Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 12 mars 2013 à 16h15
Commission des affaires économiques

Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique :

La hiérarchie des normes applicables et la répartition des compétences entre l'État et les autorités administratives indépendantes demeurent effectivement ambiguës : régi par des directives européennes et par le code des postes et communications électroniques, c'est le droit sectoriel de la concurrence applicable aux communications électroniques qui fixe la répartition des compétences entre le ministre et l'ARCEP. Mais il est vrai qu'ils partagent certaines compétences dont la répartition reste mal définie. Parallèlement, le droit général de la concurrence s'applique également, sous le contrôle de l'Autorité de la concurrence.

L'avis que cette autorité a rendu hier invite notamment à vérifier que la trajectoire d'investissement de Free est compatible avec les engagements pris par l'opérateur dans le cadre de l'attribution de sa licence. L'ARCEP a déjà indiqué qu'elle s'estime compétente en la matière. Quant à l'itinérance, elle pose un problème de répartition des compétences entre les autorités administratives indépendantes (AAI) et le Gouvernement : si l'Autorité de la concurrence est bien sûr compétente en la matière, l'encadrement a priori de l'itinérance souffre d'un vide juridique que le législateur pourrait combler.

S'agissant plus généralement de la répartition des compétences entre le Gouvernement et les autorités de régulation, je suis tout à fait d'accord avec Lionel Tardy lorsqu'il affirme que l'on ne peut reprocher à une AAI de ne pas mener de politique industrielle. Ce n'est effectivement pas son rôle. Ainsi ne peut-on imputer à l'ARCEP le vide politique que l'on a connu. Mais le Gouvernement est aujourd'hui bien décidé à reprendre son rôle : la politique industrielle du spectre fait partie des enjeux d'avenir extrêmement importants que l'État entend reprendre en main et ne pas laisser aux soins des autorités de régulation. Les décisions politiques et économiques que nous pourrions être amenés à prendre en matière de deuxième dividende numérique seront bien évidemment précédées d'études d'impact qui en analyseront les conséquences sur l'ensemble de la filière et sur l'emploi.

Il est effectivement indispensable de bien hiérarchiser les objectifs assignés à l'État et à l'ARCEP et de réaffirmer la primauté de l'emploi et de l'investissement, même s'ils figurent déjà dans la loi.

Le Gouvernement a l'intention de se réinvestir dans le dossier du très haut débit : c'est à cette fin qu'il a créé une mission qui sera transformée en un établissement public, dont la gestion associera l'État et les élus locaux. L'État affectera un peu plus de 3 milliards d'euros de crédits à ce chantier. Cet engagement important constitue l'un des trois chantiers prioritaires du quinquennat.

Entité distincte de l'observatoire de la qualité de service, l'observatoire des investissements permettra au ministère de réaliser des diagnostics de qualité en la matière. Si l'on en croit les premiers résultats publiés, Free accuse un léger retard de déploiement de ses investissements par rapport à ses annonces. Les recommandations de l'Autorité de la concurrence sur les conditions de sortie progressive du contrat d'itinérance rendent cet observatoire extrêmement utile : Free doit poursuivre ses investissements à un rythme qui soit compatible avec les objectifs à atteindre. L'ANFR ou l'ARCEP, de leur côté, doivent déployer une expertise technique afin d'améliorer la précision des mesures publiées par le régulateur, qui, en l'état actuel, ne rendent pas nécessairement compte de la qualité du service délivré par les opérateurs, telle qu'elle est ressentie.

Plutôt bien accueilli, en tout cas par certains opérateurs du secteur, l'avis rendu par l'Autorité de la concurrence sur le contrat d'itinérance incite fortement Free à investir dans les réseaux, rééquilibrant ainsi les rapports entre tous les opérateurs. L'accord d'itinérance a tout de même constitué une source de revenus importante pour l'opérateur historique qui doit à présent anticiper la sortie de ce contrat. Levant des incertitudes et apaisant les relations entre opérateurs, l'annonce de cette décision et la réponse de l'ARCEP à la demande de refarming de Bouygues sont des signes favorables à l'investissement et à l'emploi.

