l'éviter ; ce pari me semble fondé.

En ce qui concerne le barème des prud'hommes, je vous invite à bien lire le texte de l'accord, qui précise que les parties « peuvent » y avoir recours, là où le patronat voulait écrire « doivent ». Le barème est donc indicatif et non obligatoire : en cas de contentieux, on peut se mettre d'accord – ou non – sur ses montants ; on peut opter pour un tarif supérieur ou inférieur. Si l'accord ne mentionne pas explicitement le caractère indicatif du barème, c'est que dans une négociation, il ne faut pas faire perdre la face à son partenaire. Ayant vidé une disposition de sa substance – comme c'est le cas pour le barème –, nous nous sommes abstenus d'y insister. J'espère que dans le projet de loi, le terme « peuvent » sera conservé, afin de garder l'esprit de l'accord.

Cet accord constitue un facteur de stabilité dans le long terme. Il est favorable aux grandes entreprises, sans être défavorable aux petites. Vous avez été plusieurs à évoquer le cas des personnels de services à la personne ; mais il faut également tenir compte des 4 millions de salariés qui ne sont pas couverts par une complémentaire santé et qui, sans pouvoir aller chez le dentiste, finissent par se faire arracher des dents à l'hôpital – ce qui ne les favorise évidemment pas ensuite dans leur recherche d'emploi. Une femme seule qui vit à Paris avec un salaire légèrement supérieur au salaire minimum ne peut pas se faire soigner aujourd'hui. Certes, toute réponse est imparfaite, mais les avantages de cet accord l'emportent largement sur ses effets néfastes – qu'il faut néanmoins regarder de près. Les entreprises de service à la personne – notamment aux personnes âgées – sont importantes, mais l'on ne peut pas laisser 4 millions de personnes dans une précarité de santé qui nuit à l'ensemble de la société ; il s'agit d'un véritable choix social. De plus, l'augmentation des coûts des entreprises de service à la personne à la suite des mesures de ce texte devrait se révéler modérée.

S'agissant de notre représentativité, à la fin du mois, la CFTC sera sûrement toujours représentative du point de vue légal. On a essayé de nous tuer plus d'une fois depuis notre création en 1919, mais le syndicat chrétien est aussi celui de la résurrection. Quant à notre poids dans l'action, le texte de l'accord reprend des idées que l'on défend depuis des décennies. Ainsi, l'attachement des droits au salarié et non plus à l'entreprise est une revendication de la CFTC depuis plus de dix ans. Perdre tous ses droits en quittant une entreprise ne favorise pas une évolution professionnelle satisfaisante ; garder des droits permet une véritable mobilité, choisie et sécurisée. La participation représente une autre de nos revendications. Nous pesons donc, et continuerons à peser, dans le champ social.

Il faudra développer davantage la formation professionnelle et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sans doute en lien avec les régions. Nous sommes favorables à la territorialité, notamment dans les bassins d'emploi.

Entre la logique de la confrontation et celle de la coopération, chacun doit faire un choix. Plutôt que d'insister sur les divergences, je crois pour ma part à la prise de responsabilité commune. Certes, comme j'ai pu l'observer dans ma vie professionnelle, les salariés et les patrons peuvent avoir des intérêts divergents : le salarié veut obtenir une augmentation de salaire, là où le chef d'entreprise doit respecter les équilibres financiers. Mais la convergence – la volonté de faire vivre l'outil et la communauté de travail – est bien plus importante. Le rapport de forces peut exister, mais ne se réduit pas forcément à une opposition systématique ; nous souhaitons avancer sans nous situer dans le camp du « non » permanent, celui de la sclérose.

Les syndicats ont le droit de s'opposer à cet accord au nom de leur idéologie. Mais prenez l'exemple des deux usines de pneumatiques situées à côté d'Amiens, Goodyear et Dunlop, qui appartiennent au même groupe et se trouvent à quelques centaines de mètres l'une de l'autre. Dans la première, un syndicat majoritaire s'oppose depuis des années à tout accord ; cette usine est morte. Dans la seconde, c'est la CFTC qui est devenue majoritaire ; les salariés de cette usine ont accepté de faire des efforts en contrepartie d'investissements dans un bassin sinistré. Ils ont eu raison : mieux vaut sauver des milliers d'emplois plutôt que de mener les salariés et leurs familles dans le mur par idéologie. C'est la force de la négociation, de la concertation et de la responsabilité par rapport à la faiblesse du « non » systématique.

Même s'il n'est pas défini dans le projet de loi, le motif économique l'est dans le code du travail ; il n'y a donc pas de vide juridique. Contractualiser le plan social ne revient pas à contractualiser le motif économique.

La CGT considère que prendre les propositions patronales comme cadre constitue un problème ; mais elle était libre de venir avec son propre texte, comme l'ont fait la CFTC et la CFDT. Elle seule est responsable de sa méthode de négociation.

Certains dispositifs de financement des formations sont, en effet, mal ou pas utilisés, et il faudrait en améliorer la gestion.

Les dispositifs de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) sont parfois insuffisants, et l'accord cherche à les développer à l'aide de nouveaux outils, notamment en renforçant le poids des institutions représentatives du personnel. L'objectif est d'apporter des améliorations là où c'est nécessaire, car dans certaines entreprises, le système fonctionne plutôt bien.

La polémique sur les assureurs et la complémentaire santé soulève un point juste. Ne nous voilons pas la face : il s'agit d'un gros « business » qui met en jeu des intérêts puissants. Mais je souhaite, pour ma part, que les 4 millions de salariés, qui ne sont aujourd'hui pas couverts pas une complémentaire santé collective, le soient demain. Or, lors d'un accord à l'échelle d'une branche professionnelle, l'on obtient de meilleurs tarifs et de meilleures prestations que lors d'une démarche isolée. Certes, il faut veiller à ce que les appels d'offre soient transparents ; mais le choix individuel de la complémentaire serait insoutenable pour les PME, comme l'UPA l'a bien compris. Il faut simplement éviter que cette protection globale ne conduise pas au maintien ou à la mise en place de monopoles ; il s'agit, comme toujours, d'un équilibre à trouver.

Nous n'avons pas discuté d'un contrat unique ; le CDI doit rester la norme et le CDD, l'exception. Le CDI représente donc déjà un contrat unique, avec les exceptions que constituent les CDD de bon sens.

Enfin, les excès et les risques attachés à la notion de mobilité suscitent des inquiétudes ; mais la vie consiste à prendre des risques, en essayant de les encadrer au maximum.

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