Intervention de Patrick Pierron

Réunion du 13 mars 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Patrick Pierron, secrétaire national de la CFDT :

Il nous faut articuler démocratie sociale et démocratie politique, dans le respect de la place et de la légitimité de chacune : c'est dans cet esprit que le débat parlementaire doit compléter et préciser cet accord. Ainsi, les partenaires sociaux n'ont pas la compétence de régler entièrement, par la négociation, la question de la reprise de sites ou celle des actionnaires salariés, ces mesures excédant le périmètre du code du travail. Mais même pour les dispositions relevant pleinement de ce code, les parlementaires doivent pouvoir largement amender le texte, du moment où, comme vous l'avez souligné, ils en respectent l'esprit. Le compromis obtenu, en effet, ne doit pas être remis en cause, sous peine de discréditer l'idée même de dialogue social, car si la loi abroge l'accord, les partenaires sociaux ne verront plus l'intérêt de s'engager dans la négociation à l'avenir.

Cet accord ne règle pas le problème de la compétitivité et de la performance de l'économie française ; il y participe seulement. C'est pourquoi nos trois organisations syndicales et les trois organisations patronales ont signé, en 2010, un texte sur la compétitivité aux propositions concrètes. Ces mêmes organisations signeront d'ici deux à trois mois une délibération économique sur la définition des moteurs de croissance du futur, capables de redresser l'industrie française. Ce texte contractualisé, qui se situera dans la perspective du pacte de compétitivité, rejoint les conclusions du rapport Gallois, tout en lui étant supérieur : plus précis, il s'appuie notamment sur des indicateurs comparatifs de compétitivité en Europe. La CGT et FO – dont je respecte le choix – refusent pour leur part de participer à la délibération économique, estimant qu'en tant qu'organisations syndicales, elles n'ont pas à considérer les aspects économiques, pourtant indissociables de l'aspect social dès lors que l'on aborde la question de la performance et de la compétitivité.

Il est par ailleurs regrettable que cet accord serve d'alibi au règlement des problèmes internes de certaines organisations, tant syndicales que patronales. Nous serons vigilants sur son instrumentalisation au service des luttes de pouvoir ou de succession, à la CGT comme au MEDEF.

Cet accord relève enfin d'un compromis entre les organisations patronales elle-mêmes : sur les clauses de désignation de la mutuelle, par exemple, il a fallu arbitrer entre le MEDEF et l'UPA, et entre le lobby des assurances et celui des mutualistes.

Il vous appartient de forger votre propre avis, mais contrairement à ce qu'affirment la CGT et FO, si vous transformez cet accord en une loi, il amènera immédiatement de nouveaux droits, alors que la flexibilité relèvera de la négociation et d'accords majoritaires. Le patronat souhaitait pour sa part l'inverse : la flexibilité tout de suite, et les nouveaux droits demain. Mais le dialogue social, le débat et l'articulation de la démocratie sociale et politique devraient rendre les nouveaux droits immédiatement effectifs, même si certaines dispositions devront encore être précisées.

Pour entrer dans le détail, l'article 1er portant sur la couverture complémentaire santé nous convient. Pour les salariés non couverts par des conventions collectives – dont la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) pourrait vous communiquer le nombre –, l'accord prévoit un panier minimum de soins qui devrait donner lieu à un décret. Nous n'avons pas abordé dans l'accord le problème du régime d'Alsace-Moselle, dont le règlement devra passer par des décrets d'exclusion ; nous vous en laissons la responsabilité. Je vous livre aussi une autre information : une lettre de patrons nous a également alertés sur la question de l'agriculture et de l'agroalimentaire : les salariés des petites entreprises et exploitations craignent d'être exclus de l'accord à cause des dispositions spécifiques du code rural sur la complémentaire santé.