Pour faire bénéficier le projet de « Paris, capitale numérique » d'une attractivité internationale suffisante, il nous faut consentir un important travail de communication et créer un quartier étendard – projet foncier considérable – qui soit bien relié à l'international. De plus, un tel chantier ne peut s'envisager qu'en réseau : c'est pourquoi j'ai annoncé la création d'une quinzaine de quartiers numériques qui seront reliés les uns aux autres. Ces quartiers extrêmement dynamiques, qui existent déjà dans certaines villes, rassemblent des acteurs et des start-up actives en ce domaine. Nous souhaitons en labelliser un maximum, à condition qu'ils répondent à un cahier des charges actuellement en cours d'élaboration, pour pouvoir les faire bénéficier des avantages associés à la logique de cluster que nous voulons encourager en région parisienne et dans les territoires. Si Paris doit constituer un quartier étendard, l'État aidera également les collectivités territoriales à créer des quartiers numériques dans d'autres villes en apportant le retour d'expérience acquise en région parisienne et en offrant des services de guichet unique, de conseil en propriété intellectuelle et de fab labs ainsi que des liens avec la Banque publique d'investissement (BPI). Nous accepterons bien entendu la candidature des villes souhaitant s'intégrer à ce réseau.

Les mesures que nous sommes susceptibles de proposer en matière de fiscalité numérique figureront plutôt en loi de finances que dans un projet de loi sur les télécommunications. En ce domaine, nous avons adopté une démarche à trois niveaux : à l'échelle internationale de l'OCDE et du G20, la France doit jouer un rôle moteur au sein des groupes de travail qui étudient la question des prix de transfert et du déplacement des profits des entreprises multinationales. Au niveau européen, nous souhaitons relancer les travaux relatifs à l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Enfin, à l'échelon national, nous sommes en train de déterminer les mesures que nous souhaiterions présenter dans le prochain projet de loi de finances.

C'est l'objet du plan national « très haut débit » que de répondre à la fracture numérique. Il en va aussi bien de l'égalité entre les citoyens que de l'attractivité de nos territoires. De nombreuses zones rurales et périurbaines rencontrent des problèmes. Or toute entreprise souhaitant s'installer à un endroit donné commencera par vérifier s'il est équipé de la fibre optique ou si l'on y a accès au très haut débit. Le plan « très haut débit » que j'ai soumis au Premier ministre accorde une attention particulière aux zones aujourd'hui mal couvertes en haut débit. Il a identifié les zones géographiques prioritaires dans lesquelles l'accès au haut débit n'est pas encore garanti. Nous nous sommes fixé un objectif intermédiaire de couverture de l'intégralité du territoire à un débit minimum d'ici à cinq ans, avant d'atteindre le très haut débit pour tous d'ici à dix ans. Grâce aux subventions du Fonds de péréquation, l'État contribuera à équiper en fibre optique les zones rurales ou reculées, dans lesquelles le coût de la prise est le plus élevé. L'État octroiera prioritairement ces subventions aux zones mal desservies, à la desserte des établissements publics tels que les hôpitaux et les écoles, ainsi qu'aux zones d'activité économique.

Le secteur des logiciels, très dynamique en France, n'est évidemment pas négligé. Le redéploiement des crédits du programme d'investissements d'avenir définit en effet un certain nombre de priorités se traduisant par des appels à projet dans les domaines du cloud, du big data, de la sécurité informatique et des objets connectés.

Un changement de titre de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication n'aurait qu'une portée symbolique. Il faut définir précisément ce qu'on entend par « neutralité du net », car on constate des divergences d'un pays à l'autre, par exemple entre les États-Unis et les Pays-Bas qui ont légiféré en la matière. Nous allons continuer d'approfondir la question dans les mois qui viennent, en liaison avec les ministères de la justice et de l'intérieur, ainsi qu'avec le CNN.

L'obsolescence programmée des matériels nous préoccupe également. L'arrivée d'offres commerciales sans subvention du terminal me paraît de nature à ralentir un rythme de renouvellement devenu excessif et profitant souvent aux produits importés. Nous réfléchissons donc, à la fois sur un plan industriel et environnemental, au développement d'un second marché et au recyclage des terminaux.

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