Nous sommes très satisfaits du compte personnel de formation prévu à l'article 2 ; mais nous ne pouvions pas aller trop loin sur cette question car une négociation est en cours, qui doit déboucher sur un projet de loi sur la formation professionnelle. Ce sujet touche à l'évolution de l'école, à la décentralisation et à bien d'autres textes en cours de discussion au Parlement ; il nous est donc apparu raisonnable de préciser que le compte personnel de formation est un droit attaché à la personne, et que tout salarié doit avoir la possibilité de se former de la sortie de l'école à la retraite, sans entrer dans le détail des mécanismes de gouvernance et de financement.

L'article 3 sur la mobilité externe nous convient tout à fait. Quant à l'article 4, il est essentiel à l'accord : la base de données permettra aux salariés d'accéder non seulement aux éléments sociaux, mais également aux informations relatives à la stratégie, à l'investissement, et à l'utilisation par l'entreprise des crédits et des aides publiques – point particulièrement sensible, comme en atteste le débat sur le détournement possible des 20 milliards d'euros qui pourraient servir à rémunérer les dividendes et non à investir. Disposer de ces éléments en amont de toute décision permettra aux institutions représentatives du personnel de donner leur avis, créant une culture d'anticipation. Nos baromètres montrent que les fonctionnaires comme les salariés du privé s'inquiètent pour leur emploi. En donnant une perspective à trois ans, par rapport au territoire et aux concurrents de l'entreprise, ainsi qu'aux enjeux industriels et technologiques auxquels elle fait face, la base de données éclairera sur son orientation, ses choix d'investissement et sa politique. Pallier le manque de visibilité actuel permettra de rassurer les salariés. Il faudrait en revanche corriger une coquille : cette base de données devrait être ouverte non seulement aux élus des comités d'entreprise, mais également aux délégués du personnel.

Nous sommes d'accord avec les dispositions relatives à l'expertise. Quant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), si l'avant-projet de loi allait trop loin en prévoyant une instance unique, le texte actuel revient à une conception plus modérée : sans remettre en cause le rôle des CHSCT locaux, il permet de recourir à une expertise unique au lieu d'en mener dix sur le même sujet. Cette version, qui reprend les termes de l'accord, nous convient parfaitement.

À l'article 5, nous souhaitions baser la participation des salariés aux conseils d'administration sur la représentativité, mais nous acceptons que la loi reprenne les trois possibilités actuelles – l'élection, la désignation par les institutions représentatives du personnel et le mandatement. Il faudrait en revanche préciser, si cela est possible juridiquement, que ces salariés – qui s'exprimeront sur des sujets sensibles – seront protégés. Nous voudrions également que l'assemblée générale des actionnaires, qui choisira ces modalités de désignation, dispose de l'avis du comité d'entreprise et décide en connaissance de cause. Notre amendement en ce sens n'avait pas été retenu, mais il serait préférable que cette décision ne relève pas du seul employeur, même si l'avis du comité d'entreprise reste purement indicatif.

Nous sommes satisfaits des articles 6 et 7. Les temps partiels directement reliés à un employeur individuel sont exclus du périmètre de l'article 8. Contrairement à une association, capable de trouver un deuxième emploi à son salarié – qui peut ainsi travailler à temps complet en cumulant plusieurs contrats à temps partiel –, un employeur qui a besoin d'un jardinier ou d'une aide à domicile ne pourra pas fournir ce socle de 24 heures de travail.

L'article 9 nous convient. L'article 10, en revanche, n'est pas conforme à l'esprit de l'accord. Privilégier la culture d'anticipation en matière de mobilité interne – en lien avec la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) – consiste à organiser, tous les trois ans, à partir de la base de données, une négociation sur la politique sociale du groupe, et prévoir la mobilité géographique et technique à venir. Il est ainsi essentiel de préciser que cette mobilité doit s'effectuer sans baisse d'effectifs, et non en dehors de tout projet de licenciement, comme le stipule le texte actuel. Le récent accord conclu chez Renault prévoit, par exemple, des plans de départ volontaire, donc une diminution des effectifs. Si cet accord défensif visant à sauver l'entreprise est en l'occurrence nécessaire, il ne s'inscrit pas dans une politique sociale renégociée tous les trois ans. Laisser le texte en l'état, c'est prendre le risque de voir les effectifs fondre sans licenciements économiques, par le biais des départs volontaires ou des départs à la retraite. Les termes exacts de l'accord doivent donc être repris.

Nous n'avons rien à dire sur les articles 11 et 12. Quant à l'article 13, nous n'avons pas tranché la question de savoir si la négociation doit impérativement intervenir avant l'homologation. Le patronat peut être tenté de privilégier cette dernière, pariant sur le fait que les DIRECCTE, manquant de moyens, tamponneront automatiquement les formulaires. Or, aller directement vers une homologation serait contraire à l'esprit de l'accord qui cherche avant tout à renforcer le dialogue social et la négociation. Mais les DIRECCTE ne pourront pas assurer ces nouvelles tâches à effectifs constants et à compétences égales : leurs moyens doivent être augmentés si l'on veut que leur contrôle comprenne une forme d'investigation. La base de données comprenant des informations financières, les DIRECCTE, qui y auront accès, pourront moduler les plan de sauvegarde de l'emploi en fonction des moyens des groupes, ce qui coupera court aux licenciements boursiers.

Nous sommes d'accord avec la formulation des articles 14 et 15. Mes collègues ont déjà tout dit sur l'article 16, relatif au barème. S'agissant de l'article 17, la CGPME exige de différer d'un an la mise en oeuvre des institutions représentatives du personnel dans les petites entreprises ; il faudra organiser une discussion tripartite pour essayer de définir le contenu d'un décret – tâche qui s'annonce difficile.

S'agissant de l'article 18, l'accord prévoit une évaluation du dispositif au bout de deux ans ; nous souhaitons qu'à cette fin, une commission paritaire soit mise en place dans chaque branche concernée. La CGPME souhaitait généraliser les CDI intermittents, tout comme le MEDEF, les CDI de projet. Or, ces derniers – qui existent depuis 2008 dans quelques secteurs travaillant à l'exportation – risquaient de générer une grande précarité. Actuellement, les entreprises de nettoyage de bureaux ou les sociétés d'informatique établissent un contrat commercial avec leur client ; lorsque ce contrat arrive à terme, l'entreprise retrouve pour ses salariés un nouveau chantier. Avec des contrats de projet, le terme du contrat commercial mettrait fin au contrat de travail des salariés, sans que ceux-ci bénéficient des droits afférents. Le MEDEF a fini par retirer ce dispositif. Nous ne souhaitions pas davantage généraliser les contrats intermittents, également générateurs de précarité. Pour garder la CGPME parmi les signataires, nous avons proposé d'organiser une expérimentation de deux ans dans trois branches, avec une évaluation à la clé, afin de continuer ou d'arrêter l'expérience en fonction du résultat. Alors que la CGPME voulait implanter le dispositif dans l'hôtellerie-restauration, la branche l'a refusé, ce type de contrat ne répondant pas à ses besoins. Parmi les branches retenues, les chocolatiers et le commerce d'articles de sports utilisent déjà des contrats intermittents par le biais des accords de branche. En revanche, nous accompagnerons et évaluerons leur mise en place dans la branche de la formation professionnelle hors langues, où ils représentent une nouveauté. En somme, il nous a été difficile de trouver des branches à la fois preneuses de ces contrats intermittents et adhérentes à la CGPME. Le texte résulte donc d'un compromis de bonne volonté des signataires.

En conclusion, j'insiste à nouveau sur la nécessité de donner à la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) une dimension d'anticipation, en précisant que la mobilité interne doit se faire sans baisse d'effectifs. N'oubliez pas également qu'une négociation est en cours sur la qualité de vie au travail, l'égalité entre les hommes et les femmes et la conciliation des temps ; elle complétera utilement cet accord, tous deux étant sources d'avancées dans la sécurisation de l'emploi et le recul de la précarité dans l'entreprise.

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